Auparfum

Histoire de parfumeurs : Germaine Cellier, parfumeuse fougueuse

par Jessica Mignot - Olivier R.P. David, le 7 septembre 2022

Connue pour son tempérament de feu, Germaine Cellier l’est aussi et surtout pour avoir composé une poignée de chefs-d’œuvres à la signature reconnaissable entre toutes. Retour sur la vie de l’une des rares femmes de notre dossier, qui a su s’imposer dans un milieu masculin et rayonner jusqu’à nos jours.

Fille d’un employé aux tramways et d’une employée de commerce, Louise Charlotte Germaine Cellier naît le 26 mars 1909 rue de Vaucouleurs à Bordeaux. Elle est d’abord scolarisée à Créon en Gironde, puis à Saint-Martin d’Etampes en Essonne où elle obtient son certificat d’études primaires élémentaires (avec mention très bien) en 1921. Après un certificat d’études complémentaires à l’école Paul Bert de Bois Colombes en 1924, elle décroche son diplôme d’aide chimiste le 14 octobre 1925 à l’école Scientia de Paris, puis celui d’aide-bactériologiste un an plus tard. Elle vit alors chez ses parents à Argenteuil. C’est dans les années 1930 qu’elle entre chez Roure (aujourd’hui Givaudan) où elle élabore d’abord des bases ; elle sera rapidement repérée par le patron de l’établissement, Louis Amic, et ne quittera la société que durant trois mois en parfumerie pour savons chez Colgate-Palmolive en 1943.

Très indépendante, elle aura plusieurs liaisons amoureuses sans jamais se marier, notamment avec le peintre Chas Laborde, le metteur en scène Pierre Schaub, le peintre et journaliste Jean Oberlé, et enfin avec le joueur de tennis Christian Boussus, avec qui elle restera jusqu’à sa mort.
Réputée pour son élégance à toute épreuve, Germaine Cellier est grande et mince, aux yeux verts et aux cheveux bouclés, et porte le plus souvent des tailleurs Balmain, des fourrures, des bagues imposantes et les chapeaux de Rose Valois, une de ses amies. Menant une vie très mondaine, elle côtoie plusieurs grands couturiers comme Pierre Balmain ou Robert Piguet, qui la choisissent pour créer leurs parfums.
En 1944, elle signe Bandit pour ce dernier, qui contient un taux inédit (2,5 %) d’isobutyle quinoléine (ou IBQ) à l’odeur cuirée. Elle revendiquera l’avoir composé en cinq minutes sur un coin de table.
Ses relations avec de grands noms de l’époque expliquent sans doute par ailleurs que la parfumeuse soit mise en avant dans les médias. Un magazine titre ainsi en 1944 : « Germaine Cellier arrache aux hommes le monopole du meilleur nez ». Et d’ajouter : « Aujourd’hui, Germaine Cellier fait quelques-uns des parfums les plus célèbres. De grands couturiers lui achètent à prix d’or — jusqu’à 85.000 francs le kilo en essence — le secret de quelques-unes de ses trouvailles et le droit de dire qu’ils les ont eux-mêmes composées. [...] [Elle] forme des élèves. Les femmes garderont peut-être désormais le monopole des “grands nez”, mais le métier n’est pas très bien payé quand on songe aux millions qu’il fait gagner aux parfumeurs. Germaine Cellier touche 10.000 francs par mois ». [1]
Cela explique peut-être en partie son tempérament fougueux, à l’image de ses parfums au caractère bien trempé : « Ses critiques étaient percutantes, n’épargnant jamais le travail de ses collègues, et les réunions hebdomadaires dans le bureau de Louis Amic étaient parfois apocalyptiques. C’est une artiste née ! Libre d’esprit et de parole ». [2]
Ainsi, lorsqu’elle prend la gestion d’Exarôme — filiale de Roure-Bertrand fondée par Louis Amic à Neuilly, spécialisée dans la « recherche et la création de parfums » — en 1946, elle travaille dans un hôtel particulier pour ne pas côtoyer Jean Carles avec qui elle ne s’entend pas. Mais c’est aussi une bonne vivante, qui passe ses vacances au Pyla, jouant à la crapette, au rami, à la pétanque et au golf miniature. Radical-socialiste, elle lit Le Canard enchainé, écoute Europe 1 en buvant du whisky et en fumant des Gauloises.

Elle compose Élysées 64-83 pour Pierre Balmain, Cœur-Joie pour Nina Ricci, puis en 1947 Vent vert pour Pierre Balmain. Selon le parfumeur Pierre Bourdon, elle travaille « à la manière d’un Stanley Kubrick chez qui pas un film ne ressemble au suivant ». Et pourtant, note-t-il également, « On la reconnaît à son style, charpenté, à ses formules ramassées avec des matières premières surdosées. Et elle y allait à la louche : 8% de galbanum dans Vent Vert ! [...] Si Coty a posé les bases de la parfumerie moderne en faisant du cubisme, Cellier a incarné le fauvisme, avec des thèmes très colorés et expressifs. Une évocation animale et sexuée ». [3]

L’année suivante sort Fracas pour Robert Piguet, avec un taux important (3,5 %) de lactones C-14 (note pêche) et C-18 (note coco), là où Mitsouko n’en contient « que » 0,15 % ! Aujourd’hui encore, cette création est une source d’inspiration pour la parfumerie, comme le remarque Frédéric Malle : « Qui veut imaginer un parfum à la tubéreuse retombe sur la formule de Fracas. Il y a une évidence d’accords, aucune matière inutile dans sa composition ». [4]
En 1948, elle se mesure au parfumeur argentin Miguel Hermandos dans un duel pour le titre de « nez le plus fin du monde » : « J’accepte le défi, qu’il vienne. Nous mettrons sur la table, vingt coffrets de parfums de toutes marques, et chacun devra dire sa composition et ses proportions aussi exactes que possible », [5] déclare-t-elle alors dans la presse, laissant percevoir son aplomb caractéristique.
Germaine Cellier formule également des parfum sur mesure, et d’autres créations suivent, pour Balenciaga (La Fuite des heures, 1949), Balmain (Jolie Madame, 1953 ; Eau de verveine citronnelle, avec ses 14 % d’essence de verveine, 1951, qui deviendra Monsieur Balmain en 1964). En 1955, elle déménage au 8 rue du Boccador à Paris, toujours avec Christian Boussus.
Elle s’éteint le 12 juin 1976 à l’Hôpital Beaujon de Clichy-la-Garenne d’un œdème au poumon, et est enterrée à Pau avec ses parents.

Parfumographie non-exhaustive
Bandit, Robert Piguet, 1944
Élysées 64-83, Pierre Balmain, 1946
Cœur-Joie, Nina Ricci, 1946
Vent Vert, Pierre Balmain, 1947
Fracas, Robert Piguet, 1948
La Fuite des heures, Balenciaga, 1949
Jolie Madame, Pierre Balmain, 1953
Eau de verveine citronnelle, Pierre Balmain, 1951 (devient Monsieur Balmain en 1964)

Et vous, quel est votre parfum préféré de Germaine Cellier ?

Bibliographie indicative
Germaine Cellier – L’audace d’une parfumeuse , Béatrice Égémar & Sandrine Revel, éditions Nathan
Archives nationales
Michael Edwards, Perfume Legends II - French Feminine Fragrances, Emphase
Martine Azoulai, « Germaine Cellier, le sens de la formule », Vanity Fair France (Paris, 2014)
Jeannine Mongin, « Une Femme Parfumeur : Germaine Cellier », Les Nouvelles de l’Osmothèque (Versailles, 2001)

Visuel principal : vanityfair.fr
Visuel publicité Balmain : https://yesterdaysperfume.typepad.com/
Photos Germaine Cellier : archives personnelles de Martine Azoulai

[17 Jours, 2 avril 1944

[2Jeannine Mongin, « Une Femme Parfumeur : Germaine Cellier », Les Nouvelles de l’Osmothèque (Versailles, 2001), p. 2

[3Martine Azoulai, « Germaine Cellier, le sens de la formule », Vanity Fair France (Paris, 2014)

[4Martine Azoulai, « Germaine Cellier, le sens de la formule », Vanity Fair France (Paris, 2014)

[5L’Impartial, 10 Janvier 1948

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Farnesiano

par Farnesiano, le 8 septembre 2022 à 10:01

Je l’attendais, je suis comblé ! Merci et bravo à Jessica Mignot et Olivier R.P. David pour cet article aussi passionnant que ... passion-nez !

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laprincesseaupetitpoids

par laprincesseaupetitpoids, le 7 septembre 2022 à 13:06

Merci beaucoup c’est passionnant

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