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Histoire de parfumeurs : Ernest Beaux, iconiques aldéhydes

Histoire de parfumeurs : Ernest Beaux, iconiques aldéhydes

par Jessica Mignot, le 19 août 2022

Fils du parfumeur en chef de la société Rallet, Ernest Beaux a formulé des chef-d’œuvres olfactifs dont la renommée mondiale est toujours intacte, à l’instar du célèbre N°5 de Chanel.

Contrairement à d’autres grands parfumeurs du siècle comme Ernest Daltroff ou Paul Parquet, l’orientation d’Ernest Henri Beaux, surnommé « ministre de la Narine » [1], n’était pas surprenante : né à Moscou en 1881, il est le fils d’Edouard Beaux, parfumeur en chef chez Rallet & Co. Après des études secondaires, il rejoint la société en 1898 en se spécialisant d’abord en savonnerie.
En 1900, il séjourne en France pour effectuer son service militaire, puis retourne à ses fonctions chez Rallet (alors rachetée par Chiris) mais dans la section parfumerie cette fois. En 1912, année de son mariage avec Iraide Schoeneich, il crée son premier grand succès, le Bouquet de Napoléon ; en 1913, il aurait également composé le Bouquet de Catherine, renommé par la suite Rallet n°1, puis Krasnaya Moskva (Moscou rouge) sous le régime soviétique – et que certains considèrent comme le petit frère du N°5. Son fils Edouard naît en 1913. Entre 1914 et 1919, il est mobilisé comme lieutenant du corps de contre-espionnage puis affecté au camp d’internement des prisonniers de guerre bolcheviques à Mudjug, île d’Arkhangelsk au nord de la Russie. À son retour, il sera promu chevalier de la Légion d’honneur. De cette période sombre, il garde aussi le souvenir d’un séjour dans une région septentrionale, « au-delà du cercle polaire, à l’époque du soleil de minuit, où les lacs et les fleuves exhalent un parfum d’une extrême fraîcheur » [2], et qui sera l’une de ses inspirations pour le N°5. Suite à la révolution russe, la société Rallet ouvre un laboratoire à La Bocca, près de Cannes, dont il est nommé chef.
Différents récits coexistent sur sa rencontre avec Gabrielle Chanel : selon les sources, celle-ci a pu avoir lieu à Suresnes chez Coty, à l’hôtel de Monte-Carlo, ou par l’intermédiaire de Paul Pléneau, directeur des établissements Chiris. Inspiré par le travail de Robert Bienaimé autour de l’aldéhyde C-12 dans Quelques fleurs d’Houbigant, « il mêla la formule classique du Parfum Idéal avec des aldéhydes et parvint à l’effet nouveau du N°5 » [3], selon Ernest Shiftan, alors chef du service de parfumerie fine IFF New York. L’histoire raconte qu’il présente plusieurs essais à Gabrielle Chanel, qui choisit le cinquième, mais aurait demandé à Ernest Beaux d’augmenter la quantité de jasmin, essence la plus onéreuse de la composition, pour qu’elle ne puisse être copiée. Pour rééquilibrer l’ensemble, il aurait décidé de surdoser également les aldéhydes. On a aussi parfois prétendu que cette surdose était due à une erreur fortuite d’un technicien de laboratoire. Mais il semble plus vraisemblable d’affirmer que « tout porte à penser que le parfum était déjà terminé lorsqu’ils se sont rencontrés ». [4] Quoi qu’il en soit, la composition est vite devenue une icône, dans son flacon sobre et à contre-courant des verreries de l’époque, et opère selon Edmond Roudnitska « une révolution dans la parfumerie, en raison de sa nouveauté et de la force de ses notes de tête, ainsi que de la suavité de sa base et de sa ténacité. Il a ouvert l’ère des parfums aldéhydés » [5]. Il sort en 1921, année où Ernest Beaux divorce de I. Schoeneich.

En 1922, le parfumeur est employé chez un négociant d’essences naturelles, Charabot (qui appartient depuis 2007 au groupe Robertet). Il compose alors le N°22. Et se marie avec Yvonne Girodon, à Cannes, où il réside dans la Villa Saint Henri. Ils auront ensemble une fille nommée Madeleine.
Puis, en 1924, il devient directeur technique des Parfums Chanel et conseiller chez Bourjois : il compose Cuir de Russie pour les premiers en 1927 et Soir de Paris pour les seconds, l’année d’après.
Parmi ses sources d’inspirations, Ernest Beaux cite à l’envi les œuvres culturelles qui ont pu nourrir son imagination : « Si nos pensées ne sont que fantaisies, cette fantaisie trouve, grâce au talent du parfumeur, une possibilité de réalisation ; ces pensées d’ailleurs sont forcément influencées par le milieu où nous avons vécu, par nos lectures, et nos artistes préférés. Ce furent pour moi les poètes et écrivains français et aussi la poésie de Pouchkine, les œuvres de Tourgueniev, Dostoïevski, la musique de Beethoven, Debussy, Borodine. Moussorgski. Le Théâtre impérial avec son ballet et l’Artistique de Moscou, la peinture de l’école française et les grands maîtres russes, Siéroff, Levitane, Répine et bien d’autres et surtout le milieu artistique que j’aimais tant à fréquenter ». [6]
En 1954, Henri Robert lui succède chez Chanel. Ernest Beaux s’éteint en 1961 dans son appartement du 16e arrondissement parisien et est enterré à l’Église Notre Dame de Grâce de Passy.

Parfumographie non exhaustive
1912 : Bouquet de Napoléon
1913 : Bouquet de Catherine, renommé Rallet N°1, puis Krasnaya Moskva (Moscou rouge)
1921 : N ° 5, Chanel
1922 : N°22, Chanel
1925 : Gardénia, Chanel
1927 : Cuir de Russie, Chanel
1928 : Bois des îles, Chanel ; Soir de Paris, Bourjois
1936 : Kobako, Bourjois

Et vous, quel est votre parfum préféré d’Ernest Beaux ?

Bibliographie indicative
Archives nationales
Ernest Beaux, « Souvenirs d’un parfumeur », in Industrie de la Parfumerie, Oct. 1946, pp.228-231.
Elisabeth de Feydeau, Dictionnaire amoureux du parfum, Plon
Michael Edwards, Perfume Legends II - French Feminine Fragrances, Emphase

Visuel principal : commons.wikimedia.org
Visuel publicité parfums Chanel : pinterest.fr

[1Robert de Saint-Jean, France-Soir, 1er avril 1948

[2Elisabeth de Feydeau, Dictionnaire amoureux du parfum, p.24

[3Ernest Shiftan, Review of the History of Perfumes, 2nd Joint Perfumery Symposium, p. 6

[4Michael Edwards, Perfume Legends II : French Feminine Fragrances, p.45

[5Edmond Cyrano, Les « nez » de la parfumerie : Edmond Roudnitska, Troisième dictionnaire des parfums de France, p. 92, cité par Michael Edwards, op. cit.

[6Ernest Beaux, Industrie de la parfumerie, n°7, octobre 1946

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