Auparfum

Histoire de parfumeurs : Jacques Guerlain, génie prolifique

par Jessica Mignot, le 13 août 2022

Après Aimé, c’est au tour de son neveu Jacques d’assurer la création de la maison familiale. On lui doit de nombreux classiques considérés encore aujourd’hui comme des chef-d’œuvres et qui ont fondé la signature olfactive de la marque.

Né à Colombes le 7 octobre 1874, il passe une partie de sa jeunesse en Angleterre pour son éducation. Il retourne à Paris où il étudie les humanités à l’école Monge et suit des cours de chimie organique à la Sorbonne. Formé par son oncle Aimé dès 16 ans, il est employé dans l’entreprise familiale en 1894 puis devient l’associé de Gabriel, son père, et de Pierre, son frère. Sa première création pour la marque est officiellement le Jardin de mon curé en 1895, même s’il a assisté son oncle dans son travail et créé un Ambre, en 1890 ; mais il faut attendre 1894 pour qu’il soit officiellement employé par la marque, après des études de chimie organique au laboratoire de Charles Friedel à l’Université de Paris. En 1900, lors de l’Exposition universelle, il présente Voilà pourquoi j’aimais Rosine !, qui reprend le prénom de naissance de Sarah Bernhardt en l’honneur de qui il l’a composé.

En 1905, Jacques Guerlain se marie à Paris avec Andrée Bouffait, surnommée Lily ; l’année suivante naît son fils, Jean-Jacques, au moment où sort Après l’ondée. Ils habitent dans un hôtel particulier rue de Murillo et séjournent souvent aux Mesnuls, vaste propriété des Guerlain proche de Rambouillet. En 1911, il compose L’Heure bleue pour retranscrire ce moment si particulier du jour, mais aussi en hommage à sa femme. « C’est un parfum si féminin et délicat, et qui cependant a le pouvoir de se démarquer dans une pièce pleine de gens. Par quelque tour de magie, Jacques Guerlain a réussi à faire en sorte que des produits riches semblent aériens et frais. C’est extraordinaire » note à son sujet le parfumeur Guy Robert. [1] Ce parfum embaumera des mouchoirs envoyés aux poilus lors de la Première Guerre mondiale. En 1914, juste après l’inauguration de la nouvelle boutique du 68 avenue des Champs-Élysées décorée par l’architecte Charles Mewès, Jacques est mobilisé. Il revient l’année suivante, blessé à l’œil.

Jacques travaille sans cesse, et nombreuses sont les créations devenues classiques : « Nous ne sommes pas plus de six ou sept personnes à être les témoins du travail acharné mais étonnamment précis de mon père, car il travaille seul, faisant lui-même ses mélanges avec une adresse manuelle que l’âge n’a pas altérée, les jugeant avec une finesse exceptionnelle mais aussi avec une grande sévérité ; il n’est jamais content de son résultat, et c’est pendant des mois (une dizaine en général) qu’une étude reste sur le chantier. [...] Je ne lui ai connu comme périodes de chômage que des rhumes de cerveau ! » témoigne son petit-fils Jean-Paul. [2] Après le chypre lancé en 1919, Mitsouko, du nom de l’héroïne du roman de Claude Farrère, La Bataille, Shalimar sort en 1925, dans un flacon « chauve-souris » d’inspiration indienne. Il reçoit le premier prix de l’Exposition des Arts décoratifs. En 1933, il compose Vol de nuit, dont le nom reprend le titre du roman de Saint Exupéry publié deux ans plus tôt. La maison propose également de nombreux produits de beauté, crèmes, fards divers et variés. L’institut de beauté des Champs-Elysées est inauguré en 1939. Mais la guerre s’annonce. En 1940, Pierre-Jacques, le fils cadet, meurt sur le front. Afin de protéger les formules convoitées par les Allemands, Jacques appelle les parfumeurs à détruire ces documents. Les difficultés d’approvisionnement de matières premières, mais également économiques et sociales, se font ressentir partout. Jacques ne crée plus. Mais les autorités allemandes souhaitent un parfum à leur gloire : Kriss naîtra sous la contrainte. En 1943, l’usine de Colombes est bombardée, Jacques perd le goût de la composition, mais forme son petit-fils, Jean-Paul, à la création : ils composent un dernier parfum à quatre mains, Ode. Il meurt le 2 mai 1963 à Paris et est enterré au cimetière de Passy.

Parfumographie non exhaustive
Ambre, 1890
Belle-France, 1892
Jardin de mon curé, 1895
À Travers champs, 1898
Voilà pourquoi j’aimais Rosine, 1900
Fleur qui meurt, 1901
Voilette de Madame, Mouchoir de Monsieur, Parfums des Champs Élysées, 1904
Après l’ondée, 1906
L’Heure bleue, 1912
Mitsouko, 1919
Shalimar, 1925
Liu, 1929
Vol de nuit, 1933
Ode, Sous le vent, 1955

Et vous, quel est votre parfum préféré de Jacques Guerlain ?

Bibliographie indicative
Archives nationales
Michael Edwards, Perfume Legends II - French Feminine Fragrances, Emphase
Rosine Lheureux, Une Histoire des parfumeurs : France 1850-1910, Champ Vallon
Jean-Paul Guerlain, La Route de mes parfums, Le Cherche-Midi
Elisabeth de Feydeau, Le Roman des Guerlain, Flammarion
Elisabeth de Feydeau, Les Parfums : histoire, anthologie, dictionnaire, Robert Laffont

Crédit visuel principal : Sarah Maycock (2018)
Visuel publicité Vol de Nuit : olfactoriastravels.com

[1Cité dans Michael Edwards, Perfume Legends II : French Feminine Fragrances, p. 29

[2Jean-Paul Guerlain, La Route de mes parfums

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par Nicolas020, le 16 août 2022 à 20:24

My God, this man was a genius. Après l’Ondée, Mitsouko, Shalimar AND L’Heure bleue ?? That’s a lot of master pieces !! They are all among the most iconic fragrances ever created....so impressive !!

I’ve worn Vol de Nuit for a long time and with enormous pleasure......so rich, so dense, and that breathtaking contrast between light and darkness......it has been my favorite for many years, but it has suffered tremendously from reformulations. As has Mouchoir de Monsieur. I had the opportunity to buy a bottle when Guerlain re-released it in the early 2000’s but it was so much money....the juice however was incredible ! I still regret not pulling out my credit card that day....

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DOMfromBE

par DOMfromBE, le 13 août 2022 à 12:04

Mitsouko a été le choc de mes 18 ans d’ado de province et reste un compagnon de route en version EDP, celle que je préfère. J’ai presque tout porté, n’ayant pas connu la version Cologne. Je radote régulièrement sur la disparition de la ligne de bain. J’adorais tout particulièrement les savons.
Cependant, compte tenu de ma très grande consommation de produits Chanel, j’avoue que Liu manque encore à la culture. Je vais essayer d’y remédier.

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