Histoire de parfumeurs : Ernest Daltroff, autodidacte cultivé
par Jessica Mignot, le 9 août 2022
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Ayant fondé sa société Caron sans formation particulière en parfumerie, Ernest Daltroff a pourtant marqué l’histoire de l’industrie par la beauté de ses créations et un regard ingénieux sur le marketing.
Biographie
Né le 17 novembre 1867 à Sainte-Cécile en Saône-et-Loire, Ernest Léon René Lucien Daltroff est issu d’une famille bourgeoise russe. Jeune homme d’1,70 m aux cheveux bruns et aux yeux marrons, il voyage beaucoup dans sa jeunesse, notamment au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et au Panama. Lorsqu’il s’installe à Paris, il est d’abord marchand de confections pour homme au 67 rue de Lévis ; mais il fait faillite en 1896. En 1903, il rachète avec son frère Raoul la parfumerie Emilia, à Asnières-sur-Seine, sans formation préalable. Une vocation que l’on raconte liée au souvenir du baiser parfumé de sa mère, qui appliquait quelques gouttes derrière ses oreilles avant de sortir. Ils commencent notamment par y vendre des poudres de riz.
En 1904, il fonde sa propre société, Parfums Caron, au 10 rue de la Paix. Ce nom est celui d’un acrobate en vogue, repris à l’ancienne propriétaire de la boutique, à la fois plus simple et de sonorité plus française – donc plus acceptable pour l’époque. C’est dans cette rue qu’il fait la rencontre de Félicie Wanpouille, qui deviendra sa compagne. Celle-ci était alors modiste – c’est-à-dire créatrice de chapeaux – et sait mettre à profit son expérience passée en devenant la dessinatrice des flacons Caron, et de manière plus globale la directrice artistique de la marque. Le frère d’Ernest, Raoul, quitte quant à lui la société pour travailler dans la publicité.
Les premiers parfums créés par Ernest Daltroff seraient Radiant, Royal Caron et Paris-London en 1904, mais c’est Le Narcisse noir en 1911 qui constitue le grand succès de la marque, notamment aux États-Unis. Selon le parfumeur Guy Robert, « la signature de Daltroff est bien reconnaissable dans ce parfum que l’on pourrait qualifier de violent. Issu d’un milieu social cultivé, [il] était profondément influencé par les tendances artistiques de l’époque. Les peintres fauves, impressionnistes et pointillistes avaient relégué le réalisme traditionnel de la “peinture académique” aux oubliettes de l’histoire. Je suis convaincu que c’est dans leur travail qu’[il] a trouvé son “moteur” créatif ». [1]
En 1918, invité avec François Coty à l’Exposition de New York, Ernest Daltroff remporte le prix de l’entreprise la plus prometteuse. Quelques années plus tard, en 1923, il ouvre une boutique à New York.
Le succès de Caron est également le fruit de la sensibilité du parfumeur envers les enjeux de son temps, ce qu’illustre à merveille Le Tabac blond, sorti en 1919, adopté par les femmes modernes qui s’approprient la cigarette. Autre coup de génie marketing et créatif, Pour un homme, sorti en 1934, est l’un des premiers parfums destiné spécifiquement au public masculin.
En 1935, il obtient le Grand Prix de l’Exposition internationale de Bruxelle, « décerné à la Parfumerie Caron dont les parfums sont inégalables » [2]. En 1936 sort French Cancan, que Vogue qualifie alors d’« insolent de jeunesse triomphante, de chair fleurie et de nuit close ».
Mais l’antisémitisme croissant pousse Ernest Daltroff à quitter Paris en 1940 pour s’installer à New York, laissant Félicie gérer l’entreprise avec Michel Morsetti, qu’il avait formé à la parfumerie et qui signera Royal Bain, Farnesiana ou encore Or et Noir. Il meurt en 1941 ; une pierre tombale grise, au bord gravés de fleurs, porte son nom dans un cimetière du Suffolk.
Parfumographie non exhaustive
Royal Emilia, Paris-London, Radiant, 1904
Chantecler, Modernis, Bel Amour, Ravissement, 1906
Affolant, 1908
Isadora, Parfum précieux, Rose précieuse, 1910
Le Narcisse noir, Elegancia, Jacinthe précieuse, 1911
Infini, 1912
Violette précieuse, 1913
N’aimez que moi, 1916
Mimosa, 1917
Le Tabac blond, 1919
Nuit de Noël, Narcisse blanc, Bichon Far, 1922
Acaciosa, Pocahontas, 1923
Bellogia, Pois de senteur, 1927
En Avion, 1929
Rocailles, 1933
Pour un homme, Fleurs de rocaille, 1934
Les Cent Fards, Madame peau fine, 1935
French Cancan, La Fête des Roses, Adastra, 1936
Alpona, Rose de Noël, Vœu de Noël, 1939
Et vous, quel est votre parfum préféré d’Ernest Daltroff ?
Bibliographie indicative
Archives nationales
Michael Edwards, Perfume Legends II - French Feminine Fragrances, Emphase
Rosine Lheureux, Une Histoire des parfumeurs : France 1850-1910, Champ Vallon
Jean-Marie Martin-Hattemberg, Caron parfumeur, Milan
Visuel principal : fraguru.com
Visuel publicité parfums Caron : parfumerie-opera-bordeaux.fr
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par Des Esseintes, le 9 août 2022 à 10:27
Quand on voit ce que Jean Jacques et madame de Rothschild sont en train de faire de Caron, on se dit que le pauvre Daltroff doit se retourner dans sa tombe !
La plupart des parfums mythiques ont disparu au profit de créations sans éclat, les mignardes fioles d’extraits (comme l’incomparable Alpona) qui faisaient ma joie ne sont plus qu’un lointain souvenir... Et que dire des actuels flacons ?
Bref, pour moi, Caron n’est plus !
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par Duolog, le 9 août 2022 à 11:02
Je suis moi-même assez peu séduit par certaines nouveautés comme Poivre sacré, cependant je serais moins dur que vous : Tabac blond vient de ressortir et il est vraiment beau, tout comme Narcisse noir, lui aussi reformulé pour lui faire atteindre la profondeur du jus vintage, bref pour le moment la maison semble porter une attention rare à la préservation de son patrimoine, tout en proposant des nouveautés (Aimez-moi comme je suis et Pour un homme - Le soir ont leur charme tout de même !).
Souhaitons que d’autres parfums mythiques retrouvent la route des rayonnages, mes dernières visites chez Caron étaient plutôt enthousiasmantes au milieu de notre paysage olfactif sinistré !
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par Des Esseintes, le 10 août 2022 à 09:47
Bonjour Duolog,
J’avoue ne pas avoir encore senti les reformulations de Tabac blond et de Narcisse noir.
Cependant, je ne vous rejoins pas quand vous dites que la nouvelle direction porte une attention rare à la préservation de son patrimoine quand on dresse la liste des parfums historiques disparus : Violette précieuse, Nuit de Noël, Bellogia, En Avion, Alpona, Acaciosa, Or et Noir, Farnesiana... Cela fait quand même beaucoup !
Et, malheureusement, je n’ai guère apprécié Aimez-moi comme je suis (sucraille imitant Vétiver Tonka) ni les variations de Pour un homme.
Nous verrons pour la suite !
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par Duolog, le 10 août 2022 à 14:04
Disons que j’exprimais mes encouragements, car ô joie Farnesiana est aussi de retour, en bonne forme !
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par Des Esseintes, le 10 août 2022 à 16:27
Oui, j’en ai également entendu parler ! J’espère que nous retrouverons le sublime bouquet de cassie et le fond délicieusement baumé qui en faisaient tout le charme !
Et vous avez raison pour les encouragements : concentrons-nous sur ce qu’il reste de beau chez Caron et autres vénérables.
par Petrichor, le 11 août 2022 à 18:39
Mon bouc émissaire était plutôt Richard Fraysse, à tort ou à raison. Donc quand on lui a montré la porte, j’ai tout de suite mieux respiré. (C’est un peu comme pour François Demachy chez Dior, d’ailleurs). Mais ce ne sont que des suppositions.
C’était énervant de voire sortir un énième floral insipide, surtout ses roses, dont je trouvais l’accord à la fois synthétique et insipide. (Juste mon goût).
Pendant ce temps, les classiques pour femme s’appauvrissaient. C’était à la fois pour des raisons légitimes. Il s’agissait presque tous de chypres (mousse de chêne), avec une facette œillet (eugénol), et des notes animales (et du santal, bref "la caronade"). Dit autrement, c’était le triangle des Bermudes des reformulations impossibles :D
Mais c’était aussi pour des raisons non excusables : je trouve qu’il y avait de la radinerie sur ce qu’on sentait, alors que les prix des extraits de parfum restaient haut et qu’on nous mentait allègrement en boutique.
Par contre les masculins ont bien tenu, "Pour un homme", "Le 3ème homme", "Yatagan", et certains féminins étaient bien, comme "Aimez-moi" -de Ropion, mais j’aurais dit Maurice Roussel-, "Parfum sacré" de Françoise Caron, et la tubéreuse. (Pas follement originale comparée à "Fracas" de Piguet, mais bonne :) ).
Je n’ai pas fait mes devoirs, je n’ai pas senti les Caron actuel. Par contre j’ai récupéré des EDP d’occasion de 2018 environ, neuves, et la qualité était là, donc je ne m’inquiète pas pour les rééditions qui sortiront.
Ce "Farnesiana" concurrence la version actuelle de "L’heure bleue" (un jasmin friand, qui bénéficie d’extrait naturel de mimosa, je trouve), "Une rose" me semble être une rose centifolia dont on accentue à peine les facette de confiture de mûre, la "Tubéreuse" toujours bonne, etc. Les gens n’en auraient peut-être pas eu assez pour leur argent (cher, et plus proche d’EDT que d’EDP), mais le soin dans l’approvisionnement des matières premières étaient indéniables, sans compromission, et bien mis en valeur. Il y avait un style et une cohérence dans ces versions de 2017.
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Bonjour,
J’ai tenté Pour un homme, qui m’a fallu quelques migraines. Par la suite, j’ai porté Narcisse noir, que mon ex m’empruntait très régulièrement. Mais c’est surtout avec le Tabac blond que j’ai de jolis souvenirs. Un parfum radical, comme un chocolat à plus de 90%. Il faudrait vraiment que je teste sa version actuelle.
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