Histoire de parfumeurs : Henri Robert, maître du vert
par Olivier R.P. David - Jessica Mignot, le 26 août 2022
- Histoire de parfumeurs : les racines de la parfumerie moderne
- Histoire de parfumeurs : Aimé Guerlain, tradition et rupture
- Histoire de parfumeurs : Paul Parquet, fougère pionnière
- Histoire de parfumeurs : Ernest Daltroff, autodidacte cultivé
- Histoire de parfumeurs : Jacques Guerlain, génie prolifique
- Histoire de parfumeurs : François Coty, industriel visionnaire
- Histoire de parfumeurs : Ernest Beaux, iconiques aldéhydes
- Histoire de parfumeurs : Robert Bienaimé, scientifique investi
- Histoire de parfumeurs : Henri Robert, maître du vert
- Histoire de parfumeurs : Jean Carles, Grassois pédagogue
- Histoire de parfumeurs : Madame Zède, mystérieuse parfumeuse
- Histoire de parfumeurs : Paul Vacher, le parfum au-delà du luxe
- Histoire de parfumeurs : Germaine Cellier, parfumeuse fougueuse
- Histoire de parfumeurs : Joséphine Catapano, une parfumeuse pionnière à New York
- Histoire de parfumeurs : Sophia Grojsman, virtuose de la rose
Travaillant d’abord pour des marques comme Parfums d’Orsay puis pour Coty à New York, Henri Robert succède ensuite à Ernest Beaux à la direction de la création des parfums chez Chanel, où il officie durant plus de vingt ans.
Fils de Joseph Marius Robert et de Marguerite Catherine Théodora Sicardi, Henri Louis Joseph Robert est né le 30 septembre 1899 à Grasse. Après la Première Guerre mondiale, il entre en tant qu’apprenti parfumeur chimiste aux établissements Chiris-Rallet, où il est formé par son père aux côtés de Vincent Roubert, d’Ernest Beaux et d’Henri Alméras.
Il travaille d’abord avec ce dernier chez Parfums d’Orsay et pour de grandes maisons parisiennes de l’époque comme Arys et Fould-Springer.
Il épouse à Paris, le 25 juin 1931, Andrée Fourmann, avec qui il vit au 26 rue de Norvins dans le 18e arrondissement. C’est Vincent Roubert qui est leur témoin de mariage.
Dans les années 1940, il quitte la France pour s’installer à New York où il travaille pour la société Coty, pour laquelle il crée Muguet des bois en 1942, qui constituait alors, selon Edmond Roudnitska, « le meilleur muguet jamais créé. Il mettait en avant le suc vert de la fleur. Il était magnifique, bien meilleur que celui que j’avais moi-même composé. Je me demandais comment Henri Robert avait réussi à créer un tel chef-d’œuvre en 1942, avec si peu de moyens. Mais il n’a jamais eu beaucoup de succès, car ce n’était pas vraiment un parfum que l’on pouvait porter ». [1]
En 1945 il se lance comme consultant pour la parfumerie américaine à New York, et devient l’année suivante représentant aux États-Unis pour la société « Les Fils de Joseph Robert » spécialisée dans les matières naturelles (avec son frère Victor) et pour Synarome, en fondant la « Henri Robert Inc. ». Il forme son neveu Guy Robert qui devient ensuite responsable des laboratoires grassois de la société.
En mars 1949, il cesse de représenter Synarome et prend en septembre la direction de la division De Laire de la « Dodge & Olcott Inc. », présidée par Joseph F. Rudolph et qui représentait les Fabriques de Laire depuis plus de cinquante ans aux États-Unis.
De retour en France, Henri devient parfumeur en chef dans le laboratoire de recherche De Laire à Issy-les-Moulineaux à partir de 1950. Il y confectionne les « spécialités », c’est-à-dire des bases de Laire. En 1952, il rejoint la société Chanel à Paris, et travaille pour Bourjois et Barbara Gould.
Deux ans plus tard, il prend le titre de directeur technique des parfums Chanel, où il travaille avec Constantin Weriguine et crée Pour Monsieur en 1955. Il y était notamment connu pour être un acheteur exigeant de matières premières, comme le rapporte Jacques Helleu, ancien directeur artistique de la marque : « Bien que le N° 5 ne soit pas son propre “enfant”, il s’est battu pour lui toute sa vie. Il achetait le meilleur jasmin pour lui, choisissait le meilleur ylang-ylang, et a adapté la formule pour les versions parfum de toilette et eau de toilette ». Mais l’enjeu était aussi de sortir un nouveau grand féminin. Or, succéder à Ernest Beaux et à cette création mythique « l’a mis dans une position très difficile chez Chanel. [...] Pourtant, pour nous, chez Chanel, le N° 19 est l’un des plus grands parfums du monde » [2], poursuit-il. C’est en 1970 que sort ce chef-d’œuvre composé à l’aide de son assistante, Mme Béchet et qui emploie entre autres la base Coroliane, qu’il avait créée quelques années plus tôt chez De Laire, et l’Hedione tout juste synthétisée par Firmenich. Henri Robert en présente ainsi le développement : « N’allait-il pas, de toute façon, ralentir l’ascension du N° 5 qu’une amélioration constante de la qualité avait accélérée ? Un parfum moins bon, même neutre, affaiblira l’image de marque. En 1968-1969, il fut décidé d’accorder à Mademoiselle Chanel la réalisation d’une comédie musicale et la promesse qu’un nouveau parfum serait lancé en même temps. Ce lancement devait être limité, lancé en Suisse et présenté ensuite rue Cambon avec la nouvelle collection, quelques mois plus tard. Un nouvel accord avait été créé sur des principes d’harmonie tout à fait nouveaux et insolites, que nous expérimentions, associant dans des proportions inattendues des matières premières particulièrement difficiles à employer à d’anciennes bases travaillées depuis longtemps et dont nous possédions bien le maniement. Nous fûmes tentés par l’expérience. L’avis de Mademoiselle Chanel et de son entourage nous intéressait. Quelques heures après, on m’annonçait que le parfum était choisi. Sur le thème de cette base, nous entreprîmes donc nos recherches. La note choisie étant très différente de celle du N° 5, dans sa tonalité, sa facture, sa destination, elle ne risquerait pas de lui porter préjudice. Mais ce n’était qu’une base. Il fallait en faire un parfum. C’est-à-dire lui donner de la richesse, de l’élégance, en un mot, le “style de Mademoiselle Chanel”, ce qui fut réalisé en quelques semaines » [3]. Le numéro correspond à la date d’anniversaire de Coco Chanel, le 19 août. La créatrice décède l’année suivante.
En 1973, Henri Robert reçoit le prix Giuliana-Brambilla des établissements Laserson & Sabetay, puis compose Cristalle, sorti en 1974. Trois ans plus tard, il recrute François Demachy chez Chanel, et laisse sa place à Jacques Polge en 1978. Il s’éteint à Mougins le 7 juillet 1987.
Parfumographie non exhaustive
Le Dandy, D’Orsay, 1926
Muguet des bois, Coty 1942
Ramage et Premier muguet, Bourjois, 1950
Glamour, Bourjois, 1953
Pour Monsieur, Chanel, 1955
Evasion, Bourjois, 1970
N°19, Chanel, 1970
Cristalle, Chanel, 1974
Et vous, quel est votre parfum préféré d’Henri Robert ?
Bibliographie indicative
Archives nationales
Michael Edwards, Perfume Legends II - French Feminine Fragrances, Emphase
Henri Robert, Souvenirs d’un parfumeur, Rivista Italiana
Henri Robert, Conférence à l’Académie d’osmologie et de dermatologie, 8 novembre 1977
Annick Le Guérer, Le Parfum, des origines à nos jours, Odile Jacob
Visuel principal : chanel.com
Visuel publicité Nº19 de Chanel : picclick.fr
[1] Michael Edwards, Perfume Legends II - French Feminine Fragrances, p. 121
[2] Ibid, p.163
[3] Henri Robert, Conférence à l’Académie d’osmologie et de dermatologie, 8 novembre 1977
à lire également
par Nicolas020, le 27 août 2022 à 11:16
It would be a very hard choice between Pour Monsieur, no. 19 and Cristalle........three total masterpieces !
And then to think that no. 19 was created in a few weeks only....wow !
Thank you for this interesting article. This whole perfumer series is a joy to read !
à la une
Infusion de gingembre - Prada
C’est un accord fusant et lumineux entre deux matières pourtant souterraines – le gingembre et le vétiver – qui vient compléter cette année la gamme des infusions de Prada.
en ce moment
il y a 7 heures
Plus de treize ans après la disparition de Mona Di Orio, c’est au tour de la maison de parfums(…)
il y a 10 heures
Moi aussi suis inquiet, de plus pas de commentaire sur un parfum que tout le monde peut sentir(…)
il y a 15 heures
Je suis un peu inquiet, le dernier article d’auparfum date du 30 septembre. Est-ce que tout va(…)
Dernières critiques
Berbara - Nissaba
À fond la gomme
Palissandre night - Mizensir
Ombres ligneuses
Back to the roots - Vilhelm Parfumerie
Prendre racine
par Tamango, le 24 septembre 2022 à 08:29
Le 19 évidemment suivi de près par Cristalle. Nostagie oblige, cet article remet en lumière Évasion l’un de mes premiers parfums de jeune fille avec l’Eau Jeune (flacon vert) tous deux achetés à l’époque chez Monoprix et qui ont marqué définitivement de leur empreinte mes goûts en matière de parfums.
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus