Ces parfums qui soufflent leurs bougies en 2023
par Jessica Mignot - Jeanne Doré - Anne-Sophie Hojlo, le 14 avril 2023
Ils ont marqué leur temps et continuent de teinter notre paysage olfactif après une ou plusieurs décennies d’existence. Retour sur les créations emblématiques qui fêtent un âge rond cette année, entre illustres aînés et jeunes premiers.
Cette année, il n’y a d’ailleurs pas que des parfums qui célèbrent leur année de plus !
Parmi les ancêtres, citons la maison Trudon qui fête ses 380 ans, Amouage née il y a 40 ans, Parfum d’empire qui célèbre ses 20 ans, mais aussi le studio de création Flair, qui souffle ses dix bougies, ainsi que la boutique indépendante Le Nez insurgé qui a organisé pour ses 8 ans d’existence un festif bras de fer olfactif la semaine dernière.
Quant à Auparfum, il atteindra ses 16 printemps en juin, tandis que la revue Nez et le site qui l’accompagne affichent tout juste 7 ans au compteur en ce 14 avril !
Mais passons maintenant aux parfums qui ont traversé les décennies, voire les siècles et qui fêtent en 2023 un âge tout rond. Et si vous aimez vous replonger dans le passé de la parfumerie, nous vous conseillons vivement la lecture d’Une histoire de parfums, signé Yohan Cervi, que vous pouvez par ailleurs écouter dans un Podcast by Nez qui vient d’être publié.
Les 150 ans de...
Original English Lavender de Yardley
Moins célèbre en France qu’au Royaume-Uni, où elle est un emblème depuis l’ère victorienne, et aux États-Unis où elle est importée depuis 1880, cette cologne met à l’honneur une lavande historiquement cultivée dans le sud de l’Angleterre. Celle-ci délivre une fraîcheur propre, savonneuse et pure, voire puritaine, à peine habillée d’une petite touche de néroli et de sauge sclarée, bercée par un lit douillet de fève tonka et de santal épicé.
Les 100 ans de...
Royal bain et Narcisse blanc de Caron
Une vingtaine d’années après la fondation de sa marque, Ernest Daltroff compose Royal Bain de Champagne à la demande, raconte-t-on, d’un milliardaire habitué à se baigner dans le breuvage. Le nom, déposé en 1923, sera modifié en 1996 pour des questions d’AOC. Cette violette désuète, fruitée et cosmétique existe toujours dans son flacon en forme de bouteille, et à un prix très accessible !
C’est aussi en 1923 que le parfumeur ouvre sa filiale aux États-Unis : Narcisse blanc sera mis sur le marché à cette occasion. Supprimé ensuite, il est réimaginé par Jean Jacques à son arrivée dans la maison.
Les 90 ans de...
Vol de nuit de Guerlain
Lancé la même année que la création de la compagnie Air France, Vol de nuit est composé par Jacques Guerlain en hommage au roman éponyme de Saint-Exupéry paru deux ans plus tôt, qui raconte les aventures de pilotes de l’Aéropostale en Argentine. Chef d’œuvre moins connu que d’autres Guerlain, il se démarque par sa complexité et sa justesse. Son ouverture verte et terreuse gonflée au galbanum accueille un bouquet floral animal, épicé, boisé, qui se fait ensuite à la fois ambré, chypré et oriental, délivrant la chaleur ronronnante d’une fourrure vintage.
Les 70 ans de...
Youth-Dew d’Estée Lauder
Marquant les débuts d’une parfumerie américaine audacieuse et décomplexée, Youth-Dew est d’abord lancé comme une huile de bain très concentrée, parfumant du matin jusqu’au soir. Devant le succès, celle-ci sera déclinée en eau de parfum, qui, contrairement à ce que son nom (« rosée de jeunesse ») laisse croire, n’a rien d’innocent : cet oriental épicé, première composition de Joséphine Catapano, délivre un cortège opulent d’œillet, de rose, de cannelle et de patchouli, qui inspirera quelques années plus tard la création d’un autre grand succès, en France cette fois : Opium d’Yves Saint Laurent…
Les 50 ans de...
Private Collection d’Estée Lauder
Vingt ans plus tard, la marque propose à l’inverse un sillage très Upper-East comme une balade dans Central Park, entre évocation de gazon fraîchement tondu, galbanum terreux, tilleul et mimosa poudrés, fleur d’oranger ensoleillée. Un floral vert aussi printanier que sophistiqué.
Coriandre de Jean Couturier
Ce chypre floral cinquantenaire est signé par l’une des rares parfumeuses de l’époque, Jacqueline Couturier, cofondatrice de la société du même nom avec son mari Jean. Dans ce premier parfum pour sa marque, elle mêle la coriandre au géranium, à l’angélique et à la rose, sur un fond boisé moussu animal. Contrairement à Shocking de Schiaparelli, à qui il rendait hommage, Coriandre se trouve, lui, toujours aisément, et à un très bon prix !
L’Autre de Diptyque
Création de la première heure de la maison inspirée des carnets de voyages de ses créateurs, L’Autre demeure un concentré de sensations étranges, qui semble issu de contrées exotiques imaginaires. Aromates, agrumes et épices en tout genre enrobés de baumes résineux et de bois crémeux : tous les ingrédients d’une parfumerie de niche sans contraintes ni compromis sont réunis.
Paco Rabanne pour homme de Paco Rabanne
Cinquante ans avant l’ère des petits robots aux sillages fruités vanillés, la masculinité chez Paco Rabanne sentait le propre et le savon à barbe. Figure emblématique de la « fougère à papa » avec ses notes de bergamote, géranium, lavande, romarin, sur fond poudré et mousse, Paco Rabanne pour homme est tellement vintage qu’il en est devenu intemporel.
Les 40 ans de...
Gold pour femme d’Amouage
Pour sa première création en 1983, la marque Amouage, mandatée par Son Altesse le Sultan d’Oman fait appel à Guy Robert qui compose avec Gold pour femme un floral aldéhydé dans toute sa somptuosité, dans un faste de belles matières. Tenue et sillage sont au rendez-vous pour ce grand classique qui annonçait la couleur d’une marque où l’audace côtoie toujours l’opulence.
Jardins de Bagatelle de Guerlain
Jean-Paul Guerlain exécutait au même moment un autre floral classique avec son Jardin de Bagatelle où mille fleurs s’entrelacent pour offrir un sillage lui aussi conséquent. Très bourgeois, il évoque les permanentes et les carrés de soie d’une Catherine Deneuve à la personnalité affirmée.
Diva d’Ungaro
Dans la série des floraux aldéhydés lancés cette même année, on n’oubliera pas non plus le très beau Diva, créé par François Demachy et Jacques Polge pour Ungaro. Une rose miellée mais pas mielleuse qui se pare d’un fond moussu et boisé caractéristique des chypres rétros, pour un résultat à la fois propre et animal, dense et aérien.
Paris d’Yves Saint Laurent
C’est une autre rose que nous offre Sophia Grojsman avec Paris, où l’on voit apparaître pour la première fois l’accord signature de la parfumeuse mêlant la reine des fleurs à la violette et à un accord boisé et musqué, qu’elle reprendra ensuite à de nombreuses reprises. Dirigé par Chantal Roos, cet hommage d’Yves Saint Laurent à la ville lumière reste aujourd’hui l’une des compositions signatures de la maison.
L’Ombre dans l’eau de Diptyque
Ici, la rose se fait plus aquatique sous les mains de Serge Kalouguine. Naturaliste, verte et humide, elle incarne une toute autre esthétique, défendue par la parfumerie de niche encore très discrète : la recherche d’une certaine forme d’authenticité, loin du faste et des sillages opulents.
Les 30 ans de...
Classique de Jean Paul Gaultier
Réminiscence des fleurs blanches emblématiques des années 1980, Classique semble quant à lui n’avoir pas pris une ride. Signé par Jacques Cavallier Belletrud, ce floral poudré, crémeux et capiteux était un hommage de Jean Paul Gaultier à la trousse à maquillage de sa grand-mère. Il a connu et connaîtra encore de nombreuses déclinaisons : quel sera son prochain habit de scène ? Les paris sont ouverts.
Yvresse d’Yves Saint Laurent
Faisons sauter le champagne pour Yvresse, d’abord paru sous le nom du célèbre vin pétillant avant de devoir être renommé trois ans plus tard, suite à un procès du Comité interprofessionnel du vin de Champagne. Créé par Sophia Grojsman, il en évoque l’effervescence dans une écriture chyprée fruitée acide, illustration parfaite d’une époque qui « se veut ouverte aux beautés neuves et abandonne les familles olfactives traditionnelles des décennies précédentes », comme l’analyse Yohan Cervi dans Une histoire de parfums.
Ambre sultan de Serge Lutens
Si Féminité du bois était mis à l’honneur en 2022, c’est son petit frère Ambre sultan, autre grand parfum culte de Serge Lutens, qui souffle ses trente bougies cette année. Souvent imité, rarement égalé, il constitue non pas une simple illustration de la famille olfactive mais un véritable pilier du genre. De l’accord vanille - ciste labdanum qui en fait la signature, Christopher Sheldrake exacerbe notamment de cette dernière l’aspect aromatique, résineux voire fumé, avec ses épices chaudes qui s’accrochent à la peau et la transforme en une garrigue sèche et brûlante au milieu de l’été. La marque offrait la même année Rose de nuit, restée somme toute bien plus discrète.
Les 20 ans de...
Rose tonnerre (ex Une Rose) et L’Eau d’hiver des Éditions de parfums Frédéric Malle
Le nouveau millénaire a été marqué par l’émergence de la parfumerie de niche, dont les Éditions de parfums Frédéric Malle constituent l’une des pierres angulaires. En 2003, c’est Une Rose – réédité il y a peu sous le nom de Rose tonnerre – et L’Eau d’hiver qui viennent orner les étagères de la marque. La première, signée Edouard Fléchier, habille avec majesté la reine des fleurs, encore plongée dans sa terre humide et sombre, dans l’atmosphère lourde et saturée d’une roseraie. Dans la seconde, décrite comme « la première eau chaude », Jean-Claude Ellena met à l’honneur une floralité plus légère : celle, poudreuse, amandée et musquée, que le nez attrape lorsque bourgeonnent les pompons d’un mimosa en fleur, comme un soleil dans l’air frais de février.
Bois farine de L’Artisan parfumeur
Le même parfumeur signe aussi la même année cette création, s’inspirant alors d’un arbre de l’Île de La Réunion, le Ruizia cordata, dont les fleurs présenteraient une odeur de farine. Amande et noisette grillés, notes poudrées et poudreuses, bois crémeux et fumés nous offrent une gourmandise subtile, à mille lieux des sucrés collants qui vont prendre toute les parts du marché, et annoncent avec vingt ans d’avance la tendance des fruits secs qui émerge aujourd’hui.
Un Jardin en Méditerranée d’Hermès
2003 est décidément une année prolifique pour Jean-Claude Ellena : chez Hermès, il compose un hespéridé où la figue et ses feuilles vertes tiennent la place centrale, au beau milieu de ce Jardin en Méditerranée, dans une ambiance chaleureuse traversée d’air frais.
Le Baiser du dragon de Cartier
Chez Cartier, on prend le large pour accoster quelque part en Asie : dansant entre un chypre et un ambré qui conjugue le vétiver au féminin, Le Baiser du dragon, signé Alberto Morillas, diffuse son souffle chaud de baumes, de fumées et de fleurs.
Tam Dao de Diptyque
Non loin de là, Diptyque nous propose une escale dans les pas des fondateurs de la maison à Tam Dao, du nom d’un parc national du Vietnam. Construite autour du bois de santal à la fois lacté et fumé, la création de Daniel Molière souffle elle aussi ses vingt bougies.
Duel de Goutal Paris
Duel, autre création d’une parfumerie de niche pionnière, fait de même. Composé par le duo Camille Goutal et Isabelle Doyen, il convoque l’imaginaire d’une joute de cavaliers sophistiqués, dont les montures harnachées de cuir seraient encore empreintes des effluves de foin.
Eau de gloire de Parfum d’empire
Avec cette Eau de gloire, Marc-Antoine Corticchiato lance sa propre marque, aujourd’hui culte. Une « eau aromatique » qui célèbre le maquis corse, un thème qui reviendra toujours comme un fil d’Ariane pour cet originaire et amoureux de l’Île de beauté. Agrumes, aromates, immortelle et ciste rendent ainsi hommage à « ceux qui l’ont quitté pour partir à la conquête du monde », selon les mots du parfumeur.
Amor Amor de Cacharel
Mais revenons à nos gourmands : ceux sont bien eux qui vont marquer la décennie, annonciateurs des sillages collants explosifs à venir. Pour l’instant, on reste assez light : avec Amor Amor de Cacharel et son registre de floral fruité teinté de grenadine, Dominique Ropion et Laurent Bruyère ont ainsi parfumé nombre d’actuelles trentenaires alors encore déambulant dans la cour de récré de leur collège ou lycée.
L’Instant de Guerlain
Cette petite douceur proposée par Guerlain illustre aussi cette tendance émergente, avec finesse cependant. La guerlinade traditionnelle, qui évoque à elle seule le registre pâtissier – mais sans surdose de glucose – est ici habillée par Maurice Roucel d’un bouquet floral et d’un fond ambré et crémeux.
For Her de Narciso Rodriguez
Autre grand succès de l’époque, For Her est le premier parfum du styliste Narciso Rodriguez. Christine Nagel et Francis Kurkdjian reprennent l’accord chypré classique des années 1980 pour le moderniser avec notamment des muscs miellés denses. Son sillage remarquable entre tous annonce à la fois celle qui le porte et l’engouement croissant pour les fragrances puissantes.
Les 10 ans de...
Sì de Giorgio Armani
On retrouve Christine Nagel et un néo-chypre surpuissant, cette fois habillé d’une tête fruitée acidulée de cassis salivant. Un an après le lancement de La Vie est belle de Lancôme, les équipes de L’Oréal tentent de rejouer la même formule gagnante : notes gourmandes, sillage atomique et star hollywoodienne en tête d’affiche (Cate Blanchett ici). Une réussite, au vu du nombre de flankers nés depuis.
Invictus de Paco Rabanne
Au rayon masculin, la création d’Anne Flipo, Dominique Ropion, Olivier Polge et Véronique Nyberg impose sa virilité dominatrice et stéréotypée. Sa fraîcheur marine sur fond de bois ambrés brutaux lui ouvre les portes du succès.
Eau de narcisse bleu d’Hermès
L’approche se fait bien plus subtile chez le sellier parisien. Jean-Claude Ellena, qui dit s’être inspiré de l’aspect tactile d’une matière, nous offre une délicieuse cologne d’un nouveau genre, aux facettes végétales, tendres et poudrées.
1932 de Chanel
Du côté des gammes exclusives, Jacques Polge rend hommage à la collection de bijoux en diamants présentée par Gabrielle Chanel en 1932 avec une composition qui combine avec élégance des thèmes chers à la maison : effets scintillants, iris altier et jasmin lumineux.
Iris Nazarena d’Aedes de Venustas
En parfumerie de niche enfin, Ralf Schwieger propose un traitement moins classique du rhizome pour la marque new-yorkaise : terreux et racinaire plutôt que poudré et raffiné, l’iris s’unit à l’encens sur fond de notes boisées ciselées.
Black de Comme des garçons
Quant à la maison japonaise, elle reprend les motifs olfactifs qui lui sont chers (encens, bois brûlé, épices), mais en évitant la redite, dans une composition absolument noire signée Guillaume Flavigny.
À l’année prochaine !
Thèmes
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Royal Bain de Champagne en 1923 ?
Il ne s’agirait pas plutôt de 1941 ?
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par magnan06, le 24 avril 2023 à 05:55
Apparemment, Caron a lancé "Bain de Champagne" autour de 1924.
En 1938, la maison Jeurelle-Seventeen aurait été poursuivie par Caron pour plagiat, concernant "Bain Mousseux", datant de 1937.
Et en 1941 aurait été lancé "Royal Bain de Champagne", une version retravaillée et différente de "Bain de Champagne".
Voir la publicité d’époque, indiquant "Bain de Champagne" :
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