Ambre Sultan

Dans la série de la quinze ou vingtaine de parfums magistraux de la gamme Serge Lutens, il en est un plus connu que tous les autres qui parvient à cette quadrature du cercle qui veut qu’on plaise aux plus naïfs et aux plus pointus.
Ambre Sultan trône ainsi au même titre qu’Iris Silver Mist, Tubéreuse Criminelle, Féminité du Bois, Serge Noire et Muscs Koublaï Khän, au firmament des chefs d’œuvre de la constellation Lutens.

Culte dès son lancement, en 1993, son succès, depuis près de vingt ans, ne se dément pas.
Par snobisme et/ou volonté de se démarquer, on peut souvent lire que tel ou tel autre parfum qui proclame "ambre" dans son titre est "meilleur" qu’Ambre Sultan. Mettons-nous d’accord tout de suite : des copies outrancières, rarement ; différents, souvent ; très inspirés, parfois.
Ambre Sultan est, je pense, pour beaucoup, l’une des premières découvertes du style lutensien. Mais, par la suite, il semble peut-être moins original que d’autres créations de cette marque, ou se trouve écrasé par les nouvelles découvertes qui ont lieu. Pourtant, il mérite de lui consacrer un peu de temps et de donner de soi (de sa peau).

Faisons appel à un autre maître d’œuvre célèbre, entre autres, pour des Jardins et un ambre au tabac aromatisé : Jean-Claude Ellena. Reprenons l’un de ses enseignements tiré de son abrégé d’odeurs en annexe à son Journal d’un Parfumeur :
ambre = ciste-labdanum + vanill(in)e. Point.
Rien de plus simple que de réaliser un ambre. Un enfant de 7 ans le pourrait. (Ou presque, parce que, bon, quand même...) Prenez de l’huile essentielle de ciste ou un absolu de labdanum et associez-la/le à de la vanill(in)e et vous obtiendrez un résultat que plus de la moitié de la planète appréciera et qualifiera de "chaud", "rond", "sensuel" et "addictif".
Mais, presque toujours, c’est la même histoire dont on déroule les grosses ficelles. Au point, parfois, de sombrer dans le plus profond des ennuis.

Les parfums Lutens sont souvent des caricatures de traits, principaux ou secondaires, déformés jusqu’au ridicule et au sublime : indoles qui sentent la naphtaline et la chair putride dans Fleurs d’Oranger vintage ; fruits dans Une Voix Noire ; épices d’Arabie, El Attarine et Santal de Mysore ; bestialité crue dans Muscs Koublaï Khän ; camphre dans Tubéreuse Criminelle ; cèdre de Féminité du Bois ; iris dans... Iris Silver Mist...
Ambre Sultan voit, lui, la facette aromatique du ciste-labdanum augmentée au point d’en faire un ambre régulièrement décrit comme "très masculin". En effet, l’amertume verte herbacée du laurier et de l’origan rééquilibre les facettes chaudes et enveloppantes considérées comme "plus féminines" et rendent cette création immédiatement reconnaissable. Le styrax et le myrte jouent les transitions entre les inflexions ambrées, résineuses et celles aromatiques des plats méditerranéens. Des épices pimentent un encens poussiéreux et rendent encore l’impression plus originale. (Sinon, ce ne serait pas tout à fait un Lutens...)
Là où ses successeurs augmentent souvent le volume des facettes résineuses du ciste ou les facettes fruitées de pomme beurrée compotée à la cannelle, Ambre Sultan se fait généreux sans être trop suffocant, enveloppant sans être collant grâce aux notes épicées et aromatiques presque culinaires qui insufflent un souffle d’air frais respirable dans toute cette sensation de baumes vanillés épais.
Tandis que la plupart des ambrés mettent en lumière la vanille, accessible et qui plaît à presque tou(te)s à moindres coûts, nombre d’autres beaux ambres relèvent davantage de l’exercice de style radical pour ne pas avoir l’air d’être trop faciles en faisant la part belle au ciste-labdanum résineux, confit et épais. Ambre Sultan, par son équilibre parfait entre l’enveloppement chaud ambré et la légèreté des feuilles herbacées, lui, ne cherche qu’à être ce qu’il est, sans facilité ni parti pris arty ; juste LE meilleur.