Me
Lanvin
Not a tuberose
par Thomas Dominguès (Opium), le 30 juillet 2013
Lors de l’une de ses publications, exaspéré de lire des communiqués de presse et des pyramides olfactives qui relevaient davantage de l’imposture que de la véritable information, Luca Turin, le critique assez réputé, s’est amusé à lister les parfums annoncés comme des gardénias qui n’en étaient en réalité pas, par un liminaire " Not a gardenia !".
Ainsi, comme me le précisait Jicky, dès lors que vous avez accès à une pyramide de composition qui paraît très classique dans ses éléments et frôlerait même la banalité, vous pouvez souvent traduire cela par un simple et banal floral fruité shampooiné au mieux, ou un patchoufruit cariogène au pire. (Combien de fois nous a-t-on parlé de "bouquet floral féminin sensuel" pour qu’au nez on reconnaisse un mutant entre crème caramel-vanille et yaourt à la fraise ?)
Tuberose or not ?
Dans cet ordre d’idées, il semble qu’à l’avenir, dans le Que sais-je ? consacré au Parfum, on puisse définir et prendre pour synonymes de "bergamote - accord rose, jasmin, gardénia - bois - patchouli - vanille", non pas un parfum classique comme le No.5, mais n’importe quel floral aromatisé à la poire pour shampooing ou n’importe quel sirop de glucose et coulis de fruits rouges dégoulinants d’un floral délavé indistinct.
Pourquoi ces quelques précisions ? Car il apparaît que l’iris n’est pas la seule matière revendiquée qui se révèle subliminale ou rêvée dernièrement. La tubéreuse est, elle aussi, convoquée dans des sorties récentes... sans qu’on la perçoive outre mesure. Or, qu’on ne perçoive pas toujours le poudré délicat de l’iris dans une composition plus sonore, ma foi, parfois, pourquoi pas. Mais, que l’on n’entende pas la diva soprano hystéro qui gueule à tout-va qu’est la tubéreuse me laisse "dubiter" plus sérieusement.
Flash : "Not a tuberose !" pourrait écrire Luca Turin.
Me : "Not a tuberose !" pourrait-il rajouter. "... f*ckin’ bastards !" compléterais-je avec énervement.
Pourtant, elle est/était bien indiquée en tête et en cœur de ce parfum, deux fois plutôt qu’une . alors que je ne la détecte pas. Et, je connais bien la tubéreuse. Ou plutôt, les tubéreuses. Et, dans Me, je ne l’entends pas chanter, ni même susurrer sous son déguisement.
Entre rose viandeuse et vague oeillet
Cela étant posé, pour autant, je crois plutôt bien apprécier Me. Mais, je n’en suis pas sûr. De manière circonspecte, en somme, au moins, il m’intrigue (un peu).
S’il y a un élément que la base de données géniale qu’est le cerveau n’aime pas, c’est l’incertitude, être en terrain inconnu. Le cerveau, pour stocker une information en mémoire, a besoin de créer des liens. Pour cela, il lui faut de la cohérence avec ce qu’il connaît déjà. Sans cela, il panique.
Or, mon appréhension de Me est compliquée. J’aurais du mal à le décrire.
A tel point que j’ai fait appel à plusieurs personnes autour de moi pour tenter de connaître leur point de vue.
"C’est le bordel ! Étrange. Spécial..." Voici, en résumé, ce que certains proches se sont accordés à me dire séparément. Donc, mon "sentiment d’étrangeté" n’est pas infondé. Mais encore ?
Du coulis de fruits rouges, assez acides, plutôt "noirs" que "rouges" d’ailleurs, est versé à foison, entre gelée de groseille et mûre. Ça, c’est bon, il s’agirait de myrtille et de mandarine finalement. Pourquoi pas. Certains y sentent Flowerbomb et Loverdose, moi pas vraiment, l’indicateur du potentiel gerbogène n’est pas au rouge... Après Rumeur et sa poire puis Jeanne, sa framboise et son cassis sucrés, rien d’étonnant !
Puis, très vite, cela devient étrange. Presque cuiré. Une sorte de rose viandeuse râpeuse fait son chemin avant de virer vaguement œillet. Quelque chose m’imprime en tête Aomassaï de Parfumerie Générale. Mais, plutôt par l’impression d’un souvenir flou que par la réelle proximité de l’odeur si ce n’est par les facettes boisées et réglisse communes.
Une sensation de sauce collée à la casserole s’y imbrique.
Les notes, intriquées et denses, disparates mais agglutinées les unes aux autres, sont difficilement lisibles. Plutôt que de tubéreuse, j’ai une impression du rêche de l’immortelle, ses sensations se promenant entre curry, sirop d’érable et gâteau en train de cuire. Le dernier lancement d’Etat Libre d’Orange, The Afternoon of a Fawn et sa rose "immortellisée" confite assez confuse me vient à l’esprit. J’ai la même sensation de parfum "qui part dans tous les sens". Je suffoque.
En fait, c’est une réglisse qui a fusionné avec le sirop de fruits rouges, avec le cœur floral et un effet boisé qui doit me donner toutes ces impressions, celles d’un parfum confus, mais plein et dense. Me se rapproche en cela, mais en plus charnu et ventripotent, de l’Eau de Réglisse de Caron, bonbon éthéré par rapport au précédent.
J’aime, j’aime pas.. J’aime, j’aime pas
A lire cela, j’en vois déjà certains avoir des nausées. En réalité, ce parfum étrange, passées les premières minutes, ne déplaît pas tant par ce trop-plein de notes de confiseur que par le manque de lisibilité qui le caractérise. Ce fatras de notes fruitées, florales, et sucrées évoque un autre lancement de cette saison estivale, Rem & Bow (Réminiscence) qui, lui aussi, annonce une corbeille de plaisirs qui pourrait vous envoyer tout droit la tête dans les toilettes avec sa salade de fruits fourre-tout mêlant le sucré-salé...
Ce parfum ne sent pas vraiment bon, n’est pas terriblement agréable ; mais, il détonne totalement dans l’univers lissé des nociphorarionnauds. Il m’aurait presque paru plus logique de le voir compléter la gamme plus expérimentale des parfums très niches d’ELO. Me, durant les 15 premières minutes, n’est que sucre et sirop industriel meurtriers pour une personne diabétique. Mais, ensuite, il devient "questionnant", intriguant, à défaut d’être beau. Et parvient, en cela, à interroger : "Le laid peut-il être beau ?". Au moins, il est reconnaissable et plus dense que la plupart des junk frags actuelles.
Culotté en parfumerie grand public, à l’image d’un Décibel "l’Azzarock" qui intriguait avec ses aldéhydes fruités et métalliques masculins, il est dommage que ce parfum oublie d’être harmonieux et séduisant. S’il n’est pas aussi sucré que La Petite Robe Noire, pas aussi poisseux que Loverdose, il n’a toutefois pas la signature ni l’élégance féminine et douce (voire délicate en comparaison) du Premier Parfum de Lolita Lempicka.
Allez le sentir. Je sens que Me (dont l’intitulé ne pourra pas être plus court qu’une banale association de deux lettres), que ce soit par rejet ou partielle adhésion, pourrait faire débat... Il est indéniable que ce parfum ne sera pas pérenne comme Arpège a pu l’être, mais il tente d’occuper les linéaires, en rappelant l’existence de la marque Lanvin, sans trop à avoir honte, à défaut d’un réel intérêt.
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par parfumdecharme, le 4 août 2013 à 15:25
Luca Turin est LE connaisseur des parfums dans le monde. Donc ce qu’il dit, j’y crois ! Je rappelle son excellent ouvrage "Perfumes", une bible incontournable.
par Jicky, le 1er août 2013 à 22:23
Je veux aussi une série sur les "not a chèvrefeuille" !
Bon, il faut vraiment que je rererereteste ce Lanvin Me sur peau. Je vais même essayer de le porter (doux jésus...)
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Lucas Turin n’est heureusement pas le seul connaisseur en matière de parfum et il me semble que personne n’est intouchable, ceci dit j’ai fait l’effort de sentir ce "Me" ce week-end, sans avoir le courage d’aller jusqu’au bout de son évolution (j’ai du garder la mouillette 20 bonnes minutes quand même).
C’est peut-être la "tubéreuse" qui accentue son coté passablement lourdingue, une tubéreuse à la truelle et loin d’être naturelle ? (oui oui ceci est un euphémisme).
En tout cas j’ai trouvé l’effet assez catastrophique : non content d’être bien sucré et poisseux, il en rajoute dans un effet hyper brouillon, une espèce de brouet assez dissonant que je ne saurais analyser mais qui me semble très indigeste.
Il a en effet le mérite d’une certaine originalité et, j’image, d’une forme d’identité. Mais est-ce vraiment un critère ?
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