Patchouli
Réminiscence
Les Classiques
- Marque : Réminiscence
- Année : 1971
- Créé par : Maurice Sozio
- Genre : Féminin - Masculin
- Famille : Orientale
par(fum de carac)Terre
par Thomas Dominguès (Opium), le 15 août 2011
Patchouli : la simple énonciation de ce mot, lors d’une soirée, vous permettra d’observer autour de vous la majorité de votre auditoire froncer les yeux et le nez, dans un signe indiquant mépris et rejet. Quelques-un(e)s souriront discrètement en se remémorant leur jeunesse passée, des moments de vie, à deux ou entre amis, de passion ou d’humour, des souvenirs, vieux ou pas si anciens ; en somme, des réminiscences...
Si ce parfum de Réminiscence est une fragrance (Patchouli avec un grand "P"), il est aussi une matière (patchouli avec un petit "p"), adorée parfois, détestée souvent. Soit que le public assez âgé ait des souvenirs des années 70, époque où le patchouli était porté en overdose et glorifié comme le symbole des mouvements hippies, de certaines révoltes, lié(s) à la crasse et aux odeurs qui vont avec. Soit que le public ait des souvenirs de traitements appesantis de cette matière parmi des compositions qui ne font pas l’unanimité, comme le (trop) célèbre Angel de Thierry Mugler. Enfin, si vous avez l’occasion de réunir des passionné(e)s de parfums, c’est la saturation de cette matière fétiche dans des compositions faciles et/ou légères, - décriées et peu valorisées, auxquelles elle doit apporter du coffre et de la profondeur, - qui les fera rechigner à apprécier une fragrance comportant cette plante à l’odeur si particulière. Quelle qu’en soit la raison, le patchouli a donc mauvaise réputation depuis fort longtemps.
Pourtant, en dépit des critiques qu’on lui porte, le patchouli n’a jamais été réellement has been. Déjà utilisé dans des parfums comme Shalimar, il connaît son plein envol dans les années 70. Il deviendra alors le symbole de la rébellion, de la fin des dogmes, d’une nouvelle utopie. Dans une société qui a perdu certains de ses rêves, où les anciens hippies sont devenus ce que l’on nomme, souvent avec mépris, des bobos, le symbole aurait dû être amené à disparaître. Mais, c’était sans compter avec les valeurs intrinsèques de cette matière. Ces facettes multiples en font, au même titre que la rose, la tubéreuse, le vétiver, la vanille ou la fève tonka et bien d’autres, un produit riche et dense qui a différents messages à exprimer, diverses facettes à explorer.
Ainsi, dans les années 90, le patchouli fournira une base et des fondations solides lors de l’émergence des gourmands qui, sans lui, seraient probablement indigestes ou sans "maintien" (au sens de savoir se tenir).
Par la suite, il permettra d’ancrer au sol des compositions plus aériennes nourries de senteurs fruitées et florales, agréables, accessibles, mais sans grande expressivité pour certaines. Son succès est tel qu’il est même expressément nommé dans ces compositions, bien qu’avec une certaine exaspération : "patchoufruit(s)" et "fruitchouli(s)" sont ainsi les surnoms donnés aux créations parfois orientalisantes ou plus souvent néo-chypres de ces parfums qui doivent répondre à des critères de vente en étant tout à la fois, confortables à porter, tout en tentant d’être "sérieux et crédibles" (? !). Ah, l’éternelle quadrilature du cercle qu’il faut atteindre ! Ainsi, dans les années 2000, nombreuses ont été les créations trouvant leur assise sur le patchouli, souvent mêlé à la rose par ailleurs : Coco Mademoiselle, le précurseur de la "nouvelle vague" parfumée, Miss Dior Chérie, Idylle, Perles (pour citer l’un des plus réussis), ou même Voleur de Roses avant ceux-là (précurseur de l’accord rose-patchouli), et tant, tant d’autres... Parfois, cet accord donne un mariage à l’union stable et appréciable. Souvent, le patchouli n’est que la raison d’être de créations moins réussies (mais plus nombreuses), dont les passionné(e)s de parfums préfèrent divorcer.
Mais, déroulons le fil de l’histoire et revenons en 1970.
Bien avant la sortie de Angel en 1992, ou même d’Aromatics Elixir de Clinique en 1972 et de Gentleman de Givenchy en 1974, Réminiscence va rendre un hommage presque "solifloral" à cette matière, en lui donnant le nom de son premier et plus emblématique parfum.
La plupart des facettes du patchouli seront exploitées. Dans la création de 1970, certains en "voient" (ou plutôt, sentent) jusqu’à cinq, d’autres le trouvent trop linéaire et stable. Je distingue effectivement plusieurs étapes lors de l’évolution sur ma peau, selon les jours. En effet, l’évolution du parfum est souvent changeante, totalement indépendante de toute forme de conscience. La seule facette de la matière que la parfum de Réminiscence délaisse assez ostensiblement est l’aspect camphré et parfois vert du patchouli, que l’on ne retrouve guère ici.
Tout débute par un accord extrêmement alcoolique, spiritueux, surprenant, mais pas désagréable. Immédiatement, cette éclat liquoreux s’accompagne d’une facette boisée évidente qui perdurera jusqu’aux notes de fond et d’une forte odeur de moisi, qui, bien que persistante, fort heureusement, sera malgré tout plus fugace au fur et à mesure des heures qui passent. Le patchouli et son aspect moisi, racineux et terreux, cohabite d’abord avec un cèdre extrêmement sec. Le parfum mêle alors les extrêmes puisqu’il apparaît moisi, donc humide, mais extrêmement asséché également !
En coeur, co-existent les bois de vétiver, fumé, et un santal d’Australie qui a pour caractéristiques de ne pas être crémeux ou onctueux comme le santal de Mysore, mais sec et amer dans ses premières notes, bien que comme son cousin indien, il soit d’un boisé doux. Le Patchouli de Réminiscence est ainsi bien plus sec que le celui de Molinard, plus rond et moelleux. L’effet de sécheresse abordé en tête se poursuit ainsi en coeur et s’amplifie jusqu’à des notes légèrement fumées, diminuant lentement mais sûrement l’aspect moisi des débuts. Alors, la "puanteur" de la vaporisation, souvent décriée, laisse place à une senteur bien plus agréable. Le moisi s’en est presque totalement allé, la facette boisée persiste.
Les notes de fond sont bien plus complexes et fort agréables. Il s’agit d’une réussite assez importante pour que les accords de fond soient devenus une signature de la marque dans nombre de ses compositions. A la note boisée s’ajoutent des notes ambrée (absolue labdanum d’Espagne), gourmande (vanille et fève tonka), balsamique (résinoïde de baume tolu) et musquée (par des muscs blancs). L’adjonction des bois et des facettes qui se révèlent en fond rendent ce Patchouli très tenace, avec une résistance et une persistance à toute épreuve. Les aspects balsamiques, ambrés et gourmands rappellent parfois des notes douces et vagues de cacao et de caramel. La promenade dans les sous-bois s’achève, après une longue marche, en cuisine, les biscuits sortant du four, leur fumet nous attirant au loin !
Patchouli est en quelque sorte un trait d’union entre Shalimar, sorti 50 ans plus tôt, et Angel, qui sortira un peu plus de 20 ans plus tard. Cet oriental boisé, âpre dans certains moments de son évolution, que beaucoup adorent détester, mais que celles et ceux qui l’aiment, le font avec passion et virulence, partage avec eux un grand nombre de points communs : le clivage des goûts ; l’adoration ou la détestation qui le caractérisent ; l’absence de place laissée à l’indifférence... ; et, surtout, après quelques minutes ou heures qui mettent à mal l’amour qu’on peut lui porter ou celui que l’on nous porte (par insupportation de la fragrance que l’on arbore), cette conclusion en forme d’apothéose de gourmandise. En effet, après le sablé sec rance rangé au fond d’un vieux placard moisi, semble ne plus subsister qu’un délicieux biscuit doré et vanillé, dont on se demande comment on a pu douter quelques minutes à peine auparavant qu’il était si savoureux. Patchouli est ainsi, avec Shalimar et Angel, baroque et mystérieux, franchement séduisant ou peu appréciable. Alors qu’on refractionne si souvent aujourd’hui le patchouli pour lui ôter ses aspects les plus dérangeants et sales (ceux de terre humide et moisie), Patchouli, malgré ses 40 ans fêtés cette année, est à l’image de la matière originelle et originale à qui il rend si bien hommage dans (presque) toutes ses facettes. Qu’on apprécie... ou pas ! Moi, j’aime plutôt !
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par Stardust, le 16 août 2011 à 20:03
Ce patchouli là, il a un sacré caractère. Le début terreux et capiteux qu’on aime on que l’on déteste, le sillage puissant qui reste gravé dans la mémoire de celui qui, desormais reconnaitra son amie rien qu’a l’odeur. J’ai une tante qui porte patchouli, depuis tout petit, j’associe cette odeur à elle, odeur qui reste tenacement sur le canapé, les rideaux et les tapis... Ce truc là n’est pas digne d’être appellé "eau de toilette".
Patchouli c’est d’abord un esprit, l’esprit libre et décontracté du hippie des seventies. C’est aussi un caractère, on ne l’oublie pas celui là.
Bref 5 étoiles sans hésiter pour cette merveille qui le vaut bien.
par DOMfromBE, le 16 août 2011 à 19:12
Quatre étoiles, pour le parfum (que je porte en Elixir, en crème, et avec lequel je mixe tant N°5 que tout ce qui me passe par les mains et la tête) et pour le commentaire. Je tire bien bas mon chapeau.
par miroulette, le 16 août 2011 à 16:23
Merci Tom pour cet article de qualité.
Quelle jubilation, cet article sur mon premier parfum coup de coeur. J’avais treize ans quand je l’ai humé dans une galerie commerçante de Bruxelles, je me suis arrêtée, je suis entrée dans la boutique Réminiscence et je l’ai acheté immédiatement. Par la suite je me suis fait traitée de "droguée" par la mère d’une de mes copines qui trouvait que ce parfum évoquait les hippies toxico. Il ne m’a pas quittée pendant deux ans. Ce fut donc le premier d’une longue liste. Curieusement, aujourd’hui je ne pourrais plus le porter ; le patchouli, je l’aime en mélange mais plus en soliflore.
par Améthyste, le 16 août 2011 à 09:49
Alors là Opium chapeau ! Tout simplement bravo ! A chaque fois je prends plaisir à lire tes critiques, qui en plus d’être riches olfactivement, sont toujours très instructives et surtout très passionnantes ! Mille merci pour ce superbe article !
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Au risque de décevoir certains, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de sentir ce Patchouli précisément (il faut dire que je ne suis pas fan du Patchouli en général). Mais vu qu’il est décrit par beaucoup comme une légende du genre, je vais peut être m’y attarder un peu plus.
par Stardust, le 16 août 2011 à 00:27
Alors là : MERCI !!!!!
Patchouli... La légende entre enfin sur auparfum avec un avis très beau d’ailleurs.
Je ferais mon avis sur cette merveille bientôt !
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