Le Narcisse Noir
Caron
Les Classiques
- Marque : Caron
- Année : 1911
- Créé par : Ernest Daltroff
- Genre : Féminin
- Famille : Florale
- Style : Classique - Opulent
Par-delà le trouble
par Thomas Dominguès (Opium) - Yohan Cervi, le 17 novembre 2014
Il s’agit peut-être du plus beau des parfums Caron ; sans conteste le plus étrange, le plus mystérieux et le plus déstabilisant. Ce parfum, créé en 1911, sera le premier grand succès de la maison, notamment aux Etats-Unis, où il deviendra un classique.
Le décrire comme un soliflore fleur d’oranger serait bien réducteur. Le Narcisse Noir étire des notes difficilement discernables, pour en faire une sorte de matière presque organique, sombre et inquiétante, qui évoquerait quelque chose de barbare. La matière, de la fleur d’oranger donc, est déployée et malmenée au point que, plutôt que d’évoquer le règne végétal, elle renvoie à des odeurs de chair, du gras et du cuir, des olives noires, des plis de peau mal récurés. Quelque chose d’à la fois raffiné, sophistiqué et brutal, est en tension permanente, entre des muscs qui assouplissent la composition mais, en rien, ne la rendent innocente, et une fleur qui, schizophrène, refuse de choisir entre un assagissement plus coutumier et une colère hystérique irrépressible.
La fleur d’oranger, l’une des plus dichotomiques du règne floral, est exprimée dans toute sa splendeur et sa complexité ; au départ douce et enveloppante, elle révèle rapidement un tout autre visage, et se fait miellée, animale, acide, dérangeante comme les fleurs blanches savent l’être. Des muscs animalisés à foison et une bonne dose de civette en furie s’emploient à souiller encore davantage cette fleur entêtante et inconvenante. Le santal lui offre un fond boisé sec captivant.
Cette tension permanente est presque de l’ordre de l’insupportable tant elle est lancinante, presque effrayante, Le Narcisse Noir exigeant qu’on l’observe, le contemple et l’admire. Son nom fait-il référence à une fleur funeste ? Ou faut-il y voir, sans faire de psychanalyse de comptoir, une métaphore des tourments mélancoliques d’une âme sombre et torturée, celle d’une grande diva décadente (on gardera en tête l’image de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard de Billy Wilder en 1950) ou du plus extrême des dandys, à la Jacques de Bascher ?
Il est impossible de parler du Narcisse Noir sans évoquer le film, magnifique (la photographie et les paysages sont somptueux et d’une étonnante modernité), de Michael Powell et d’Emeric Pressburger de 1947, qui lui doit directement son nom, et qui conte l’histoire de cinq sœurs anglaises envoyées dans un palais, ancien harem, sur les contreforts de l’Himalaya, pour y établir un couvent et une école. Le passé du palais et l’arrivée d’un homme troubleront l’esprit des nonnes, jusqu’à faire sombrer l’une d’entre elles dans la folie la plus pure.
"Do you like it Sister Ruth ? It’s called Black Narcissus. Comes from the Army-Navy Store in London."
"Black Narcissus ? I don’t like such scents at all."
"Oh Sister. Don’t you think it’s rather common to smell of ourselves ?"
Absolument unique, jamais une fleur d’oranger n’aura été traitée de cette manière, jusqu’à en devenir presque méconnaissable, et finir par ressembler à une tubéreuse. Néanmoins, dans l’esprit floral animalisé, on peut lui trouver quelques descendants, comme My Sin de Lanvin, au sillage sulfureux. L’autre seul parfum aussi barbare qui nécessite davantage qu’on le visite, qu’on l’observe avec attention, qu’on se soumette à lui plutôt qu’on l’arbore, tant il semble que c’est lui qui nous choisit plutôt que l’inverse, est, dans un registre plus tribal et ancestral, Djedi de Guerlain, mythe également, du même gabarit, mais d’un tout autre genre.
Le Narcisse Noir demeure, plus de 100 ans après sa création, lové dans son flacon encrier, au bouchon représentant, contrairement à ce que l’on croit, non pas une corolle de narcisse, mais curieusement... une anémone.
Sur le plan olfactif ? C’est une toute autre affaire. Comme l’ensemble des parfums Caron, Le Narcisse Noir a eu droit, au début des années 2000, à sa reformulation. Et autant le dire tout de suite, ce qui est actuellement vendu sous ce nom n’a que peu de choses à voir avec la création de 1911. L’extrait est maintenant une fleur d’oranger classique et convenue, cotonneuse et dense, soutenue par d’étranges notes (type suederal) rappelant l’essence ou l’odeur des feutres, certainement employées afin de pallier à l’absence des notes animales. Son fond, toujours santalé, est dorénavant porté par une profusion de muscs blancs. L’eau de toilette est, quant à elle, une gentille fleur d’oranger alimentaire, musquée, pimpante et cotonneuse, qui ne reflète en rien le caractère dramatique et sombre de l’original, malheureusement.
Comparaison faite à partir de trois extraits (années 60, années 80 et 2013), et deux eaux de toilette (années 90 et 2014)
à lire également
par Patrice, le 17 novembre 2014 à 21:41
Super article, bravo !
C’est tout à fait ça. Une fleur d’oranger très méthylée et sombre, animale à souhait, mais d’une façon plus proche du cuir, comme vous le dites justement. Un effet goudronneux, épais et gras, qui m’évoque du pétrole. Un concentré organique. Vraiment déroutant. Et comme on le disait à plusieurs reprises dans nos discussions, Narcisse Noir est sans doute l’un des parfums les plus noirs (gné !), les plus dramatiques et dérangeants de toute la parfumerie. Il fait froid dans le dos, inquiète et fascine.
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus
par Newyorker, le 19 novembre 2014 à 19:24
Bonsoir Patrice,
Je suis parfaitement en phase avec ton ressenti.
Je n’ai rien à ajouter. Ah si, merci beaucoup !
par Opium, le 24 novembre 2014 à 17:11
Bonjour Patrice.
Merci beaucoup.
Comme le disait aussi Newyorker, je suis tout à fait d’accord avec toi, nous avons eu l’occasion d’en discuter. Rarement contraste et tension auront été mis à rude épreuve à ce point. ;-)
En fait, les seules idées qui me viennent sont M/Mink, Djedi et une certaine base florale qui évoque la bête et le gibier à tel point qu’elle me dérange... ^^
Je profite de ton message pour remercier également Newyorker pour les découvertes qu’il m’a permis de réaliser et pour sa proposition d’un article à quatre mains.
Je suis particulièrement heureux du ton donné à cet article qui me paraît rendre avec justesse et justice honneur à ce parfum sublime qu’est Le Narcisse Noir. Newyorker a fait un très beau travail de couture pour fondre nos deux rédactions en les fusionnant. ;-)
Patrice, à bientôt.
Opium
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 9 août 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 6 août 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 10 juillet 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 5 juillet 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 17 juin 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 16 juin 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 15 juin 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 12 juin 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 6 juin 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 4 juin 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 22 mai 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 4 mai 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 28 avril 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 25 avril 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 14 avril 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 6 avril 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 5 avril 2020
Defender Shotgun
a porté Le Narcisse Noir le 3 avril 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 3 avril 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 31 mars 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 30 mars 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 28 mars 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 26 mars 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 22 mars 2020
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 12 janvier 2020
Farnesiano
a porté Le Narcisse Noir le 4 décembre 2019
Nez inexpert
a porté Le Narcisse Noir le 26 septembre 2019
Masque rouge
a porté Le Narcisse Noir le 24 août 2016
Solance
a porté Le Narcisse Noir le 26 décembre 2015
PoisonFlower
a porté Le Narcisse Noir le 18 juin 2015
Cymoril
a porté Le Narcisse Noir le 19 mars 2015
à la une
Tutti Twilly - Hermès
Voilà une création dont les idées sont comme ses notes fruitées : vives, fusantes, presque vrillantes !
en ce moment
il y a 2 jours
Bonjour Mes regrets Ivoire de Balmain a disparu durant une dizaine d ’années, puis je l’ai(…)
il y a 3 jours
Il est magnifique ce parfum. Un patchouli boisé, terreux qui ne devient pas sucré ou gourmand.(…)
Dernières critiques
Iris Médicis intense - Nicolaï
Sous le soleil de Toscane
Encre indigo - Lalique
Roche en fusion
Belle de Niassa - Caron
Fleur au zénith
hier
Est-ce que le muguet a été reformulé ? Je l’ai testé ce week-end, absolument aucune tenue, au niveau(…)