Au cœur de L’Heure perdue : de la coumarine aux méthylionones
par Olivier R.P. David, le 3 août 2018
- Naturel et synthétique, l’éternel débat
- Mathilde Laurent : « Avec l’Heure perdue, je voulais créer un parfum chimique avec une impression de parfum du XIXe siècle »
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Après avoir exploré la genèse et les premiers pas de L’Heure perdue de Mathilde Laurent pour Cartier, nous vous invitons à plonger au cœur des molécules qui ont contribué à sa formule, avec 3 premières molécules.
Parce que L’Heure perdue est un hommage à la synthèse, elle réécrit son histoire à travers ses composants. Partons au fil des prochaines semaines à la découverte des chimistes qui les ont mises en lumière, les balbutiements de leur synthèse, leur utilisation dans L’Heure perdue et dans les grands classiques de la parfumerie.
- Cartographie moléculaire de L’Heure perdue
N°1 : Coumarine
Molécule naturelle reproduite par l’homme.
La coumarine est le premier ingrédient synthétique qui fut incorporé dans un parfum. Cette molécule fut découverte en 1856 par Friedrich Wöhler et Justus Liebig dans la fève Tonka, dont il faut extraire et purifier un demi kilo pour obtenir 7 g de coumarine pure, ce qui, évidemment, n’est pas économiquement viable. William H. Perkin réalise la première synthèse de la coumarine en 1868 à partir de l’aldéhyde salicylique. Mais à cette époque la coumarine de synthèse est encore très onéreuse et les parfumeurs utilisent la coumarine purifiée extraite du Liatrix odoratissima. Le procédé de fabrication est amélioré en 1877 par Perkin en collaboration avec Ferdinand Tiemann de l’Université de Berlin, permettant une production industrielle rentable. Et c’est ainsi que la coumarine synthétique a pu être utilisée par Paul Parquet en 1882 pour créer la Fougère royale chez Jean-François Houbigant. Aimé Guerlain l’utilisera pour Jicky, en 1889. Dans la formule de départ de L’Heure chimique, la coumarine figurait en première place, mais les nombreux essais successifs ont conduit à utiliser d’autres matières synthétiques pour construire la forme olfactive souhaitée par Mathilde.
- Sir William Henry Perkin par Arthur Stockdale Cope
N°2 : Sulfurol
Molécule naturelle reproduite par l’homme
Le Sulfurol, ou Sacrasol pour les parfumeurs, est découvert en 1934 et fera l’objet de nombreuses recherches car sa préparation est indispensable à la synthèse de la vitamine B1. Son odeur lactée, entre le riz soufflé, la peau du lait et le bouillon est très utilisée en aromatique alimentaire. Il semble que ce soient des traces d’un produit secondaire de la synthèse qui lui donnent son odeur particulière. Au cours des trois cent essais, Mathilde a exploré de nombreuses pistes, parfois conduisant à des impasses en ne permettant pas de réaliser la note souhaitée. La solution est arrivée avec l’idée d’utiliser le sacrasol en overdose, une première en parfumerie fine. Il avait été utilisé en infime quantité pour le parfum Dries van Noten chez Frédéric Malle afin de lier les notes par son effet biscuit sec, lacté.
N°3 : Méthylionones
Molécules artificielles, inspirées d’une molécule naturelle
Que serait la parfumerie sans l’odeur des violettes ? Autrefois l’ingrédient naturel le plus onéreux de la palette du parfumeur, la violette de Parme contient 75 % de molécules qui appartiennent à la famille des ionones. Dès le début du XXe siècle les chimistes Ferdinand Tiemann (eh oui celui de la coumarine !) et Paul Krüger avaient découvert comment produire les ionones industriellement. Les chimistes découvrent aussi que des dérivés que l’on ne trouve pas dans la nature, possédant ce qu’ils appellent un groupement méthyle supplémentaire, avaient une odeur très intéressante. Ainsi ils mirent à la disposition des parfumeurs les méthylionones, avec pour noms commerciaux Raldéine, Isoraldéine ou Iralia pour la version la plus riche en isométhylionone qui est la plus puissante de la famille. Avec des facettes boisées et des effets techniques indispensables en composition, les méthylionones sont présentes dans presque tous les parfums. Si l’on examine les fragrances qui les utilisent en surdose, nous passons en revue nombre de chefs-d’œuvre : cela commence avec L’Origan de Coty (1905), le précurseur, puis L’Heure bleue de Jacques Guerlain (1912). Femme de Rochas par Edmond Roudnitska (1944) utilise 15 % d’Isoraldéine. La même quantité sera utilisée par Pierre Bourdon et Maurice Roucel dans Féminité du bois pour Shiseido en 1992. Le Dix de Balenciaga par Francis Fabron (1947) contient presque 25 % de méthylionones. On trouve encore 25 % d’Isoraldéine dans Iris Silver Mist de Maurice Roucel pour Serge Lutens (1994) et La Violette d’Isabelle Doyen pour Annick Goutal (2001) monte à 48 %. Plus en retrait mais néanmoins centrales, les méthylionones sont présentes dans des parfums aussi différents que Cuir de Russie d’Ernest Beaux pour Chanel (1924) ou Trésor de Lancôme par Sophia Grojsman (1990), qui ne seraient pas ce qu’ils sont sans ces molécules.
- Production de l’Iralia par Jules Bolle, Firmenich 1903 (Archives Firmenich)
À suivre...
—
Visuel principal (gauche à droite et haut en bas)
1. Justus von Liebig
2. Sir William Henry Perkin par Arthur Stockdale Cope
3. Friedrich Wöhler
4. Ferdinand Tiemann (Helvetica Chimica Acta)
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par Vesper, le 4 août 2018 à 08:10
C’est la première fois que je vois le Cuir de Russie de Chanel attribué à quelqu’un d’autre qu’Ernest Beaux.
D’autre part, j’ai, dans la foulée, constaté que sur la fiche de ce célèbre Cuir, il est daté de 1927 et non de 1924.
J’ai peut être l’air de chipoter, et je vous prie de m’en excuser par avance, mais j’étais intrigué quand on sait ce qu’à fait ensuite Henri Robert pour la maison Chanel.
Article passionnant pour le reste. Merci à vous.
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par Passacaille, le 4 août 2018 à 09:03
Bonjour Vesper,
En effet, Cuir de Russie est bien d’Ernest Beaux ! Henri Robert ne deviendra directeur de la création des parfums Chanel qu’en 1954 !
Par ailleurs, la date de création/lancement de Cuir de Russie est très problématique. Comme le dit Ernest dans une interview, pour certains de ses parfums il y a eu un délais assez long entre la création achevée et le lancement par Chanel. Et de plus il semble que le service commercial Chanel ai rétrospectivement tripatouillé les dates des parfums iconiques, afin de les placer tous dans les années 20 ! Officieusement la date de 1936 circule pour Cuir de Russie, mais aucune confirmation officielle n’est à attendre !!
En tout cas, merci pour votre vigilance sur l’attribution.
Bonne journée
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par domik, le 4 août 2018 à 19:15
On a "Beaux" faire, on n’est pas à l’abri d’une erreur.. ça doit être à cause d’une stagiaire :)
par Chanel de Lanvin, le 3 août 2018 à 20:24
Interessant à parcourir pour notre éducation olfactive,merci pour cette suite et ....à la suivante avec plaisir.
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Maurice Roucel a travaillé sur Féminité du bois aussi ? Il me semblait que c’était juste Pierre Bourdon et Christopher Sheldrake...
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par domik, le 10 août 2018 à 14:11
Bonjour
Il l’évoque dans cet entretien donné à Auparfum en 2011, rapidement.
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