Au cœur de L’Heure perdue : de l’ambrox à la Muscenone
par Olivier R.P. David, le 8 août 2018
- Naturel et synthétique, l’éternel débat
- Mathilde Laurent : « Avec l’Heure perdue, je voulais créer un parfum chimique avec une impression de parfum du XIXe siècle »
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Allemands, français, suisse-croate, polonais... si leurs noms vous sont inconnus, et celui des molécules qu’ils ont inventées tout autant, ils vous en mettent encore plein le nez des décennies après leurs découvertes scientifiques. Sans eux, et sans elles, Mathilde Laurent n’aurait su trouver L’Heure perdue, que nous décortiquons cet été...
N°4 Ambrox
Molécule naturelle reproduite par l’homme
L’ambre gris est au départ une sécrétion collante qui sert à piéger les éléments irritants comme les becs de calamars dans le système digestif du cachalot. Il contient principalement de l’ambréine qui ne sent rien. Cependant, après expulsion par le cétacé, la concrétion brune flotte sur l’eau et dérive en mer. C’est alors que l’ambréine qu’elle contient se transforme lentement par oxydation au soleil en ambrox à l’odeur boisée, animale et chaude. Au passage le matériau s’éclaircit et durcit pour devenir semblable à une pierre grise, d’où le nom d’ambre gris qu’il prend lorsqu’il est ramassé sur le bord des plages. En 1950, le chimiste Max Stoll de Firmenich & Cie, réussit la synthèse de l’ambrox identique au naturel en transformant le sclaréol, un composé qui se trouve en abondance dans l’essence de sauge sclarée. On estime que 40 % des parfums sortis depuis 30 ans contiennent de l’ambrox. La palme de l’overdose revient sans doute à Bois d’argent d’Annick Menardo pour Dior en 2007, avec la quantité extravagante de 13,6 %.
- Max Stoll (Helvetica Chimica Acta)
N°5 Alcool phényléthylique
Molécule naturelle reproduite par l’homme
L’alcool phényléthylique, nommé familièrement APE par les parfumeurs, est une petite molécule benzénique très simple mais son histoire ne l’est pas tant que ça. Elle est préparée artificiellement pour la première fois par le chimiste allemand Radziszewski en 1876 lors de ses recherches fondamentales sur les alcools sans savoir que la nature en produisait déjà. Il note sa faible odeur, mais sans préciser que cette odeur rappelle la rose. Vingt ans plus tard, en 1896, Ferdinand Tiemann, qui aura étudié presque toutes les substances odorantes connues à son époque, publie une étude sur l’huile essentielle de rose, dans laquelle il note la présence d’alcools benzéniques, mais sans y consacrer une étude particulière. Il faudra attendre 1900 pour qu’une nouvelle étude par le Dr. Rojahn de la société Heine & Co. montre la présence de l’APE dans l’huile essentielle de rose. Il montre bien que le produit présent dans la rose est identique à celui de Radziszewski et publie ce résultat le 13 juin 1900. Fortuitement, une autre étude menée en parallèle sans le savoir par le Dr. Walbaum de la société Schimmel & Co. a conduit aux mêmes conclusions. Mais l’article de Walbaum est publié six jours plus tard, le 19 juin, que celui de Rojahn, et c’est donc ce dernier qui a le statut de découvreur officiel de l’APE naturel dans la rose. Les deux notent l’odeur d’eau de rose qui se dégage de l’APE qu’ils ont isolé, en effet on trouve plus de 5 % d’APE dans le cocktail de molécules qui s’évaporent des pétales de la fleur. Mais il faudra attendre les travaux des français Bouveault et Blanc pour qu’un procédé efficace de production de l’APE soit trouvé. Ils mettent au point en 1904 une nouvelle méthode de réduction des esters qui donne accès très simplement aux alcools, dont l’APE qui pourra ainsi être produit à l’échelle industrielle.
- Bronisław Radziszewski
- Laboratoire de M. Bouveault
N°6 Muscenone
Molécule artificielle, inspirée d’une molécule naturelle
Le musc Tonkin faisait partie des matières fondamentales de la parfumerie occidentale avant son interdiction dans les années 70 pour protéger le petit animal qui le produit, le Moschus moschiferus. Celui-ci était menacé de disparition par la chasse intensive dont il faisait l’objet. Hérité des traditions médicales et spirituelles de l’Asie et du Moyen-Orient, les sécrétions séchées du moschidé tibétain étaient infusées dans l’alcool et utilisées pour apporter de la tenue aux parfums. Cela apportait aussi un caractère animal prononcé et une sensualité ravageuse par la présence d’hormones males dans cette infusion. Le composé à l’origine de l’effet musqué a été isolé en 1905 par le Professeur Walbaum qui l’a nommé muscone. Mais sa structure très particulière en « collier de perles » que les chimistes appellent macrocyclique, ne fut déterminée avec certitude que vingt ans plus tard par le Professeur Ruzicka. La préparation de la muscone de synthèse demanda de prodigieux efforts de la part des chimistes qui n’avaient pas l’habitude de fabriquer des molécules aussi singulières. Heureusement, les progrès de la chimie après la Seconde Guerre mondiale permettront cette synthèse. Dans les laboratoires Firmenich, au cours des études pour la préparation de la muscone synthétique, on avait observé qu’une des molécules intermédiaires - sorte de muscone en chantier - montrait des propriétés olfactives très intéressantes. Ils appelleront Muscenone ce composé plus puissant et tenace que la muscone elle-même, et déposeront un brevet le 7 décembre 1967. Plusieurs autres brevet seront déposés pour la préparation de cette molécule afin d’améliorer sa préparation et donc de faire baisser son prix de vente.
- Lavoslav Ruzicka (Archives Université de Genève)
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par neovand, le 8 août 2018 à 18:06
Vu que les marques communiquent peu, voire pas du tout pour la plupart, sur les composants synthétiques, cela est très instructif. L’aspect historique est très intéressant, et je suis personnellement très friande des quelques références citées pour chaque matière.
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Bonjour et merci pour ces explications, passionnant.
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