Noir Epices

L’auteur préférant rester anonyme dans un premier temps, je vous laisse le soin de deviner son identité...

Parfois, je me demande ce que je préfère ?
Avoir le plaisir de la connaissance, de faire partie d’une communauté parfumée de privilégiés (ou "frappadingues" !) ?
Ou tout simplement oublier tous ces acquis, sentir le parfum pour ce qu’il est et le vivre spontanément ?
Il y a des moments, comme ça, où j’ai juste envie d’être naïve, instinctive, d’avoir un nez vierge, d’accueillir le parfum et de me laisser emporter par l’émotion qu’il m’offre...
Ne pas le décortiquer, ne pas le couper en morceaux désincarnés,...
Mais simplement l’écouter me murmurer derrière l’oreille ses origines, son histoire, sa vie...

Vous connaissez tous, ces matins de semaine où il faut bien se lever, s’activer alors qu’on n’est pas encore sorti du sommeil.
Un sommeil lourd qui nous poursuit, pèse sur nos épaules, coupe nos jambes et nous rend la tâche du démarrage tellement difficile !
Le soleil brillait déjà dans le ciel ce matin de printemps et promettait une belle journée.
Mais moi, la tête encore dans les songes et les jambes en coton, je me trainais bon grès, mal grès.
Enfin arriva le moment du départ, les Loulous et la Grande étaient prêts, les cartables aussi et leurs joues roses étaient propres.
Il ne me manquait plus qu’un parfum "coup de fouet" pour me réveiller.
Pendant que tout ce beau petit monde s’installait dans la voiture, je pris un flacon persuadée qu’il s’agissait de Carnal Flower.
Je m’en aspergeais abondemment et bizarrement impossible de le reconnaitre…
Meilleur réveil qui soit : un parfum qui me saute au nez avec sècheresse et qui ne sent absolument pas ce qu’il devrait sentir !

"Bon sang ! Mais qu’est-ce que j’ai mis ?!?"
"Mâââman ! Tu viens ! On va être en retard à l’école !"
"Oui, oui, j’arrive…"

Enfin !
Tranquille au volant, pendant qu’Insolence, Chanel N°22 et (oui, c’est nouveau ! Le nez de mon petit pépère a découvert le monde des senteurs) Un Matin d’Orage "babeluttaient" dans la voiture.
Je vivais enfin un réveil joyeux, ensoleillé, plein de promesse.
Ce parfum appliqué incognito sur mes poignets, dans mon cou, mon décolleté et derrière mes oreilles, sec et abrupte les premières minutes, se mit à me parler avec sa voix sensuelle et chaude venue d’ailleurs.

"Devine d’où je viens ?"
"Euh… Attends, je sors tout juste de ma torpeur matinale ! Donne-moi un indice…"
"Pense à un soleil orange, plein d’énergie, de vitalité et de vitamines, chaud mais pas trop."
"Pfiou… Rien de confit là-dedans ?"
"Non, non, mais un peu alimentaire quand même. Je sais que tu es gourmande et que c’est une bonne approche pour te parler… Un dessert… "
"Ah, oui ! Une salade à l’orange… Un peu d’eau de fleur de rose avec de la cannelle… Mon Dieu, tu n’y es pas allé de main morte avec les épices. Il n’y a pas que de la cannelle ! Mais, oui, c’est cela, les quatre parfums : cannelle, muscade, girofle et poivre. "
"C’est ça ! Alors, d’où je viens ?"
"Du Maghreb !"
"Oui, mais encore… " (…) "Je te donne un autre indice. Pense à la couleur ocre : ocre rose, ocre rouge, ocre jaune…"
"De la terre ocre… Simple et somptueux... Un palais… Un palais de terre… Ouarzazate ! Je n’y suis jamais allée mais j’en rêve et j’adore ce mot OUA RRR ZA ZA TT’. Raconte-moi s’il-te-plait"

"Ouvre grand tes oreilles, ton nez, ton esprit et ton coeur... Ouarzazate signifie "sans bruit", c’est une terre de silence ou encore surnommée "la porte du désert". Cette bourgade vaut le détour surtout parce qu’elle constitue la porte de départ d’excursions fabuleuses entre le désert, les vallées sinueuses, les oasis verdoyants, et les neiges éternelles du Haut Atlas. La porte de départ de voyages merveilleux marchant dans les pas des caravaniers traversant le Sahara sur la route des épices... Les montagnes et les plaines arides de Ouarzazate ont vu pousser d’innombrables casbahs en pisé, de charmants villages de terre rouge ou ocre, des palais de terre.
Approche de ce palais, là, à l’entrée du désert, éloigné du bruit de la bourgade, avec une porte toute simple de bois précieux, santal, cèdre, et de fer forgé. Franchis-là, c’est le palais d’Aswad Tawabil. Tout y est raffinement et simplicité. Il y fait agréablement frais mais tout y est chaleur et profondeur. Pousse la porte et vois la splendeur qui s’y dévoile, la pureté et la justesse magnifique ; l’abondance, la générosité de l’hôte qui y hante chaque patio, chaque pièce, chaque recoin. Partout, il y laisse son empreinte chaleureuse et lumineuse. Il efface la fatigue de ses invités, les accueille confortablement et avec volupté jubilatoire. Il devient par magie une évidence pour chacun. De sa bouche sort une voix sensuelle qui aime à raconter des petites histoires selon la personnalité de chaque invité.
Regarde celui-ci, hier encore sa timidité l’empêchait de prononcer même un tout simple bonjour souriant. Aujourd’hui, marqué des épices magiques d’Aswad Tawabil, il chante tel un rossignol pour notre plus grand plaisir chaque soir. Vois celle-là, hier encore, elle pleurait la grâce de sa jeunesse perdue. Aujourd’hui, elle danse avec enchantement et élégance, des grelots ceinturés à sa taille souple et ondoyante. Admire cet homme qui, hier encore, était d’humeur maussade, blessé par un chagrin d’amour.
Aujourd’hui, il sourit à l’avenir et rend service à qui aura besoin de son aide. Ecoute cette jeune fille, hier encore, elle était mutique, pensant qu’elle n’avait rien d’intéressant à dire. Aujourd’hui, parée des plus beaux effluves d’Aswad Tawabil, elle ouvre son coeur et son imagination infinie à qui voudra bien écouter ses histoires des mille et une nuits. Et toi, dis-moi, qu’est-ce qu’Aswad Tawabil peut t’offrir de précieux ? Je crois avoir deviné : une présence chaleureuse. Cette chaleur va se fondre dans ta peau et y rester indéfiniment. Tu ne te sentiras plus jamais seule et ne souffrira plus de la peur de l’abandon. Poudrée de ses épices magiques, de son orange rosée, de quelques géraniums bourbons, d’un soupçon de vanille et d’un fond de patchouli, chaque personne que tu croiseras t’aimera telle que tu es et t’entourera de sa présence..."

"Mais, dis-moi, pourquoi te nomme-ton Aswad ?"
"Je suis un homme. Je suis une femme. Je suis qui tu voudras, là où vont tes préférences… Je suis ce qui vit sur cette terre ocre quand le soleil continue sa course avant ou après l’heure de midi. Je suis à tes côtés, je marche dans tes pas, au même rythme. Là, sur le sol, je suis cette trace qui colle à tes pieds, ta destinée bienveillante. Oui, je suis ton ombre, je suis là… Toujours à ton souvenir. Je ne m’absente que le temps d’une sieste à midi. Puis je reviens vers toi, sereinement plus doux, dans toute la plénitude de ma force… Je suis Aswad. Je suis cette ombre noire pour chaque être humain sur cette Terre."
"Merci Aswad Tawabil. Merci Noir Epices. Merci mon Opium épicé !"

Mon Dieu, c’est quoi cette sonnerie ??? Ah mais oui, l’école ! Bonne journée ma Grande. Bonne journée mes Loulous. Amusez-vous bien !

Sentez bon avec spontanéité ensoleillée et une bonne dose d’épices.