Auparfum

Matières animales : mythes & vérités

par Romain B, le 2 mai 2011

Par RomainB, élève à l’Isipca.

Depuis l’origine de la parfumerie, les produits animaux ont été intimement mêlés à son histoire. Les quatre produits phare, ambre, musc, civette et castoréum, ont fait autant le bonheur des créateurs de “pommes de senteur” à l’époque médiévale, que des gantiers-parfumeurs du Grand Siècle ou encore des parfumeurs modernes qui trouvaient le moyen d’exalter les matières végétales en leur procurant un supplément de profondeur et de sillage.

L’ambre

L’ambre, ou ambregris, est un cadeau de la mer, âprement recherché dès la période médiévale pour ses qualités aromathérapiques. Ballottée en surface au gré des vents et des courants, elle finit par s’échouer sur les rivages. On la ramasse sur les plages de l’Océan Pacifique et Indien.
Longtemps son origine a été entourée de mystère et beaucoup de légendes ont existé quant à sa provenance. Selon le célèbre médecin arabe Avicenne qui vivait au XIème siècle, l’ambre surgit de fontaines sous-marines et dans Les Mille et Une Nuits, Simbad le marin découvre « une île où l’ambre jaillit d’une fontaine et s’écoule jusqu’à la mer où il est avalé par des monstres venant des profondeurs ». Il est en réalité produit par un cachalot. Dans l’intestin de l’animal se forme une concrétion pathologique causée par les blessures des becs des calamars et autres céphalopodes.

Ce géant serait capable de rejeter pendant quarante ans la précieuse matière. Mais cette hypothèse qui emporte l’adhésion de la majorité des scientifiques est parfois contestée. On a objecté, notamment, qu’« il s’avère impossible que des blocs de plusieurs centaines de kilos (en 1942, un bloc de 340 kilos a été trouvé sur une plage de Madère) et de plus d’un mètre de diamètre puissent séjourner à l’intérieur du cachalot et encore plus incroyable qu’ils puissent être expulsés par la voie normale ». Une certaine part de mystère persiste donc encore…

Le musc

Cette sécrétion odorante provient d’une glande abdominale, située sous la peau, entre le nombril et les organes sexuels du chevrotin porte-musc mâle. Particulièrement apprécié pour conférer force et sensualité aux parfums, le Musc est aussi depuis des siècles, présent dans la pharmacopée.
La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction, connue par le sigle CITES ou encore sous le nom de Convention de Washington, s’efforce de les protéger. Il est quasiment toujours remplacé par des muscs de synthèse (comme la muscenone, présente naturellement dans le musc Tonkin) mais n’est officiellement pas banni de la parfumerie comme on peut souvent le lire.

La CITES protège le chevrotin porte-musc en limitant sa chasse dans certains cadres très particuliers, mais l’utilisation de musc Tonkin (la matière première) est elle autorisée et ne subit aucune interdiction d’utilisation (si ce n’est sans doute par limitation de législation pour des raisons de santé ou d’environnement..)
Le commerce de musc naturel n’est donc pas interdit, des élevages existent même s’ils ne couvrent pas la demande mondiale, mais les exportations sont soumises à des quotas bien précis. Des études seraient toujours en cours sur le chevrotin porte-musc et sur la façon de le protéger tout en permettant de continuer à l’utiliser. Il serait donc possible encore aujourd’hui d’acheter du musc Tonkin par des voie légales.

La Civette

Petit quadrupède de la taille d’un renard, la civette ou chat-civette (animale assez agressif qui peut tuer pour le plaisir), sécrète une pâte molle, beige ou brune qui, à l’état pur, « a pour presque tout le monde une odeur répugnante ». Mais, mélangée à d’autres matières premières de parfumerie, elle perd son caractère agressif et devient puissante, animale, sensuelle.
De nombreux paysans éthiopiens élevaient naguère des chat-civettes. Placés dans des cages de bois étroites, ils étaient curetés tous les dix jours. Une corne de zébu contenait la pâte recueillie. L’influence des écologistes, défenseurs de la nature et de la faune, a joué un rôle déterminant dans l’abandon de ce produit.

Il y a plus de vingt ans, un écologiste anglais a fait paraître un article révélant que le N°5 contenait de la civette et que les chat-civettes qui vivaient enfermés dans des élevages étaient battus pour augmenter leur capacité de production. C’était complètement faux selon Jean-Pierre Petitdidier, spécialiste des produits animaux. « Ces chats sont, au contraire, pouponnés comme une poule qui pondrait des œufs d’or. On ne va pas leur taper dessus. Ils sont entourés des plus grands soins. »

Mais ces allégations ont fait considérablement baisser les ventes de Chanel sur le marché anglais. La marque a mis trois ans à s’en remettre. Les écologistes étant de plus en plus influents et la tendance générale allant dans le sens de parfums faits avec des substances parfumantes de moins en moins chères, pour laisser plus d’argent à la pub et au marketing, il est probable que les produits animaux vont complètement disparaître. C’est regrettable pour la qualité de la parfumerie française.

Le castoréum

Il s’agit d’une substance cireuse-huileuse, à l’odeur cuirée, chaude et douce, sécrétée par deux glandes internes du castor. Cette sécrétion lui sert à graisser son poil en permanence. L’animal qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis, au Canada et en Russie est chassé en janvier quand son poil est le plus beau.
Comme tous les autres produits animaux, il peut être employé en parfumerie sous forme de teinture alcoolique, à partir des poches broyées ou directement dans les compositions sous forme de résinoïde ou d’absolue.

En raison de l’abondance de castors dans le monde (les Canadiens doivent chaque année en tuer un certain nombre pour éviter la surpopulation), le castoréum, comparativement au musc, à l’ambre et à la civette, est peu coûteux (environs 500 à 700 € le kilo contre plusieurs milliers d’euros pour les autres).

Deux autres matières animales sont aussi utilisées mais restent cependant moins connues du grand public :

L’absolue de cire d’abeille

L’absolue de cire d’abeille est utilisé pour donner un effet naturel dans des notes florales, tubéreuse et jasmin, rose et œillet. On l’emploie également pour des notes tabac et fruits secs. On récupère parfois la cire de vieilles ruches pour obtenir une odeur plus puissante.

L’hyraceum

L’hyraceum ou pierre d’Afrique est produit par le Daman du Cap (sorte de gros rongeur). Il s’agit de l’urine cristallisée de l’animal, les damans vivant en colonie et urinant tous au même endroit, avec le temps se forme une pierre de couleur sombre. Cette matière est assez peu utilisée en parfumerie.

Aujourd’hui aucune législation n’interdit l’utilisation de toutes ces matières. Seul le chevrotin porte-musc est protégé par la CITES mais l’utilisation du musc Tonkin est toujours autorisée. Si Guerlain, Serge Lutens ou je-ne-sais-qui souhaitait utiliser du musc Tonkin, de l’ambregris, de la civette, du castoréum, de l’hyraceum ou de la cire d’abeille, ils en auraient parfaitement le droit (mais le revendiqueraient-ils ?...) D’ailleurs, la marque Creed serait a priori la seule à le faire, ou du moins à le communiquer.
L’abandon de ces matières résulte plutôt de leur coût élevé, de leur rareté mais surtout d’un code tacite de déontologie exigé par les écologistes. Pourtant beaucoup de fausses accusations ont été portées contre ces matières, la plus aberrante étant que l’on tuait les cachalots pour récupérer l’ambre dans leur estomac, alors que l’ambre flotté a besoin de passer plusieurs années en mer pour avoir cette odeur extraordinaire, sinon son odeur “fraîche” est plutôt désagréable et évoque le poisson. Mais au lieu de vouloir les interdire, pourquoi ne pas s’interroger sur une meilleure façon de les produire ?
En Ethiopie des milliers de personnes vivaient de la production de civette, elle leur permettait un meilleur confort de vie, le fait de l’avoir discréditée à tort a appauvri des paysans et donc dégradé leurs conditions de vie. Il aurait été plus intéressant et plus intelligent de réfléchir à une meilleure méthode de production pour permettre à un pays déjà pauvre de poursuivre une activité enrichissante et de maintenir ainsi un certain confort.

La castor cause lui des ravages au Canada où il est présent en trop grand nombre, pour protéger l’environnement, nous sommes obligés d’en abattre tout les ans. Alors avant de crier au scandale, « pauvres petites bêtes », il faudrait s’intéresser à l’ensemble des choses mais également faire attention à ce que l’on peut entendre ou lire, les associations écologistes (je ne remets pas en cause leur but qui est primordial sur bien d’autres aspects) devraient parfois nuancer leur propos avant d’accuser à tort et à travers telle entreprise ou telle matière d’être responsable de massacres ou d’être dangereuse pour la santé.

Mais une fois que le mal est fait, il est trop tard pour changer la façon de penser des consommateurs. Bien triste sort !

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par antolio, le 3 mai 2011 à 12:44

Très bel article, merci !
J’ai eut la chance de sentir tout ça, à la dernière conférence à l’osmothèque. Et j’ai été stupéfait de ne quasiment rien sentir de l’ambre gris. Par contre le castoreum me rend dingue, avec sa facette cuirée.

La civette pure effectivement c’est quasiment au delà de mes forces, l’impression d’être enfermé dans un poulailler surchauffé, le nez au cul d’une poule sale. Ma touche sent encore plus d’un mois après !

C’est vraiment fascinant la manière dont des matières a priori répugnantes à l’état pur, donnent un tel effet dans une composition.

Je sais que l’hyraceum (African stone) est souvent utilisé par les parfumeurs "naturels" américains.

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par Jean-David, le 3 mai 2011 à 15:43

Dans un autre ordre d’idées, mais toujours sur le thème des odeurs qui "révèlent" leurs vertus aromatiques au contact des autres, l’encens préparé par les Prêtres hébreux aux temps bibliques comportait onze ingrédients, tous végétaux. Selon le Talmud, l’un d’entre eux, le ’helbena (dans lequel certains veulent reconnaître le galbanum), pris à part, avait une odeur peu flatteuse ; mais mêlé aux autres composants, il révélait ses bonnes facettes. La tradition juive voit en cela une symbolique humaine : un individu livré à lui-même et à son penchant au mal peut révéler les mauvais traits de sa personnalité ; mais s’il recherche la compagnie des Justes, il dévoilera sa bonté foncière.

 

Et maintenant, une petite question à ceux qui connaissent le galbanum pur : à quoi cela ressemble-t-il ? Croyez-vous réaliste que cela soit à ce composant que le Talmud fasse allusion ?
Autre question, pour revenir au sujet des matières animales - et notamment à l’auteur de l’article, puisqu’il le propose si gentiment : certains muscs, ambres et autres civettes de synthèse vous paraissent-elles offrir une qualité comparables aux originaux animaux ? Leur origine synthétique est-elle reconnaissable ?

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par RomainB, le 3 mai 2011 à 22:41

alors j’ai eu la chance (ou pas d’ailleurs) de sentir du Galbanum, matière que je déteste à cause de son odeur verte et grinçante, et d’ailleurs si il y en a dans un parfum, je vais m’en rendre compte rapidement ce qui va déclencher un rejet systématique, dommage.

pour tout les remplacent synthétique des matières animales, et bien il ne les remplaces pas à mon avis, ils s’y substitut faute de mieux, mais il n’égaleront jamais l’original. Maintenant, heureusement que ces matières sont la pour arriver à donner un coté animalisé au parfum et obtenir des facette qui reste intéressantes. Mais encore une fois aujourd’hui rien ne peu remplacer une vrai civette, un vrai musc tonkin etc

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par Jean-David, le 4 mai 2011 à 04:56

Merci pour votre réponse. En fait, ça me rappelle un peu la comparaison entre le piano acoustique et le piano numérique. C’est bien que cette synthèse existe, mais elle n’aura jamais la profondeur d’harmoniques, de toucher et de timbres d’un "vrai" piano.
Pour le galbanum, si c’est repoussant à soi seul, alors effectivement, ça laisse penser qu’il pourrait s’agir de la ’helbena des Anciens.

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par RomainB, le 4 mai 2011 à 07:14

le galbanum est repoussant pour moi, mais peut-être que certains l’apprécie. on en trouve en grande quantité dans le N°19 de Chanel et dans Untitled de Margiela

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par dau, le 4 mai 2011 à 07:47

Je suis littéralement en amour avec le galbanum. Je crois que c’est l’une des matières que j’aime le plus. (Oui, même pur, j’ai pu en sentir une fois il y a longtemps, même si ok, ce n’est pas exactement sympathique)

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par mitsouko, le 3 mai 2011 à 09:44

Merci Romain pour cet article très intéressant et très bien construit.
Une seule question : l’hyraceum est dis-tu peu utilisé en parfumerie, mais quand c’est le cas qu’est-ce que ça donne ? Pourrais-tu nous décrire son odeur et les "effets" qu’il est susceptible de créer en parfumerie ?

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par RomainB, le 3 mai 2011 à 22:35

ca aurait été avec grand plaisir mais je n’ai jamais eu l’occasion de le sentir, je demanderais a quelqu’un qui en a déjà senti de m’en parler un peu plus.

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dau

par dau, le 3 mai 2011 à 08:25

Rien à dire, rien à ajouter mais merci pour ce très bon article qui vaut ses 4 étoiles.

 

Et merci d’avoir souligner certaines aberration écologiste qui appauvrissent les populations locales sous prétexte de venir en aide à des animaux qui ne sont pas nécessairement maltraités.

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amalia

par amalia, le 3 mai 2011 à 07:44

Merci Romain pour cet article très intéressant qui en plus d’améliorer nos connaissances, remet les pendules à l’heure.

 

A quand le prochain ?

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par RomainB, le 3 mai 2011 à 23:12

le prochain arrivera plus tard... en attendant n’hésitez pas à me contacter par mail pour toutes autres questions sur ce sujet ou sur un autre. mon mail doit être affiché sur mon profil

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Absinthe

par Absinthe, le 3 mai 2011 à 07:00

j’en oublie les étoiles par dessus le marché !

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Absinthe

par Absinthe, le 3 mai 2011 à 06:59

Alors là monsieur Romain, respest et chapeau bas ! J’adore apprendre, et là, j’avoue, j’ai TOUT appris : je ne savais pas ce qu’était une civette, depuis Moby Dick je croyais qu’en effet on chassait le cachalot pour en extraire l’ambre gris, je pensais que le musc provenait des glandes anales.... rrhhoo l’inculte ! Comment peut-on se passionner pour les parfums sans avoir jamais cherché à connaître des ingrédients pourtant présents dans bon nombre de classiques ? Quand j’aime tant les notes animales, en plus ? Non vraiment, la HONTE.
.
Merci et bravo pour cet article utile et passionnant de bout en bout !

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Opium

par Opium, le 2 mai 2011 à 23:30

Romain,
Je n’ai aucune demande de plus à faire, c’est très complet. Juste des remerciements à exprimer pour ce dossier utile, intéressant et qui va à l’encontre de pas mal de préjugés.
Cela m’évitera de dire des bêtises à mes amis dans l’avenir !
MERCI ! !

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par RomainB, le 2 mai 2011 à 23:43

à votre service ;)

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RomainB

par RomainB, le 2 mai 2011 à 22:48

je reste à votre disposition (enfin autant que je le puisse) pour compléter ce qui a été dit ou répondre à vos questions si nécessaire.

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