Episode 9 - Première Partie : Guerlinade
par Thomas Dominguès (Opium) - Alexis Toublanc, le 11 août 2014
- La Saga Guerlain, ça commence demain !
- Épisode Pilote - Le cas Shalimar
- Épisode 2 - Juclassic Park
- Épisode 3 - Jicky à la barre
- Épisode 4 - Un mouchoir et une voilette trouvés après la pluie
- Épisode 5 - La parfumerie en gestation
- Épisode 6 - À travers l’amour et la mort
- Épisode 7 - Au bonheur des dames
- Episode 8 - Le Seigneur des Arômes
- Episode 9 - Première Partie : Guerlinade
- Episode 9 - Deuxième Partie : Djedi
- Episode 9 - Troisième Partie : Sous le Vent
- Episode 10 - Tout feu, tout flamme...
- Episode 11 - Jacques de fin
- Episode 12 - Patte(s) Guerlain
- Episode 13 - L’affaire Mitsouko
- Episode 14 - Epilogue
(Cet article fait partie de notre Saga Guerlain)
Ne voyez pas de dissolution de la communauté avec la Saga Guerlain de cette semaine. Car si vous aurez bien trois parties d’un épisode ce lundi, mercredi et vendredi, le rythme se brise pour mieux se retrouver ensuite. Mais... Pourquoi ce changement ? C’est que les trois parfums que nous aborderons cette semaine sont particuliers et méritaient qu’on s’y arrête encore plus longuement.
Avant de retrouver deux autres auteurs pour Djedi et Sous Le Vent, c’est Jicky qui se dresse à nouveau pour décrire un parfum au nom intrigant...
Guerlinade - Jacques Guerlain, 1924 - par Jicky
Un parfum nommé Guerlinade en 1924, à savoir à l’apogée de l’œuvre de Jacques Guerlain, quoi de plus intrigant ? La notion de guerlinade est une des trouvailles marketing les plus brillantes en parfumerie : en appuyant l’idée d’une signature olfactive au sein d’une même marque, l’appellation fidélise un large public qui a alors l’impression d’appartenir à un cercle de privilégiés partageant un goût commun. Mais cette trouvaille a aussi ses limites : en "définissant" une écriture, elle cantonne la maison à un type de parfum en particulier, bloquant d’une certaine manière des créations dépassant une "guerlinade".
Parfois majestueuse, tantôt affranchie, de temps en temps caricaturale, la guerlinade reste floue. Est-elle une variation autour des fameux "six ingrédients de la guerlinade" que seraient la bergamote, la rose, le jasmin, la vanille, la fève tonka et l’iris ? Une notion intellectuelle plus abstraite captée différemment selon les parfumeurs et les époques ? Des réécritures constantes d’un seul parfum ? Ce sont des questions rhétoriques d’une certaine manière, ces interrogations s’étant posées un tel nombre de fois que les éléments de réponse sont déjà nombreux.
Néanmoins, lorsque ce fut au tour de Guerlinade de passer à la barre, un frisson parcourut les membres du tribunal olfactif que nous formions. Les mouillettes passèrent de mains en mains et, une fois de plus, un silence de nuit plana dans la salle. Les yeux s’arrondirent, les sourcils se froncèrent, mon Botox se déchira : "décontenancé", avec ses cinq syllabes et ses cinq voyelles, est un mot qui aurait pu définir à merveille notre petit groupe.
Au premier sniff, une envolée verte inédite chez Jacques Guerlain se diffuse, amenant une impression presque menthée et aromatique. Soutenue par deux notes antagonistes, la note verte se complexifie d’emblée : d’un côté, la surbrillance métallique des aldéhydes apporte un montant très savonneux, de l’autre, une note épicée de clou de girofle vient légèrement ternir et donner du grain à la tête. L’impression est très étrange car, contrairement aux précédents départs verts des parfums de Jacques, celui de Guerlinade n’a rien de "naturel" au sens figuratif du terme. La bergamote ne domine ni n’enrobe, les notes aromatiques sont floues, seule subsiste une impression de verdeur indéfinie. Puis, très vite, apparaissent deux nouveaux motifs pour le moins surprenants... D’un côté, le parfum fruite en continuité du départ : une saveur de pomme assez chimique, le croquant d’une fraise plutôt réaliste et le velouté de la pêche (revendiquée) donnent à Guerlinade une texture moderne et inédite jusqu’à maintenant. De l’autre côté, c’est une fleur d’oranger qui s’étire tout en douceur, d’abord grâce à un néroli très agreste, puis par une fleur blanche brillante et... gourmande ! À ce stade de l’évolution, le twist note verte brillante - fleur d’oranger à texture guimauve (on croirait malaxer de la pâte à modeler violette) ferait même penser à une composition d’un certain Thierry Wasser (l’intéressé lève les yeux), revue à la sauce aldéhyde et encens. Car déjà se laisse entrevoir l’évolution : au fil du temps, les notes éclatantes diminuent pour laisser la part belle aux notes de guimauves (soutenues par de l’amande et de la fève tonka) ainsi qu’à des notes plus sombres qui évoquent les bâtons d’encens un peu cheaps que l’on pourrait sentir dans un magasin à tendance hippie à Saint-Germain. La description olfactive vous paraît étrange ? C’est normal ! Beaucoup d’entre nous n’ont pas compris ce parfum. Assez difficile à classer, il faut dire aussi qu’hormis une impression savonneuse marquée, Guerlinade ne sent pas ce que l’on pourrait attendre d’un parfum des années 20 : les notes florales ne sont pas abstraites, les notes fruitées et gourmandes semblent venues d’un autre temps et il n’y a pas de jeu sur l’animalité, qu’elle soit florale ou tirée d’une civette ou d’un musc.
Des parfums modernes, Guerlinade ne cesse d’en évoquer... par facettes ! Car dans sa totalité, il confine au jamais-senti. Néanmoins, il pourrait évoquer trois Aqua Allegoria (toutes signées Wasser) par ses notes fleurs blanches/vertes : Flora Nymphéa pour la moiteur du seringa, Jasminora pour la brillance verte et Nérolia Bianca pour l’association vert métallique/néroli. Dans sa facette gourmande, la guimauve se rapproche de celle de Guimauve, ex Mi Fa voire de L’Heure de Nuit (signée Wasser). Enfin, plus surprenant, la verticalité note menthée/encens/patchouli évoque le récent Junky de Jardins d’écrivains, qui partage avec Guerlinade une étrangeté déstabilisante. Quant à la définition d’une quelconque "guerlinade", mieux vaut ne pas y songer : à part aussi bien dans l’œuvre de Jacques que dans l’histoire de la parfumerie, Guerlinade existe par et pour lui-même. Comme tout beau parfum qui se respecte en somme.
(Cet article fait partie de notre Saga Guerlain)
Crédits : Allons-y Voir/ - parfumo.net
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par zab63, le 12 août 2014 à 11:46
Guerlain a sorti un parfum nommé Guerlinade (édition éphémère) dans les années 90 ou début 2000, je ne sais plus. Je n’ai jamais senti ce parfum et me demande à quoi il pouvait ressembler...mais je suis certaine qu’un(e) Auparfumiste saura le décrire.
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par Jicky, le 12 août 2014 à 12:53
Salut Zab, c’est exact !
Paradoxalement, le Guerlinade de JPG - qui n’a rien à voir avec le Guerlinade de Jacques - n’était pas très proche de ce que certains pourraient imaginer pour un parfum nommé ainsi. Ce parfum c’était un lilas assez orienté sur l’aspect fleuri vert (le côté fleur blanche jasmin ressortait pas mal), je crois me souvenir une petite facette épicée sur le départ aussi et un très léger lit de vanille. Je ne l’ai testé que deux ou trois fois mais ce n’était ni un chef d’œuvre ni un parfum très intéressant. Juste un joli parfum.
par tambourine, le 12 août 2014 à 12:56
alors de mémoire, c’est un floral, qui, je crois, n’avait pas un caractère ou une identité très marquée, et comme cet ancien guerlinade, n’avait pas grand chose à voir avec cette signature que l’on appelle guerlinade.
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par Opium, le 20 août 2014 à 18:10
Bonjour à tout(te)s.
Cela fait quelques jours que je souhaite poster à propos de cette série.
Jicky a parfaitement retranscrit nos impressions à propos de ce Guerlinade. J’aurais presque voulu lui voir développer encore davantage des points de convergence ou de différenciation avec la guerlinade en tant que signature. Mais, si cela aurait été intéressant, il y aurait eu un problème de cohérence de déroulé de la pensée et nous aurions été, il faut le reconnaître, à deux doigts du hors sujet. Guerlinade et d’autres parfums de cette série sont largement assez une chance pour qu’on s’intéresse à eux pour ce qu’ils sont et pas uniquement pour des raisons d’analyse de la genèse Guerlain.
Jicky a abordé cette question au début de sa publication : la signature Guerlain, est-ce la guerlinade, cet "enfilement de notes", comme le définit joliment Denyse, des perles mises bout à bout dans un ordre assez précis et dont les membres doivent tous être présents ? Ou bien est-ce un ensemble de critères qui fondent le caractère Guerlain, sa personnalité qui distingue ses membres de ceux d’autres "familles" (marques) assez sûrement ?
Autrement dit, si la guerlinade serait un ensemble de caractéristiques physiques, telles que la couleur des cheveux et des yeux, une certaine taille et poids, la "morphologie" composée du gabarit et la proportion des divers éléments du visage et du corps (un nez, un même menton...) mis en rapport les uns avec les autres fourniraient ces autres critères qui font qu’on reconnaît les traits Guerlain même dans un parfum de prime abord aussi différent que Vétiver.
Un commentaire était presque publié quand je me suis dit que ce serait dommage de publier cela seulement en réponse à cet épisode passionnant. Cet épisode passionnant en nourrira un autre, dans quelques semaines à peine puisque nous approchons du dénouement. ;-)
Merci Jicky pour tout le boulot fourni, si on avait su, on aurait peut-être été moins pressés de fournir tout ça. Bref, merci pour ton investissement qui te force à prendre sur ton temps Bronze Goddess durant tes vacances... ^^
À bientôt.
Opium
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par Vesper, le 20 août 2014 à 19:42
Bonsoir Opium,
Loin de moi l’idée de vous dire comment écrire, mais j’avoue que j’ai du mal à saisir l’idée directrice de ce passages.
"Autrement dit, si la guerlinade serait un ensemble de caractéristiques physiques, telles que la couleur des cheveux et des yeux, une certaine taille et poids, la "morphologie" composée du gabarit et la proportion des divers éléments du visage et du corps (un nez, un même menton...) mis en rapport les uns avec les autres fourniraient ces autres critères qui font qu’on reconnaît les traits Guerlain même dans un parfum de prime abord aussi différent que Vétiver."
Opposez-vous les traits morphologiques aux rapports de proportions ou considérez vous ces deux approches dans une même cadre d’analyse ? Il s’agit peut être juste d’une erreur de syntaxe, mais il y a trop de verbes dans votre phrase pour que je m’y retrouve.
Et encore une fois, toute mes excuses si ce commentaire peut paraître critique. M’intéressant de près à votre approche (puisqu’elle est passablement personnelle, donc différentes de celle des autres intervenants qui ont chacun la leur), je voudrais juste être sûr de ce que j’ai compris.
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par Opium, le 21 août 2014 à 21:07
Bonsoir Vesper.
Mân dieu, c’que cette phrase est longue et combien possède-t-elle de verbes, 260 nân ? ;-)
Effectivement, là, je crois que vous me voyez plutôt réfléchir que poser un discours très intelligible. J’ai relu cette phrase avant de la poster et je me suis dit justement qu’elle manquait de clarté sans pour autant la modifier.
Probablement est-ce car, au moment de la rédaction de mon commentaire, je me suis décidé à intégrer un développement à propos de la tentative de définition de la ou des signature(s) Guerlain et son rapport à l’écriture de Jacques Guerlain. Si ce dernier point est prévu depuis des semaines car il correspond bien au déroulé de notre matinée de découverte, l’autre est un peu digressif et n’a émergé dans mon esprit qu’il y a peu de temps.
Mais, il me paraît maintenant essentiel d’aborder l’un et l’autre sujet.
Alors, pour ne pas ôter l’intérêt de la future publication, je ne vais pas en révéler davantage. Mais, pour ne pas être trop atroce en titillant votre patience Vesper, je dirais qu’il faut distinguer entre guerlinade et style Guerlain la morphologie du gabarit ou le physique de l’attitude comportementale...
La suite, pour cette partie, aura lieu non pas la semaine prochaine mais dans les toutes prochaines semaines (c’est qu’il nous reste encore trois parfums à étudier avant... ^^).
Bonne soirée.
Opium
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par Vesper, le 22 août 2014 à 18:19
J’ai bien tort de me plaindre, en fait, puisqu’en général, mes élèves, eux, omettent de placer le verbe dans les phrases de leurs réponses ce qui a pour effet de leur donner une "polysémie" qui rassure sans doute leurs auteurs quant au potentiel de leur formulation, mais qui me laisse plutôt perplexe.
Il ne faut pas 260 verbes pour rendre une phrase "peu claire". Ici, en l’occurrence, votre liste "la couleur des cheveux et des yeux, une certaine taille et poids, la "morphologie" composée du gabarit et la proportion des divers éléments du visage et du corps (un nez, un même menton...) mis en rapport les uns avec les autres" dépend de seulement deux verbes : serait et fourniraient. Mais c’est, pour moi, déjà un de trop.
Pour le reste, une autres de mes hobbies m’obligent à être extrêmement patient.
Je suis donc curieux de savoir ce qui fait la signature d’un parfum de Guerlain, mais d’une curiosité sereine.
Et puis, proustien comme vous l’êtes, je ne doute pas une seconde que vous arriverez un jour à une phrase contenant 260 verbes. ;-)
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