Bois d’ascèse
Naomi Goodsir

Coup de cœur
- Marque : Naomi Goodsir
- Année : 2012
- Créé par : Julien Rasquinet
- Genre : Féminin - Masculin
- Famille : Boisée
- Style : Élégant - Opulent - Pointu
Charbons ardents
par Youggo, le 14 janvier 2014
Comme une réaction face au nivellement par le bas de la parfumerie dite « mainstream », on constate depuis quelques années une appétence de plus en plus importante d’une partie du public pour la parfumerie de niche. Le marché connait une véritable explosion, et chaque jour de nouvelles marques viennent prétendre à leur part du gâteau et concurrencer les précurseurs historiques (Diptyque, Goutal, Lutens…).
Malheureusement, dans de trop nombreux cas, ce foisonnement semble davantage tenir de la boulimie marketing que d’une réelle proposition créative originale et qualitative. De trop nombreuses marques proposent des jus de qualité équivalente ou moindre à ceux du marché grand public, sous un packaging tape-à-l’œil, un concept arty bancal et un positionnement tarifaire qui pue le snobisme vulgaire. Mais tant que le ridicule ne tuera pas et que la clientèle à fort pouvoir d’achat continuera à prendre des vessies pour des lanternes, cette escroquerie marketing continuera à s’amplifier de façon exponentielle.
Face à ce phénomène, il est de plus en plus difficile pour nous autres amateurs de parfums aux goûts aussi sûrs qu’éclairés, de s’y retrouver dans cette pléthorique offre nichue, et les vraies bonnes maisons ont de plus en plus de difficultés à tirer leur épingle du jeu, noyées dans un déluge de sorties.
Naomi Goodsir, un esthétisme de nature morte
En 2012, une nouvelle marque très remarquée sur les différents salons internationaux, parvenait toutefois à créer l’évènement : Naomi Goodsir. Du nom de son instigatrice, une créatrice australienne de chapeaux et d’accessoires de mode. En toute logique, les parfums de la marque s’inspirent de l’univers sombre et excentrique des créations de Naomi Goodsir : entre matières brutes, cuirs noirs, élégance gothique, esprit détonnant et audace espiègle. Un esthétisme de nature morte que ne renierait pas Serge Lutens. Le packaging, le logo de la marque, ou même les noms des créations ont d’ailleurs des accents très Lutensiens.
Distribuée en France exclusivement chez Nose, ce temple de la hype branchouille emblématique du phénomène que je déplore plus haut, la petite marque semble presque y faire tache et avance modestement en ne proposant que 2 parfums. On est loin de ces marques surgies de nulle-part qui déboulent avec une gamme complète d’une douzaine de parfums bien calibrés pour plaire à chacun.
Le premier parfum se nomme Cuir Velours. Un cuir velouté donc, duveteux, moelleux, et sucré, aux notes d’abricot, de tabac blond et de rhum. Très joliment exécuté et avec de belles matières, on ne lui attribuera cependant pas la palme de l’originalité car il souffre malheureusement la comparaison avec des sorties antérieures (on pense notamment à Daim Blond de Serge Lutens).
La quintessence et la synthèse de tout ce qui a été fait dans le répertoire des boisés fumés
Le second, lui, a fait l’effet d’une petite bombe chez les amateurs de parfums, emportant une adhésion presque unanime. Son nom : Bois d’ascèse. Un encens donc. Oui, mais plus encore. Imaginez-vous alchimiste. Dans votre cornue versez six gouttes de Cuir (Mona di Orio), un peu de Fille en Aiguilles (Serge Lutens), ça d’épaisseur, et touillez. Dans votre cornue versez une pincée de Bois d’Ombrie (Eau d’Italie), un peu de Black Afgano (Nasomatto). Dans votre cornue faites couler une poignée de Fumidus (Profumum Roma). Ébullition, réaction. Faites monter.
Bois d’ascèse c’est ça : la quintessence et la synthèse de tout ce qui a été fait dans le répertoire des boisés fumés. Le tout poussé à un degré et une radicalité jamais atteints. Le départ est particulièrement violent, une impression de fumée âcre et puissante, dérangeante, entre feu de forêt et volutes d’encens. L’impression d’avaler à pleins poumons une poignée de cendres et de charbon. Puis la fumée retombe, et c’est un bois brûlé, calciné, carbonisé, qui fait son apparition, entre pin, cèdre, bouleau, et surtout cade (pour un effet de cuir fumé très semblable au Cuir de Mona di Orio). Charbonneux, sombre, austère.
La suite semble se réchauffer, s’adoucir et se fondre au contact de la peau. Le parfum devient alors tout à fait confortable, dans une aura moelleuse de fruits confits et de whisky (tourbé quand même le whisky, un Islay au moins). Et miracle de l’évolution, le parfum se tourne finalement vers un fond… chypré. Ambré et chypré en fait, entre labdanum et mousse de chêne.
La qualité des matériaux est impressionnante (ce cade en surdose est vraiment sublime), l’effet est percutant, étouffant de fumée, puis l’évolution s’avère pleine de richesse et de subtilité. Et pour ne rien gâcher il entre dans la catégorie des champions niveau tenue et sillage.
Ce parfum pourtant sans compromis, excessif et jusqu’au-boutiste a finalement réussi à mettre tout le monde d’accord par son côté ultra-créatif, son audace et la qualité de sa composition, des amateurs de parfums exigeants aux clients branchés de chez Nose. Déjà culte, il parvient également à lui seul à hisser la marque Naomi Goodsir dans la catégorie des maisons incontournables qu’il faut suivre absolument.
La suite pour la jeune marque : un troisième parfum signé Isabelle Doyen intitulé Nuit de Bakélite...
à lire également
par AdRem, le 14 janvier 2014 à 20:33
Merci Youggo pour ce très beau billet. Après celui sur Tam Dao sur un autre site et celui sur Eau Sento ici même, je me sens avec ce Bois d’Ascèse très proche de vos choix et émotions olfactives.
Et quand vous parlez plus bas avec l’ami Farnesiano de ce bucheron/ gentleman, vous me donnez le sentiment de dresser mon autoportrait rêvé :)
Je viens d’un petit pays rude mais où le sentiment du beau se mèle naturellement au quotidien, où la vie de tous les jours est surtout en hiver un numéro d’équilibriste entre une école de survie et des études d’art appliqué : je ne connais pas ainsi d’intérieur à la fois plus modeste, fonctionnel mais également plus choisit, souhaité, travaillé et traversé par le design que les maisons de mon enfance. Le design nordique n’est plus à expliqué, mais je vous propose pour illustrer mon propos d’aller sur le site d’Artek....dont CDG en collaboration a signé un de mes parfums préféré, le beau et trop méconnu Standard http://www.artek.fi/news/56
Sous mon costume parisien, ma blouse blanche se cache une âme de bucheron, sous mes couches de vêtements lapons aux charmes rustiques vit un dandy : Bois d’Ascèse est un parfait compagnon pour cet homme des bois devenu citadin/citoyen de la ville des lumières ;)
Je suis amoureux du cade ( le Cuir "cigarette" de Mona Di Orio est un bonheur pour un nom fumeur comme moi :), et le voir ici en surdose, habillé de feu, de flammes et de cendres, à la fois plein de morgue et d’élégance fait de Bois d’Ascèse l’une de mes plus belles découvertes olfactives de l’année passée avec l’Iris Nazarena (qui joue aussi dans une autre gamme à la fois sur des notes brutes et ciselées) : la parfumerie comptemporaine peut être encore un lieu de création, de choix engagés et de plaisir :) Reste le prix qui s’envole pour modérer nos envies de beau :(
L’histoire de cette jeune, belle et talentueuse modiste australienne qui s’allie à un jeune parfumeur indépendant est un coup de maître...
Merci à Julien Rasquinet...dont je vous invite à découvrir son site.
Holy Grail...Must Have...Masterpiece !
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus
par AdRem, le 14 janvier 2014 à 21:50
P.S : pour le plaisir Youggo, voici un lien vers Julien Rasquinet en
"homme des bois"....pour vous dire encore une fois combien votre association bucheron/gentleman pour expliquer votre émotion olfactive tombe juste (à mon grand plaisir et à mon immense surprise :) ) : http://commons.m.wikimedia.org/wiki...
(je n’ai pas la patience que vous découvriez par vous même ce cliché ^^)
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus
par Youggo, le 14 janvier 2014 à 23:02
Ah Ah ! Cette photo est magnifique. La cabane de bois rouge, les guêtres de cuir, tout ça est très scandinave. Et pour l’anecdote, j’avais justement en tête l’image d’un bucheron norvégien quand j’écrivais ces mots. Comme quoi, il n’y a pas de hasard.
Adrem, le récit de tes origines (s’autorise-t-on le tutoiement ?) est touchant, et me donne terriblement envie de sentir ce Standard de CDG à côté duquel je suis passé de nombreuses fois sans jamais le sentir.
Par curiosité, puis-je savoir de quel "petit pays rude" tu viens ?
Je réfléchissais dans la soirée au prochain parfum dont j’aimerais parler sur ce site, et mon choix, rapide et évident, s’est porté sur un récent coup de coeur. Et puisque nous sommes en Scandinavie, j’ai le plaisir de t’annoncer que je compte bien y rester dans ce prochain article.
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus
par AdRem, le 15 janvier 2014 à 01:52
Ah ! A peine le tutoiement autorisé...voilà Youggo que mes racines finlandaises veulent te donner des leçons...désolé... : aussi succeptible qu’un québécois entourré d’anglophones canadiens, ou qu’un wallon au milieu de flamands, je dirais à strictement parlé que je ne suis pas scandinave et que je n’aime pas la Scandinavie n’ayant aucun lien linguistique (le finnois n’est pas une langue indo-européenne...) avec ses gens là....Ah ! la susceptibilité des petits pays envahit par les uns (Suédois) ou les autres (Russes) :( La république de Carélie....et l’Estonie...restent les seules proches sur cette bande nordique/baltique ayant grace à nos yeux ;)
Ancien finnois américain désormais français parisien, je suis heureux de te serrer la main, de te tutoyer, d’échanger avec toi...et de te présenter la plus belle rue du monde...où un curieux bucheron/gentleman, parfois dandy ou voyou (comme chez Guerlain) déambule en se prenant modestement pour le nombril du monde ^^ : http://finntimes.com/wp-content/upl... (mon ex/futur chez moi)
J’attend ton prochain sujet avec impatience...la salive déjà à la bouche...et je ne t’en voudrais pas de préférer l’inspiration scandinave à la folie douce des bords de ma balitique (franchement...connais tu un autre pays qui choisirait un groupe de métalleux déguisé pour Halloween pour le représenter à l’Eurovision ? ^^ : http://touch.dailymotion.com/video/xv8q7 ...Mmm....après ce joli spectacle...j’avoue que mes amis et moi...du fond de notre Suomi...aimerions bien finalement être scandinave...la honte quoi : même Abba était mille fois mieux non ? )
Pour Standard de CDG, mon chauvinisme reconnait que l’utilisation d’une "flore finlandaise" dans ce parfum a pu...un peu/beaucoup influencé...mon plaisir olfactif...mais je suis certain pour le côtoyer depuis des années qu’il mérite mieux que l’oubli : bonne découverte à toi.
Merci (bis ou ter) pour tes billets dont les sillages parfumés accompagnent mes insomnies...et " me font faire du cinéma sur l’écran noire de mes nuits blanches" :)
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus
par Youggo, le 15 janvier 2014 à 08:27
Je craignais justement de tomber dans cette méprise. Je sais bien que les finnois n’ont aucun atome crochu avec leurs voisins scandinaves, et si j’ai un amour immodéré pour la Norvège, j’ai aussi une affection particulière pour la Finlande et sa langue que je trouve magnifique.
Et pour la petite histoire, sache que les norvégiens, pourtant éminemment scandinaves, ne portent pas non plus leurs voisins suédois et danois dans leur coeur. Il faut dire que les deux pays avaient pris pour habitude de se livrer bataille à mi chemin, c’est à dire en pleine Norvège, dévastant et pillant tout sur place et massacrant une population neutre qui n’avait rien demandé. Et les siècles de domination danoise n’ont pas amélioré leurs relations.
Musicalement il y a des choses intéressantes en Finlande,notamment du côté du métal extrême. Lordi n’en fait clairement pas partie. Mais vous avez le kitschissime Frederik pour vous consoler !
par Farnesiano, le 14 janvier 2014 à 11:42
Merci, et bravo, Youggo, pour ce billet consacré à un parfum déjà culte et si souvent cité sur AP. Une merveille, en effet, de vision, et de radicalité ! Je ne sais s’il faut évoquer une épure ou la quintessence du parfum boisé fumé. Une leçon de style en tout cas. Et tous les amateurs de boisés s’y retrouveront avec un réel bonheur. Avec Bois d’Ascèse, on entre dans le coeur même d’une forêt aux arbres très hauts et dont les branches sombres et noueuses acquièrent à force de contemplation (la note encens) une noblesse antique digne des plus beaux contes. On en parlerait pendant des heures. Tous les perfumistas de ce site l’ont fait et le feront mieux que moi.Trois ou quatre étoiles donc que j’attribue également à Cuir Velours dont certes on ne peut nier la parenté avec Daim Blond mais là où Daim Blond dont je raffolais à sa sortie et que j’ai failli acheter ( j’en ai épuisé plusieurs échantillons) sent l’abricot à deux cents mètres au point qu’aujourd’hui, je ne peux plus le respirer, Cuir Velours élargit sa palette de notes à l’aspect nettement moins synthétique et s’arrondit dans un fond au confort élégant, si on peut rapprocher ces deux mots. Une touche finale de vanille le rappoche des plus beaux Guerlain. Un parfum dans lequel on se love... Quatre étoiles même s’il semble moins innover et surprendre que Bois d’Ascèse. J’attends avec impatience le 3e opus de la marque signé par la surdouée Isabelle Doyen. Farnesiano
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus
par Youggo, le 14 janvier 2014 à 18:18
Merci Farnesiano. Tu en parles très bien également, avec de belles images. Je ne suis pas plus qualifié qu’un autre pour décrire ce parfum, seules mes émotions parlent.
Ce que j’aime particulièrement dans Bois d’Ascèse, c’est que derrière une radicalité et une brutalité de façade, se cache un coeur d’une élégance et d’une finesse rare. C’est un peu comme si un rustre bucheron barbu dévoilait dans un contexte plus intime des manières de gentleman et un esprit extrêmement cultivé. Ne jamais se fier aux apparences.
Et ta description de Cuir Velours m’a donné envie de le porter pour le plaisir d’en apprécier toute l’évolution, chose que je n’ai jamais fait.
par jalouve, le 23 février 2014 à 11:51
Je suis complètement d’accord sur ton analyse sur les disparités entre Daim Blond et Cuir Velours. Les notes animales surprenantes de Daim Blond m’enthousiasment, mais pas autant que l’élégance instinctive de Cuir Velours. C’est vraiment cela qui me touche dans les deux parfums de Naomi Goodsir : un aspect primaire, instinctif, animal conduit par une volonté raffinée, élégante, sensible.
Je reviens à l’homme des bois-dandy, décidément...
AdRem
a porté Bois d’ascèse le 20 décembre 2016
M.
a porté Bois d’ascèse le 17 mars 2016
Youggo
a porté Bois d’ascèse le 20 septembre 2015
Clara Muller
a porté Bois d’ascèse le 6 septembre 2015
densmell
a porté Bois d’ascèse le 30 juillet 2015
Youggo
a porté Bois d’ascèse le 14 novembre 2014
Youggo
a porté Bois d’ascèse le 7 novembre 2014
Witch
a porté Bois d’ascèse le 28 octobre 2014
macis
a porté Bois d’ascèse le 21 octobre 2014
Clair de Jour
a porté Bois d’ascèse le 29 août 2014
à la une
Le vert en majesté : la revue de sorties extraite du potager
À l’occasion de la Journée internationale de l'herboristerie, voici notre nouvelle revue de sorties extraite du potager.
en ce moment
il y a 2 jours
Je parlais de TON message où tu te plie en 4 pour t’excuser de ne pas avoir répondu plus tôt. Je(…)
il y a 3 jours
C’est un vrai passionné qui n’a rien de mielleux et qui s’investi à fond. Il intervient(…)
Dernières critiques
Au-delà des rêves - Camille Leguay
Mimosa bleu
Aigue Monème - Iroise
Eau archangélique
Oud minérale - Tom Ford
Sel de bois
il y a 2 jours
Ca y est j’ai enfin eu la possibilité de le tester comme à mon habitude tous les jours de la(…)