Mon Parfum Chéri

Les contrastes en parfumerie, lorsqu’ils sont bien maîtrisés, offrent souvent de jolies surprises.

Isabelle Doyen et Camille Goutal ont sans doute pris leur temps pour aboutir à ce Parfum Chéri qui aurait mérité un nom, disons, un peu plus brutal et moins lisse, mais peut-être cette discordance contribue-t-elle aussi à sa manière à ce joli contraste ?...

Première impression : un violent shoot d’alcool de prune dans lequel se noie un puissant patchouli aux notes particulièrement camphrées, poussiéreuses et presque moisies, avec un petit quelque chose de dérangeant, donc forcément troublant.
Ce patchouli de tête nous transporte lentement dans une atmosphère anxiogène de cave sombre et sans air, de terre battue humide, où régnerait pourtant une étrange impression de sécheresse. Puis la terre nous amène jusqu’à de profondes racines, celles encore brutes de l’iris qui déploie alors sa note verte, poudrée, cireuse, évoquant presque l’odeur sucrée de la carotte fraîchement cueillie et celle, un peu anisée, du céleri. Les ionones veloutées de la violette et de l’iris se débattent, comme prisonnières de cette montagne de patchouli terreux, mais pourtant bien présentes tout au long du développement, de la même façon que Dans tes Bras, où elles se confrontaient à la puissance de l’encens et du cashmeran.

Mon parfum Chéri, bien qu’avec sa silhouette rétro pouvant évoquer un Roudnitska, est un véritable nouveau chypre virtuose, apportant une structure innovante et créative, et qui ne choisit pas la facilité. Il va sans doute en rebuter quelques-un(e)s par sa dureté, son caractère frontal sans compromis, mais lorsqu’on sait qu’on l’aime, il fait sans aucun doute partie des parfums que l’on adopte pour longtemps.

En fin de compte, hormis son nom, ce Chéri là ne ressemble pas trop à ce que fait Isabelle Doyen en général avec Camille pour Goutal, mais plutôt pour des marques niche comme LesNez, et si vous avez déjà senti the Unicorn Spell, vous comprendrez la filiation. Mais je suis heureuse de voir qu’elle fait avancer la marque vers un territoire plus périlleux, tout en conservant son esprit et sa signature. Mon Parfum Chéri, c’est un peu comme un Lutens du Palais Royal qui aurait pris le temps d’être achevé, avec la qualité d’un Frédéric Malle, empreint de la personnalité passionnée d’Annick Goutal, et surtout grâce au talent sans faille de Camille et d’Isabelle Doyen.