Paco Rabanne, la fin d’un temps
par Jessica Mignot, le 6 février 2023
Le couturier futuriste Paco Rabanne s’est éteint ce vendredi 3 février, à l’âge de 88 ans. Outre ses collections de haute-couture et de prêt-à-porter, plusieurs de ses parfums ont su marquer l’industrie.
Connu pour ses prévisions pseudo-prophétiques et ses multiples vies antérieures, le créateur Francisco Rabaneda y Cuervo, né le 18 février 1934 à Pasaia en Espagne, l’est surtout pour avoir révolutionné la vision de la mode avec son emploi de matériaux décalés, inspiré par sa formation d’architecte. Le nom de sa première collection, lancée en 1966, donne le ton : « 12 robes importables en matériaux contemporains » se caractérise par l’emploi de rhodoïd et plastique, qui n’auront de cesse d’agrémenter ses lignes, rapidement rejoints par le métal, l’aluminium et autres cuirs fluorescents.
C’est en 1968 que Louis Amic, alors chef de Roure Bertrand Dupont – devenu Givaudan – le contacte pour lui proposer de créer un premier parfum pour femme : « Louis m’a dit : “Je vous suis depuis vos débuts. On parle beaucoup de vous. Comme tous les autres couturiers, vous devriez avoir un parfum, c’est un complément indispensable à la mode.” Naturellement, l’idée m’a plu. » [1] Il aurait alors demandé une création futuriste, donnant l’image d’un couple qui fait l’amour sur le capot d’une Jaguar près du bord de mer, dans une ambiance évoquant a posteriori le film Titane de Julia Ducournau sorti en 2021. Louis Amic lui présente alors les équipes de Puig, et c’est Alfred Morille qui s’occupera du développement parfum de Paco Rabanne au sein du groupe catalan. Une composition de Michel Hy est finalement retenue et Calandre sort en 1969. Si l’accord floral initial peut aujourd’hui sembler de prime abord assez classique, il est modernisé grâce à l’oxyde de rose et les aldéhydes qui recréent l’effet métallique, et grâce à une verdeur renforcée par l’Evernyl, alors tout juste synthétisé par Paul Teisseire d’IFF.
Paco Rabanne pour homme, sorti en 1973 et créé par Jean Martel, constitue quant à lui un chef de file de la famille fougère, avec son accord classique de savonnette épicée et boisée.
En 1979, c’est Robert Gonnon qui compose Métal, suivi en 1985 de La Nuit, un chypre animal de Jean Guichard et Rosendo Mateu – ce dernier ayant également contribué au développement du masculin XS aux côtés de Gérard Anthony en 1994. Ultraviolet, l’ambré floral épicé futuriste de Jacques Cavallier sorti en 1999, connaîtra de nombreuses déclinaisons.
Le couturier visionnaire l’avait-il prédit ? Toujours est-il que le début du nouveau millénaire va coïncider avec une série de succès commerciaux qui, à défaut de toujours traduire olfactivement le caractère novateur de la maison, se démarquent par leurs concepts dans l’air du temps et permettent en tout cas de lui assurer une renommée inégalée. Cela commence avec l’accord boisé fruité de Black XS d’Olivier Cresp en 2005, mais plus encore avec One Million en 2008 (Christophe Raynaud, Michel Girard et Olivier Pescheux), dont le sillage oriental fruité et boisé-ambré sera largement plébiscité pendant plusieurs années. Il est rejoint en 2010 par une Lady Million toute aussi clinquante. On n’oublie pas non plus le musclé Invictus de 2013, ni, au rayon féminin, le gourmand fruité Black XS for Her (Émilie Coppermann, Mark Buxton) ainsi que ses multiples déclinaisons, et le sucré-salé Olympéa en 2015, cosigné Anne Flipo, Dominique Ropion et Loc Dong.
En 2019, la marque accueille dans ses boutiques une « Pacollection » au packaging souple et argenté, et dont l’audace olfactive se distingue des blockbusters hyper-calibrés du rayon mainstream, à l’instar de Phantom, petit robot connecté lancé en 2021, dont toute l’originalité semble concentrée dans le flacon. Il est rejoint l’an dernier par Fame, son pendant féminin vêtu d’une robe cotte de maille, clin d’œil à l’histoire de la maison, mais cependant bien ancré dans son époque avec son jasmin ultra fruité.
À l’image de sa personne géniale et un peu folle, et alors que l’activité de la haute couture et du prêt-à-porter furent tour à tour arrêtées, les parfums de Paco Rabanne ont quant à eux révolutionné l’industrie et ont su – à défaut de séduire tous les perfumistas – conquérir les foules, comme rarement une maison de mode l’avait fait auparavant.
Et vous, quel est votre parfum Paco Rabanne préféré ?
Visuel principal : © Puig
[1] Michael Edwards, Perfume Legends Volume 2, p.149 sqq
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Sport, fougère aromatique du milieu des années 80, de Rosendo Mateu qui pour Puig avait créé l’Agua Brava et surtout le fascinant Quorum. Mais " je vous parle d’un temps / que les moins de 20 ans... "
À propos de fougères, on m’a fait sentir ce week-end Fougères Marine de Montale. Bof, c’est joli, sympa, équilibré... Mais 35 ans plus tôt naissait Cool Water de Davidoff.
Dans le style marin, j’irais plus volontiers vers les subtils Sel Marin de James Heeley ou la troublante Acqua di Scandola de Parfum d’Empire qui nous procure à la fois plaisir, émotion et pure oésie.
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