L’Orpheline
Serge Lutens
Coup de cœur
- Marque : Serge Lutens
- Année : 2014
- Créé par : Christopher Sheldrake
- Genre : Féminin - Masculin
- Famille : Fougère
- Style : Élégant - Pointu
Je t’aime mélancolie
par Thomas Dominguès (Opium), le 24 mai 2015
L’Orpheline est une sorte de somme des étrangetés du maître Lutens, auxquelles l’une des créations les plus expérimentales de la parfumerie contemporaine se serait greffée.
Des notes vertes, aromatiques, presque menthées tant elles sont métalliques par des aldéhydes, et un encens fumé qui souffle le chaud sur cette sensation glaçante sont autant de thématiques qui avaient déjà été exploitées dans L’Eau Froide et Laine de Verre. La partition d’un grimage en fleur à collerette épicée tout en faux-semblants, que l’on retrouve également ici, était lui le thème de Vitriol d’Œillet. En découvrant L’Orpheline, ces ébauches s’avèrent trouver leur place dans un puzzle complexe révélant un sujet que l’on ne peut deviner en prenant chaque autre parfum séparément.
L’encens brûlé, évoquant un âtre fumé, imprime sa vibration lancinante en filigrane de manière continue, rehaussé par l’effet poivré presque diabolique d’une angélique ou d’un œillet pas si innocents que cela.
La cendre, telles des brisures abrasives métalliques comme certaines éponges de type laine de verre (justement) se fait poussière d’étoiles scintillantes mat et argentées.
Lorsque l’on croit l’histoire achevée, une note miellée à l’animalité ronronnante, susurrant le souffle chargé de salive de Muscs Koublaï Khän et Clair de Musc ou plus sûrement la rose miellée actant le dernier rappel de La Fille de Berlin, vient ranimer les braises qui s’éteignaient, comme s’il fallait insuffler une nouvelle vie à ce qui s’estompait.
Si la rencontre de tous ces univers aboutit dans l’impression d’un parfum hésitant ainsi par ses épices poivrées, entre fougère résineuse et floral scintillant, on ressent surtout l’effet de complétude que l’on connaît face à une œuvre totalement achevée.
Si l’œillet au vitriol tentait de nous montrer une violette pimpante emportée par la colère dans une déflagration poivrée, L’Orpheline métamorphose un savon de barbier traditionnel en allusion chagrine toute colorée du gris métal d’aldéhydes et de la minéralité d’un encens poussiéreux. A la manière de Serge Noire, dernière référence à l’univers Lutens, qui faisait basculer l’oriental du doré vers le gris en rendant mélancolique la famille la plus séductrice et lascive de la parfumerie, L’Orpheline rectifie ici le prisme de la fougère (ennuyeuse quand elle est grossière ou androgyne lorsqu’elle est interprétée finement) du vert vif mordoré vers l’argenté contemplatif.
Selon Lutens, Serge Noire est un « oriental gris ». Dans ce cas, L’Orpheline serait selon moi une fougère cendrée.
En jouant sur la tension induite par des aldéhydes incisifs ressentis comme une lame de rasoir dans la chair, un encens minéral abrasif qui rappelle la brûlure d’une écorchure sur de la pierre et une fleur à boutonnière désuète qui nous remémore la tendresse d’une mère soignant une blessure, L’Orpheline nous convie à une atmosphère teintée de nostalgie, de tristesse pour ce qui a été perdu ou pourrait l’être, et du bonheur de se sentir toujours vivant.
L’Orpheline me touche de manière assez dingue, m’est profondément émouvante. Comme lors d’une fin d’histoire. Ce moment de tristesse, lorsque l’on prend conscience d’un cycle qui s’achève, cousu de tension dramatique tel un pont musical dressant le climax en apogée d’un morceau de musique rythmé ou d’un adagio entre deux mouvements plus rapides qui nous signifie que les moments de cafard alternent inéluctablement avec la joie, comme le calme précède l’orage.
L’impression de déjà-vu est celle, étrange, de ce genre de rencontres qui nous arrivent parfois par hasard avec ces rares personnes, inconnues l’instant auparavant et qui, pourtant, par certaines similitudes, nous donnent la sensation immédiate, nuancée à la fois de joie et de chagrin, de les avoir toujours connues.
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par Jeanne Boyer, le 21 novembre 2018 à 18:32
Curieux et très intense ce parfum. Bien entendu j’ai lu à son propos avant d’en faire l’achat, mais étant donné où j’habite je ne pouvais le sentir préalablement et il constituait donc finalement un achat à l’aveuglette.
J’ai été pétrifiée la première fois que je l’ai essayé, réellement. C’était l’été, le soir, il faisait doux, l’air n’était pas trop humide ou suffocant, mais je me suis sentie agressée comme par des souvenirs qui cherchaient à remonter à la surface pour me culpabiliser. Puis j’ai pensé à mes grand-mères (lesquelles je n’ai malheureusement pas bien connues), et alors j’ai eu l’impression de me faire hanter par leur fantôme, et qu’elles n’étaient pas fières de moi. C’était réellement un étrange sentiment, tout ça découlant d’une simple odeur.
J’aurais pu ne jamais chercher à le réessayer, j’étais à vrai dire terrifiée d’être à nouveau induite dans cet état psychologique. Mais ma curiosité (et mon courage peut-être, à ce stade-ci) l’emporta, et je fut réconfortée dans mon choix. Vint l’automne, et ce fut une redécouverte sur tous les plans.
La seconde expérience fut tout à fait différente donc. Contrairement à la fois précédente, c’est comme si je pouvais désormais me permettre de porter cette odeur sans que cela constitue une imposture. Il eut même un effet apaisant sur moi ! Alors mes pensées se portèrent encore sur mes grand-mères, et cette fois-ci il n’y avait pas de rancune, mais que de l’amour. Je nous voyais toutes au même âge et amies, je me sentais à ma place en fait.
Il va sans dire que l’Orpheline eut un énorme effet sur moi. J’y repense, je cherche à comprendre ces deux réactions si différentes de ces deux essais réalisés dans un laps de temps relativement court. Et maintenant je le porte sans gêne, sans me prendre la tête, je suis heureuse de pouvoir le sentir sur moi, car il est très beau, m’émeut et me fait rêver.
par schaffto, le 3 octobre 2017 à 16:58
Bonsoir,
pour mon premier commentaire sur auparfum, ce sera très maladroit et je m’en excuse.
Je tiens d’abord à dire que j’ai découvert ce site il y a peu et les chroniques permettent d’entrer dans un monde qui m’a réconcilié avec les parfums. Je commence donc à faire des parfumeries mon rayon favori.
J’avais d’abord un mouvement de rejet à chaque test des parfums de Serge Lutens, mais comme je me promenais au rayon parfumerie hier, une vendeuse m’a très gentiment proposé son aide pour un parfum de Serge Lutens, Vétiver oriental, que j’ai aimé pour son esprit aventureux, mixte car je n’aime pas les parfums trop féminins. Puis j’ai essayé aujourd’hui l’Orpheline, choisie en fonction des textes lus sur auparfum. Sa note de tête m’a déplu, trop propre sur ma peau, presque trop fraîche, qui monte dans le nez comme me fait l’effet de gravir une montagne de l’Eau de Narcisse blanche, puis l’envolée plus féminine des florales m’a rappelé certains parfums de ma maman, rassurants. Donc merci à la vendeuse mais aussi aux chroniques de auparfum qui m’emmènent toujours des chemins qui me seraient impossible à trouver seule en grande novice des odeurs.
Je contibue donc ma quête.
J’envie votre nez, votre plume, et espère pouvoir faire des commentaires plus poétiques sur les parfums bientôt. Comment faites-vous donc pour être si doué -es ?
par lafofole, le 2 juin 2017 à 23:35
Titre provocateur, mais on comprend mieux quand on lit l’article du début à la fin. lol
par Hoa, le 26 décembre 2016 à 21:28
Bonsoir à toutes et à tous,
Après avoir lu une myriade de descriptions toutes plus pointues, passionnées et passionnantes les unes que les autres, je me lance enfin avec mon premier commentaire sur auparfum !
J’ai passé la journée dans des boutiques parisiennes à la recherche d’une nouvelle odeur qui pourrait me correspondre. J’avais lu cette description de Thomas Dominguès sur L’Orpheline qui m’avait vraiment intriguée… même si ce n’est pas forcément le type d’odeurs vers laquelle j’irais naturellement.
Aujourd’hui, après avoir donc senti une quinzaine de parfums et d’eaux différentes, et après que mon nez ait été vraiment fatigué (j’avoue avoir eu du mal à me concentrer pour apprécier toutes les odeurs que j’ai pu découvrir, j’étais presque un peu blasée à la fin) j’ai senti L’Orpheline.
Et il est en effet vraiment bouleversant. Quelque chose de touchant, d’abrupt et de tragique en émane. Comme une disparition trop soudaine. Je me suis donc surprise à avoir les larmes aux yeux dans la boutique.
L’odeur ne m’a pas forcément emballée en elle-même : les notes ne me conviennent pas, mais les émotions qu’elle m’a faites ressentir m’ont vraiment transportée. Peut-être même justement trop, au point de presque craindre d’être submergée par un trop plein d’émotions si je le portais sur ma peau.
Je ne pensais pas qu’une description par les mots puisse être aussi pointue que celle écrite par Thomas Dominguès !
Merci !!
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par cat45, le 2 juin 2017 à 11:53
Bonjour,
Fragance, parfum des terminilogies qui conviendraient mieux que "odeurs" non ?
par Ossian, le 10 juin 2015 à 15:45
J’adore ! Merci pour cette description et ce vocabulaire si pointu !! A travers tes mots, tu me transmets toutes les émotions du parfum et je les retrouve bien au nez. Comme Laine de Verre et L’Eau Froide, je suis fan de ce départ ce départ aldéhydée. Et cet encens si fumé, si cendré.. il rend cette fougère(?) cuirée dans le sillage qui est, en effet, tenace sur peau.
Le nom La Religieuse lui irait mieux je trouve, le jus de ce dernier n’a rien de "religieux". J’aurais alterner les noms :) mais je ne suis pas monsieur Lutens et je suis bien loin de ses histoires et ses inspirations personnelles.
par Tamango, le 6 juin 2015 à 15:21
La lecture de vos différents commentaires m’ont amenée à tester l’Orpheline. J’étais terriblement intriguée par ces avis si partagés, si divergents. Je suis une visuelle et, quand je sens un parfum, je l’associe tout de suite à des images, une atmosphère. Là, je dois avouer que la compagnie de ce Lutens m’a conduite tout droit à traverser un tunnel sombre, humide et froid. Drôle de sensation.
L’amplitude thermique dans laquelle évoluent les créations de cette marque m’interroge et me bouleverse en même temps : une chaleur envahissante comme avec Chergui que j’ai découvert par la même occasion, un froid glacial d’outre-tombe comme avec l’Orpheline. Quel étrange univers !
par Jean-Daniel, le 29 mai 2015 à 13:44
Puisqu’il faut bien que je me lance et commence enfin à participer à ces débats qui me réjouissent par les sensibilités qu’ils reflètent, je partage mon (premier) avis sur auparfum.
Après avoir trouvé de nombreux Lutens forts intriguants, j’ai finalement craqué cet hiver pour son orpheline. Une sensation d’abandon mais sans nonchalence, de solitude sans tristesse, une fausse insouciance cachant un fond calculateur, froideur d’une fatalité inéluctable mais pourtant acceptée et sublimée, autant d’aspects nécéssaires pour marcher avec. C’est un peu comme une pierre brulée qui est à la fois une grotte et une chapelle taillée comme de la dentelle. Stable, et détaillé sans être pointu ou fin. Détaillé mais opulent, avec un versan ascétique. Complet, indéniablement. Remarquable car insidieux, puis inoubliable, donc remarquable.
Cette "douleur nécéssaire" dans les termes de potra convient admirablement à expliquer cette beauté qui s’accepte un peu tardivement. Propre à rendre dépendant plus que séduisante.
Une vraie merveille, parfaitement "ronde" bien que peu évolutive. On a vraiment (ce qui est rare) la sensation d’un parfum achevé et cohérent.
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par Solance, le 29 mai 2015 à 14:38
« C’est un peu comme une pierre brulée qui est à la fois une grotte et une chapelle taillée comme de la dentelle »
Bonjour Jean-Daniel,
Et tout d’abord bienvenue sur Auparfum.
Vous possédez une très jolie plume et même si j’appartiens à la catégorie des personnes que l’Orpheline n’émeut pas, je reconnais que ce parfum possède un pouvoir d’évocation tel pour certains, vous y compris, qu’il ne peut pas être inintéressant !
La phrase que j’ai reprise en introduction de mon message est particulièrement jolie, merci de vous être lancé, votre avis est très riche !
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par Calygo, le 29 mai 2015 à 19:06
Bienvenue Jean-Daniel !
Je suis un peu comme Solance, l’Orpheline me laisse de marbre, je suis rarement conquis par les parfums froids, austères à quelques exceptions près (coucou ISM et De Profundis).
C’est très agréable de vous lire !
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par Jean-Daniel, le 1er juin 2015 à 16:37
Oui, c’est justement ce froid, presque in-appropriable, à la différence de parfums plus chaud qui se font plus rapidement personnels, qui m’a finalement rattrapé.
Merci bien en tout cas !
par Jean-Daniel, le 1er juin 2015 à 16:42
Merci à vous Solance de me souhaiter la bienvenue, c’est très gentil !
Oui je crois que c’est surtout l’évocation qui m’a séduit. À la différence des parfums qui transportent spatialement, les Ellenades, ou ceux qui évoquent des tendances commerciales très ciblées, dont on connaît "l’esprit", l’Orpheline me semblait ce parfum sorti de nulle part. Je ne l’associais à rien, et de ce rien est né le début de l’évocation.
par ., le 26 mai 2015 à 18:05
Magnifique article pour un parfum que j’ai encore bien du mal à cerner.
Par contre "Je t’aime mélancolie", ce serait plus Boxeuses pour moi... :)
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C’est intéressant comme on peut tous ressentir différemment un parfum. A la lecture des commentaires sur l’Orpheline je m’étonne de réaliser à quel point ma perception est différente. Pour moi il est tout sauf mélancolique, froid et sombre. Au contraire je le trouve chaud, très très sensuel, même sexy ; peu évolutif mais au fondu et à l’équilibre parfaits, sa tenue est excellente, au final à mon nez son sillage est principalement et divinement musqué et m’entraîne à le suivre dans la rue quand je le croise. Hyper addictif ! C’est un de mes préféré chez Lutens, pourtant je ne dois pas bien comprendre son propos et je trouve qu’il porte mal son nom mais qu’importe puisque je l’adore !
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par Léa, le 17 août 2022 à 13:13
Je suis d’accord avec votre lecture. Cet encens est bouleversant et sensuel.
En même temps, je lui trouve une tension entre le chaud et le froid, l’innocent et le lascif qui fait tout son intérêt. Quelle belle réussite.
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