Le parfum, les goûts et les couleurs...
par Jeanne Doré, le 1er janvier 2015
- Quand le parfum s’inspire de l’art...
- Blog & parfum, et moi, et moi, et moi...
- Ecrire sur le parfum, ou pas
- Le parfum fait son cinéma
- Le parfum, les goûts et les couleurs...
- Les odeurs du numérique
S’il y a bien un débat qui revient souvent, lorsqu’on parle parfums, c’est celui du "goût et des couleurs".
Autrement dit, « comment peut-on critiquer ce parfum s’il me plaît à moi ? » dont découle en général ce genre de déclaration : « Je n’ai pas été influencée par la publicité, c’est le parfum que j’aime », ou encore : « Et après tout, je m’en moque de ce que les autres peuvent dire, on sait bien qu’un parfum, d’une peau à une autre sent différemment. »
Alors si vous aussi, un jour, vous vous êtes posé cette question, tout haut, ou tout bas, c’est que vous êtes prêts à lire ce qui va suivre.
Mémoire olfactive & processus de décision
Il faut tout d’abord rappeler comment fonctionne la mémoire olfactive : on a beaucoup de mal à mémoriser une odeur brute, sans qu’elle soit associée à un support sémantique. Notre cerveau enregistre donc les odeurs de manière “holistique”, c’est à dire sous une forme globale, en les associant à des formes linguistiques, à des lieux, des moments, des événements chargés émotionnellement, dans notre mémoire épisodique.
Si je suis un consommateur lambda et que je m’apprête à sentir un parfum pour la première fois, mon jugement est déjà biaisé par les images mentales générées par ma perception de la marque, pour qui il est facile, à travers la publicité, de proposer ces fameux supports sémantiques indispensables qui viendront s’accoler et se superposer à l’odeur dans mon esprit.
Mais encore faut-il que la publicité soit maline, en venant flatter avec précision mes désirs et motivations les plus profonds et les plus inconscients (séduction, virilité, romantisme, ascension sociale, pouvoir, ...) tout en faisant mine de ne surtout pas le faire (gros sabots, attention !)
Si le publicitaire a bien fait son job, et que je fais partie de la cible visée, je vais aller sentir le parfum en étant déjà, sans le vouloir, prédisposée à l’aimer.
Une fois dans le magasin, un deuxième processus de prise de décision va entrer en jeu, je vais évaluer plusieurs produits, en me fixant des critères de choix, sur l’odeur, le prix, la couleur, le visuel.... tout en attribuant des notes mentales (et inconscientes) à chaque option, en éliminant tous ceux qui ne satisfont pas tous mes critères.
J’aurais ainsi choisi mon parfum, guidée par tout un tas de processus inconscients, sans pour autant avoir eu l’impression d’avoir été influencée, en me sentant totalement libre de mes choix olfactifs. En apparence, seulement...
Parfum jetable & test consommateur
Ensuite, il faut savoir que depuis de nombreuses années, en raison du modèle économique qui régit les grands groupes du luxe, les marques ont développé massivement et volontairement, le principe du "parfum jetable", qui par définition, ne doit pas durer.
Autrement dit, leur but est de lancer sur le marché un produit qui n’a pas pour objectif de le rester longtemps, mais qui pendant cette courte période, devra générer rapidement beaucoup de ventes et de profit, pour compenser sa courte vie.
Or comment s’assurer qu’un parfum va se vendre massivement et rapidement dès sa mise sur le marché ? Facile : une cible large, un gros budget publicitaire et de communication, et un parfum qui plait immédiatement au plus grand nombre, ce dernier critère étant massivement vérifié à l’aide de tests consommateurs.
Une marque qui s’est donné cet objectif appliquera donc une "recette" qui semble porter ses fruits, pour qui s’en satisfait : si on décide de lancer un parfum qui doit générer du profit rapidement et sur une courte durée, on doit donc le formater pour qu’il obtienne les meilleurs résultats dans un test en aveugle, effectué sur des gens pris au hasard dans la rue, selon une grille de recrutement. Cela aura pour objectif de rassurer les actionnaires qui auront investi dans cette "opération", en validant la capacité du parfum à plaire "au premier coup de nez", avec une marge d’erreur relativement faible.
Et comment obtient-on ces résultats ? Les parfumeurs qui travaillent pour les grands groupes spécialistes de "parfums jetables" l’ont bien compris : le consommateur aime ce qu’il reconnaît, et dans une société où la culture olfactive est loin d’être développée, on reconnaît surtout les odeurs.... qui se mangent !
Praline & sérotonine
Et on en arrive vite au constat que vous vous êtes tous fait depuis quelques années : le sucre en parfumerie fait vendre... car le cerveau sait bien que la consommation d’aliments sucrés entraîne une augmentation de sérotonine, le neurotransmetteur de l’apaisement et du bien-être. En effet, la production d’insuline qui suit l’absorption de sucre améliore la disponibilité dans le cerveau d’un acide aminé, le tryptophane, qui n’est autre que le précurseur de la sérotonine.
Dans le cas d’un parfum, ce mécanisme biologique n’étant pas reproduit, il s’agit bien entendu d’un leurre, un parfum sucré ne rend pas plus heureux, il donne juste l’illusion d’un plaisir immédiat, mais de courte durée.
Ainsi, pour berner notre cerveau toujours en quête de bonheur, si on veut qu’un parfum senti en aveugle obtienne des scores plus hauts, il suffit de lui rajouter, dans des proportions toutefois mesurées et équilibrées (quoique...) des notes gourmandes et “sucrées” de vanille, de fruits juteux, ou de praline, etc...
Avec un parfum plus sucré, les scores récoltés lors du test de validation seront ainsi plus élevés, la marque aura l’assurance d’un effet "coup de cœur" immédiat, et sera ainsi convaincue qu’avec un matraquage publicitaire ad hoc, les petits flacons s’écouleront vite, et qu’elle en récoltera les profits immédiats et conséquents... avant de passer au suivant !
Œuvre artistique & produit de consommation
Alors dites-moi, a-t-on encore le droit d’affirmer que tel patchoufruit dégoulinant de fruits artificiels et de praline collante peut devenir un chef-d’œuvre suivant la peau qui le porte ?
Et qu’il peut être apprécié et considéré comme un "beau" parfum, sous prétexte qu’il nous plaît, au même titre qu’un parfum développé sans test, sans publicité, par des personnes talentueuses, uniquement guidées par leur sensibilité et leur créativité ? Peut-on encore croire cela à la lumière des mécanismes utilisés par l’industrie ?
Non, je ne le pense pas, tout comme je ne pense pas que Lucy, le dernier Luc Besson puisse être considéré comme un chef-d’œuvre sous le prétexte qu’il a cartonné au box-office, et que vous trouverez toujours un plus grand nombre de personnes qui l’ont vu et qui l’ont trouvé "excellent". Ou que le dernier Marc Lévy est un bon livre, parce que tout le monde le lit dans le métro et qu’il en vendra toujours des milliers à chaque sortie.
Le parfum, au même titre que le cinéma, la littérature ou la musique, mérite qu’on le juge, sous un angle critique, exigeant, analytique et même parfois sévère, car c’est le seul moyen pour qu’il demeure une forme artistique qui continue à procurer du plaisir et de l’émotion, et non pas un banal produit de consommation à la durée de vie courte et dénué d’âme, qui finira par s’éteindre de lui même à force de lassitude et de déception.
J’ose croire que, déjà, une part de la population, dont les lecteurs d’auparfum constituent une grande partie, a pris conscience de ce phénomène. En témoignent les ventes de parfumerie de niche, qui même si souvent floues et difficiles à obtenir, semblent exploser ces derniers temps.
Sources : L’Industrie de la parfumerie, Antish Seeruttun, Financière de la cité.
Publicité, marketing et parfums : approche psychosociale d’une double illusion ; Marie-Pierre Fourquet & Didier Courbet
par _Freyia_, le 2 janvier 2015 à 21:31
Super article !!! Et j’adore la référence à Lucy ! Tout le tapage autour de ce film était très agaçant.
par TomKyns, le 2 janvier 2015 à 15:53
Bonjour Jeanne et merci pour cet article qui explicite assez bien ce dont il peut être délicat de prendre conscience lorsqu’on pense "parfumerie industrielle"
Conséquemment à vos dires, il pourrait être intéressant de se poser la question de "Comment critiquer un parfum" ?
AuParfum s’y attèle en particulier, (avec des auteurs très talentueux qui savent généralement mener leur propos) mais, puisque vous citiez les analogies possibles avec les autres arts, on pourrait s’interroger sur la notion de méthodologie.
Beaucoup déplorent effectivement l’absence d’un langage commun pour parler du parfum. Personnellement, en sachant que si ce langage venait à naitre, une méthodologie critique en découlerait forcément pour s’appliquer au parfum, j’avoue le redouter.
Mais toutes ces questions sont passionnantes et j’adore cogiter dessus.
Merci pour toutes ces matières à réflexion et excellente année 2015 à tous !
par Kareldestoute, le 2 janvier 2015 à 12:08
Joli billet de début d’année ! Il a trouvé chez moi un écho particulier, alors que je me suis récemment mise en recherche d’un nouveau parfum, moi qui n’en porte plus depuis deux ans. D’abord, envie de trouver un parfum qui me corresponde vraiment, qui se démarque, qui soit "original" (dieu que c’est classique comme motivations...). Et puis, à travers mes recherches, et surtout à travers ce site, découverte qu’un parfum pouvait être une oeuvre d’art, avec des qualités esthétiques, un parti pris aristique...
Alors je suis encore une néophyte encore peu capable de mettre des noms sur des odeurs et de reconnaitre seule un "beau" parfum d’un jus commercial et sans grand intérêt. Mais il y a une certaine (auto-)satisfaction à savoir que le parfum que l’on porte est une belle réalisation. Et à l’inverse, une prise de conscience intéressante lorsque l’on lit une critique dévastatrice d’un parfum que l’on connaît bien ! Je pense ici à Kenzo Jungle, parfum de ma mère. Sans rancune aucune : d’abord parce que je ne l’aime pas - le parfum, pas ma mère ! (sans jugement sur ses qualités, juste parce qu’il me donne mal au crâne), et ensuite parce que ça ne remet pas en cause le plaisir que qui que ce soit peut avoir à le porter : si un parfum ne devient pas "beau" parce qu’on l’aime, comme le dit si bien l’article, cela n’empêche pas d’aimer un parfum commercial et sans recherche. A l’image du dernier tube pop bien marketé que l’on sait sans qualité mais qu’on se plait à laisser tourner en boucle dans ses oreilles parce qu’il nous met de bonne humeur... Suffit d’être honnête sur sa qualité réelle :)
PS : et le marketing fonctionne aussi sur les marques de niche ! Lorsque je me suis rendue chez Jovoy, j’avais envie d’aimer certains parfums dont le flacon ou même le nom me plaisaient particulièrement. Envie d’aimer Chambre Noire (très marketé, pour du parfum de niche), là où Cuir Ottoman m’aurait laissée froide si je m’en étais tenue à sa bouteille, alors que son odeur me rend complètement dingue. A l’inverse, je n’aime pas du tout l’univers visuel autour de la ligne Juliette Has A Gun par exemple. Aucun de ceux que j’ai senti ne me plait beaucoup, mais dans le même temps, je n’ai pas "envie" de les aimer. Cela m’a amené à me questionner sur mon impartialité lors de mes tests. Ou à l’inverse, après un test à l’aveugle, pourrais-je acquérir un parfum donc je n’aime pas le flacon, le nom, l’image... alors qu’évidemment, sur le papier, seule l’odeur devrait entrer en ligne de compte ? J’avoue que cette question me gêne un peu.
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par Jeanne Doré, le 2 janvier 2015 à 15:27
Bonjour Kareldestoute, bienvenue et merci !
Bien entendu, les mécanismes que j’ai décrits s’appliquent également à la niche, dans une moindre mesure toutefois, puisque la publicité, l’égérie, etc... est en général absente, mais la communication, le packaging, le nom, le flacon, la boutique,... ont une importance bien plus importante qu’elle ne le laisserait paraître.
Ainsi, on peut tout à fait être influencé et avoir un à priori , positif ou négatif, par l’univers visuel et esthétique d’une marque, comme vous avec Juliette Has a Gun, et il ne faut surtout pas s’en vouloir ! Votre cerveau n’a naturellement pas envie de s’approprier une odeur qui ne serait en pas totalement "raccord" avec ce que vous aimez, et donc un peu ce que vous êtes...
Je crois qu’il ne faut pas trop se poser de questions non plus, quand on a senti et aimé un parfum, et que le reste n’est pas rédhibitoire, alors c’est bon.
Si ça coince, que vous n’êtes pas convaincue pour une raison ou une autre, alors c’est que vous n’êtes pas disposée à vous l’approprier...
par Anne, le 1er janvier 2015 à 22:11
Article très intéressant Jeanne, merci.
Je ne connais pas les publicités de parfums (lire un livre me demande moins d’efforts que regarder la télévision, paresseuse que je suis !) aussi ne suis-je pas influencée par cet aspect marketing.
J’approche un parfum un peu comme un tableau ou un morceau musical. Il peut me séduire d’emblée, à la façon d’une mélodie accrocheuse ou bien mettre un peu de temps à se laisser apprivoiser, comme une oeuvre abstraite plus difficile à comprendre.
Je dois par contre y retrouver quelque chose de moi car, même si la fragrance me plaît, un trop grand décalage avec ce que je suis ne me le fera pas adopter. C’est ainsi que je n’arrive pas à porter Arpège de Lanvin, offert il y a quelques année, que je trouve très beau mais dont l’élégance ne correspond pas à mon côté un peu "garçon manqué".
J’aime par contre les chyprés, (surtout le côté mousse de chêne) et les hespéridés mais aussi les senteurs qui vont raviver certains souvenirs. En revanche je n’apprécie pas du tout les "sucrés", vanille, coco, chocolat, fruits (sauf si très subtils pour ces derniers).... Pour moi, ok dans l’assiette, c’est tout !
J’ai vécu une étrange expérience avec Eau Belle d’Azzaro. Elle m’avait conquise à sa sortie car je l’avais vite associée à mes années d’enfance sur la Côte d’Azur. Mais cette eau m’a révélé que je pouvais être influençable, chose que ma fierté personnelle a eu un peu de mal à encaisser !
En effet, lors de l’acquisition d’un deuxième flacon l’année suivante, qu’elle ne fut pas ma déception de constater qu’il était....vert, et non pas bleu comme le premier ! Bleu que j’avais si bien j’associé à la Méditerranée que je ne retrouvais plus mes repères...olfactifs. J’avais perdu une partie du plaisir que me donnait ce parfum rien qu’en regardant ce fichu flacon vert. Le jus avait-il changé ? M’étais-je auto-conditionnée au point que la couleur avait transformé l’odeur ?
Il ne me reste plus qu’à faire un achat d’Eau Belle (si je le retrouve) et tenter une nouvelle expérience, maintenant que j’ai accepté et intégré cette face de ma personnalité...
Je souhaite à tous les acteurs et participants de ce site une excellente année très....inspirée ;-)
par ., le 1er janvier 2015 à 21:10
Merci Jeanne pour cet article nécessaire et plein de bon sens ! S’il avait pu sortir avant l’épisode Black Opium ça m’aurait évité de devoir me justifier. :)
J’arrive maintenant, lorsque je sens quelque chose qui ne me plait pas, et même m’écoeure, à pouvoir à peu près dire si c’est une daube genre Black Opium ou La Vierge De Fer ou si c’est une réussite genre Arabie ou POAL. Et donc à faire abstraction de ma subjectivité. (je tiens à dire que Arabie me ferait vomir, et pourtant je le trouve très beau et culotté !).
Et ça marche aussi dans le sens inverse je sais dire, quand j’aime un parfum qu’il est nul ou raté genre De Profundis.
Marre de cette aire du sucré gras écoeurant qui met à mal les valeurs de la vraie parfumerie... Sérieusement, qui a envie de sentir le sucre à un tel point que la note en surdose en devient malodorante ? Le seul vrai gourmand ultra sucré que j’aime c’est Angel, car beaucoup de souvenirs et pionnier du groupe, d’une incroyable modernité pour l’époque... le problème c’est que personne ne semble vouloir changer et depuis lui, c’est la surenchère...
Donc voilà, j’estime pouvoir dire de mon bon droit que ces sucrés sont abjects et qu’il n’est pas possible de s’y complaire lorsque l’on sent des parfums (même d’autres gourmands qualitatifs) d’une qualité tellement au dessus, pleins de créativité, de prise de risque ou tout simplement de bon goût.
par Solance, le 1er janvier 2015 à 19:58
Bonjour Jeanne et excellent année 2015 à vous.
Merci pour cet article intéressant sur les coulisses de la naissance des parfums grand public.
En ce qui me concerne, je n’ai jamais été influencée par la pub d’un parfum pour la simple et bonne raison que je ne regarde JAMAIS de pub, quelle qu’elle soit... je serais bien incapable de citer les égéries d’une marque précise, encore moins le scénario d’un film publicitaire... Il n’y a qu’aux affiches placardées sur le bord des routes auxquelles je n’échappe pas, mais je les trouve tellement insignifiantes et plates que je les oublie sitôt aperçues...
Après bien entendu, il y a le flaconnage et les étuis et là, effectivement, j’avoue être davantage séduite par le flacon original de la Panthère ou celui magnifiquement féminin d’Organza par exemple que par les trucs tout moches des EPFM ou les trucs tout cul-cul la praline des féminins Annick Goutal... Heureusement que ces derniers ont pour eux la qualité de certains ou beaucoup de leurs jus parce que c’est difficile de passer outre un flacon moche, banal ou de s’approprier un parfum dont on déteste le nom (chez Annick Goutal, il y en a pas mal avec lesquels je ne parviens absolument pas à me projeter tant l’univers sémantique est éloigné de mes propres goûts, indépendamment du jus lui-même !).
J’aimerais quand même comprendre pourquoi certains jus considérés ici comme peu créatifs et banals parviennent à traverser le temps, les années et à se forger une place enviable dans la short list des parfums les plus appréciés et vendus... C’est le cas pour des jus comme J’Adore, Trésor etc...
A contrario, il existe des parfums qui sont parfois considérés comme des chefs d’oeuvre de la parfumerie et qui sont une horreur olfactive pour la perfumista béotienne que je suis, ou au mieux suscitent ma grande indifférence ... je pense à Shalimar, à Aromatics Elixir, au n°5 ... bref, j’ai beau sentir, resentir, essayer, réessayer, je ne comprends pas ce qu’on trouve d’extraordinaire à ces jus là !
Mon propos ne se veut pas polémique, il cherche juste à comprendre... si certains ont des idées, des réactions pour expliquer mes goûts et mes couleurs pas toujours politiquement corrects en termes olfactifs ! ;)
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par Jeanne Doré, le 2 janvier 2015 à 15:45
Bonjour Solance, bonne année à vous aussi !
Vous soulevez des questions très pertinentes.
Tout d’abord je crois que l’exposition à la communication d’une marque se fait même sans regarder les pub à la télé, on est tous bombardés d’images, de sons et de visuels qui nous transmettent des messages subliminaux, même si on a l’impression d’y être totalement insensible... Evidemment, il y a différents degrés, plus on a conscience de ce processus, plus on y échappe, en partie, mais je doute qu’il existe des personnes totalement hermétiques au pouvoir de la communication des marques, toutes catégories confondues !
Ensuite, pour reprendre la question des "jus banals qui traversent le temps", et les exemples de Trésor et de J’Adore : le premier est selon moi un parfum plutôt respectable et important des années 90, il n’a pas besoin d’être aimé par tous pour prouver qu’il n’est pas dénué de créativité !
Pour J’Adore, il n’y a qu’à voir le rayon Dior et le nombre de versions/flankers/dérivés coexistants pour se rendre à l’évidence qu’il n’y a plus aujourd’hui "un" J’Adore, mais une "marque" J’Adore, avec des produits qui se succèdent, se mélangent, et se remplacent l’un l’autre au fil du temps, donc ce parfum illustre pour moi parfaitement le concept de parfum jetable et interchangeable.
Enfin, ne pas aimer un chef d’oeuvre est tout à fait permis !
Quand je parle de parfum artistique vs. produit de consommation, cela ne veut en aucun cas dire qu’il faut absolument aimer tous les premiers et detester tous les derniers :)
D’ailleurs, les discussions Les parfums de la honte ou Les parfums amours impossibles le prouvent bien : on est tous victimes de notre histoire, de nos souvenirs et de notre vécu qui nous empêchent parfois d’aimer ce qu’on voudrait... et inversement !
par potra, le 1er janvier 2015 à 17:39
Merci Jeanne pour cet article si juste, et si nécessaire !
Ce n’est peut-être qu’une impression de ma part, mais il me semble que les réactions aux critiques de parfums sont souvent particulièrement vives par rapport aux autres formes d’art. Peut-être est-ce la dimension intime du parfum, l’identification qui peut avoir lieu avec le porteur (encore plus pour ceux qui ont un parfum unique), qui entraine ces réactions épidermiques, à croire que critiquer le parfum reviens pour certains à critiquer directement ceux qui le porte.
Je me demande aussi si cette intolérance à la critique n’est pas liée également au manque de reconnaissance du parfum en tant qu’art : beaucoup s’étonnent et demanderont plus facilement « mais comment vous êtes-vous intéressé au parfum ? » qu’à la musique/au cinéma/à la littérature/au dessin/... comme si c’était moins naturel.
Si ces réactions ne sont pas très constructives, et parfois irritantes (mais pourquoi venir lire ce que d’autres disent d’un parfum si de toutes façon ça n’a pas d’importance, puisque tout serait relatif au porteur ?... que ceux qui cherchent à lire de belles choses sur leur parfum lisent le dossier de presse ^^), je pense que venir lire et être touché au point de prendre la peine de réagir c’est quand même la preuve de la grande importance attachée au parfum, ce n’est peut-être pas qu’un mauvais signe !
Encore merci, et très belle année à vous !
Potra
par Nahéma, le 1er janvier 2015 à 17:27
Bonjour et bonne année à tous !
Merci Jeanne pour cet article fort intéressant qui donne le ton pour 2015 ! Le professeur de Lettres que je suis ne peut que saluer vos propos. Non, tout ne se vaut pas et la majorité n’a pas toujours raison. Mais faire preuve d’esprit critique demande aussi de l’apprentissage et de l’expérience : en matière de parfum j’ai le sentiment de disposer de beaucoup moins d’outils qu’en matière de littérature, c’est pour cela que j’aime autant Auparfum.
Souhaitons que 2015 nous apporte de belles découvertes parfumées !
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par Fairy47, le 6 janvier 2015 à 20:06
Merci pour cet article ! Mais comment expliquer, dans mon cas par exemple, l’écœurement suscité par les parfums trop sucrés ?? Dès qu’on me colle sous le nez un parfum de ce type, j’ai immédiatement une réaction de rejet et de dégoût... Mon cerveau n’aurait-il pas besoin de sucre ? ^^
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par potra, le 6 janvier 2015 à 22:50
Bonsoir Fairy :-)
Je pense qu’il y a pas mal de personnes dans votre cas (surtout ici) ! Et ça me semble assez normal et pas vraiment contradictoire avec ce point de l’article : si le sucré augmente les scores des parfums aux tests en aveugle, il est bien précisé « dans des proportions toutefois mesurées et équilibrées » (le glucose est le carburant du cerveau mais il ne s’agit pas de noyer le moteur ;-)), et puis ça augmente la note, mais si on part d’une mauvaise note, ça ne fera pas non plus de miracle j’imagine… La note miracle qui ferait automatiquement aimer un parfum à tout le monde ça se saurait !
Cependant il est vrai qu’on voit de plus en plus de parfums qui n’ont rien de mesuré ou d’équilibré, qui plaisent très largement.
De mon point de vue c’est vraiment une question de culture olfactive (Jeanne évoque ce point à la suite), au sens large (alimentation, environnement…). Si on est habitués à des odeurs et des goûts formatés par l’industrie agroalimentaires, et qu’on ne sait plus manger sans sucres ajoutés, il y a des chances qu’on apprécie facilement un parfum dans ce registre. Si en même temps on n’a jamais jardiné, fait une balade en forêt, croisé du bétail, ou mangé des vrais légumes, (etc…) il y a des risques que les parfums avec par exemple des facettes vertes, terreuses, ou animales soient très durs à appréhender.
Je crois que certains hyper sucrés/aromatisés n’auraient pas pu plaire il y a 50 ans, quand la consommation globale de sucre était beaucoup moins importante, et l’emploi des aromes moins massif dans l’agroalimentaire. Surement que presque tous auraient eu la même réaction (saine) que vous face à la surcharge. Les gens ont changés, et un peu comme les recettes de certains produits sont adaptées selon le goût du pays où on veut vendre (qui est représentatif d’une majorité, mais évidemment pas de la totalité), il y a une adaptation des parfums au goût de notre époque.
Heureusement tout le monde n’est pas encore complètement drogué au sucre, et je crois qu’il est toujours possible d’apprendre à apprécier de nouveaux goûts et odeurs, et du coup de relativiser l’intérêt du sucre.
Tant qu’il y a des odeurs, il y a de l’espoir !
Bonne soirée,
Potra
ps : et désolée pour le pavé :(
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par billieH, le 6 janvier 2015 à 23:24
Tout est dit, votre analyse me fait penser à un essai de Corbin, Du Miasme à la Jonquille. Si vous ne l’avez pas lu, ce dont je doute, il devrait vous plaire. Bonne soirée
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par potra, le 6 janvier 2015 à 23:53
Merci beaucoup BillieH,
j’ai effectivement lu et beaucoup apprécié Le miasme et la jonquille, que je recommande également (et qui est bien plus riche que mes petites digressions ;-)).
J’ai été particulièrement marquée par le lien avec l’hygiène et les rapports sociaux décrits dans ce livre.
C’est vrai que ça participe aussi de la culture olfactive cette aseptisation, la phobie de la saleté, qui gène tant de plaisirs : ah mettre les mains dans la terre au jardin, s’asseoir par terre, mordre dans un fruit et se barbouiller de jus... Un de mes plus grand bonheur ce sont les chevaux, et je n’ai jamais compris les gens qui restent toujours propres aux écuries, pour moi c’est poussière, bave voire morve de cheval, débris de paille/foin, sueur si on a travaillé dur... et je détesterais devoir éviter tout ça. Je dois être restée au stade où les enfants ne savent pas jouer dans la nature sans se salir ^^
Passez une très bonne soirée
Potra
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par billieH, le 8 janvier 2015 à 15:46
Bonjour Potra, désolée de répondre aussi tardivement mais hier je n’avais le cœur à rien. Je me doutais que vous aviez lu cet essai dont j’ai écorché le titre au passage mais je l’ai lu il y a quelques années déjà, à ma décharge.
Cette aseptisation participe bien à cette uniformisation de la "bonne odeur". Comme je vous comprends concernant l’odeur des écuries, je l’ai toujours aimé. J’aime beaucoup celle des fruits durant le processus de fermentation aussi, cette odeur un peu blette. Et surtout lors de la distillation des fruits(au cœur de mon métier en fait). C’est toujours merveilleux pour moi de sentir une cuite de kirsch ou de prune. Et c’est magique car de la pourriture naît le liquide cristallin et délicatement parfumé. Alors au diable cette fichue aseptisation qui nous gagne petit à petit.
Je vous souhaite une bonne fin de journée...BillieH
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par potra, le 8 janvier 2015 à 22:37
Bonsoir BillieH
Ne soyez pas désolée, déjà en temps normal il n’y a aucune obligation de répondre (encore moins rapidement), et dans ce genre de moments c’est plus que normal d’avoir le cœur et la tête ailleurs. J’ai appris ce qui se passait assez tard, juste après être passée lire les parfumés et laisser quelques mots, sous le choc mon insouciance de l’instant d’avant m’a paru carrément déplacée.
Maintenant je me dis qu’il faudra la conserver cette part d’insouciance, et surtout continuer à partager et diffuser la culture y compris parfumée !
Merci pour vos jolis mots sur la distillation des fruits, ça me rends très curieuse, j’ai souvent entendu parler de l’époque où certains distillaient eux-mêmes leurs fruits (j’ai même gouté quelques bouteilles qui restaient dans la famille), mais je n’ai jamais eu la chance de sentir (ma seule expérience de distillation de fruit était celle d’un jus d’orange de supermarché en TP de chimie, et l’odeur n’était pas une réussite, très caramélisée écœurante).
Passez une très bonne soirée,
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par Fairy47, le 7 janvier 2015 à 11:42
Bonjour Potra ! Non votre pavé ne m’effraie pas, au contraire ! Je suis très bavarde moi-même ! ;) Mon premier commentaire était bien évidemment une boutade, et en effet je pense comme vous que tout dépend de la culture et de l’éducation olfactive... En effet, quand j’étais petite, mes parents ne m’achetaient jamais sucreries et bonbons, ni sodas, etc... Je n’ai donc pas cette culture du sucre à outrance. De même, je suis née à la campagne, donc les odeurs de terre, de mousse, de feuilles, d’animaux, je connais, et j’ai tout de suite baigné là dedans. Enfin, ma mère a toujours porté de beaux parfums, comme Habanita, Mitsouko, Chamade, Rouge Hermès, Premier Figuier, et j’en passe ! Je n’ai donc jamais eu sous le nez les sirops actuels... qui donc m’écœurent et me donnent la sensation (alimentaire, cette fois) d’une indigestion. Je trouve dommage que, comme d’autres choses, on ne fasse pas d’éducation olfactive, à l’école par exemple ! Mais il semble que l’idée suive son cours... ;)
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par potra, le 7 janvier 2015 à 12:54
Bonjour Fairy,
en vous relisant je me sens honteuse de n’avoir pas perçu le trait d’humour au premier abord ^^
J’ai été élevée sans sodas/bonbons chimiques/gateaux industriels/yaourt aromatisés (mais avec chocolat, caramel, confitures et gateaux maisons, ...), en ville mais en passant beaucoup de temps chez mes grands parents à la campagne, et je pense que c’est ce qui m’a rendu évidents des parfums pas forcément faciles en théorie (et m’a tenu éloignée des sucrés chimiques), puisque dans ma famille le parfum était quasiment absent.
bonne journée
Potra
L’éducation olfactive pour tous, ça serait vraiment bien !
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