Auparfum

Le lys : fleur muette, fleur esthète

par Clara Muller, le 27 juillet 2015

Auparfum se lance dans une série sur les matières premières de la parfumerie. Nous vous proposons d’explorer les aspects botaniques, historiques, littéraires, artistiques et bien sûr olfactifs, de ce qui compose vos parfums. Matières premières naturelles ou synthétiques, accords ou familles olfactives, Auparfum vous fait visiter les coulisses de la parfumerie !

Pour commencer cette série sur les matières premières, nous avons choisi de vous parler d’une fleur, majestueuse et symbolique : le lys.

Un liliacée antique

Le lys, ou lis, est une plante herbacée de la famille des liliaceae, famille qui rassemble également le muguet de mai, la jacinthe véritable, la tulipe, le muscari, le narcisse et la jonquille. Il ne faut d’ailleurs pas le confondre avec le lys de mai ou lys des vallées qui sont deux noms vernaculaires du muguet de mai.

Les fleurs de lys peuvent arborer des couleurs vives, blanches, jaunes ou rouges, avec parfois des motifs colorés comme des taches mauves. Elles sont grandes et ont six tépales (3 pétales et 3 sépales identiques). Leur pistil imposant répand une odeur assez puissante pour envahir une pièce. La floraison a lieu en été. Parmi les nombreuses espèces de lys, la plus célèbre est le lys blanc, lilium candidum, appelé aussi lys de la Madone. D’autres espèces courantes sont le lilium grandiflorum, très odorant, et le lilium regale ou lys royal.

Certains vestiges archéologiques montrent que dans l’Egypte antique le lys était utilisé en parfumerie. Un linteau de tombeau du 4ème siècle av-JC, surnommé Relief du Lirinon, conservé au Musée du Louvre, présente par exemple différentes étapes de la création d’une huile parfumée au lys. Seule la macération dans l’huile permet de capturer l’odeur de la fleur, technique inadaptée à notre parfumerie moderne. Pline l’Ancien explique dans L’Histoire Naturelle (Ier siècle av-JC), que ce parfum au lys, qui eut également du succès à Rome, se nommait Lirinon, que l’on traduit par « huile de lys ». Le Lirinon contenait également de l’huile et du vin parfumé, du roseau aromatique, de la cannelle, de la myrrhe et de la cardamome.

Le langage des fleurs et des choses muettes

La fleur de lys fait partie de ces « fleurs muettes » dont on ne peut pas extraire d’essence ou d‘absolue. On ne trouve donc pas de lys naturel dans les compositions modernes. Il est possible toutefois de reproduire l’odeur du lys qui peut se faire tantôt florale, tantôt verte, suave, cireuse, épicée ou solaire. Ces reproductions nécessitent de mélanger d’autres fleurs blanches, telles que la fleur d’oranger ou le jasmin, avec des composés synthétiques : l’eugénol pour les notes épicées, l’indole pour le côté « fleurs blanches », le linalol pour évoquer la facette muguet, etc.

Chaque parfumeur a sa propre formule pour recréer l’odeur du lys. Dans un manuel de parfumerie de 1922 intitulé La chimie des parfums et fabrication des essences on trouvait la recette d’imitation de lys suivante : essences de tubéreuse, jasmin, fleur d’oranger, amande amère, teinture de vanille, extrait de cassie, alcool de rose. Dans l’abrégé d’odeurs de son Journal d’un Parfumeur, Jean-Claude Ellena nous livre sa recette personnelle de lys : « salicylate de benzyle, alcool phényléthylique, anthranilate de méthyle auxquels on peut ajouter selon les variétés du linalol, de l’indole ou du géraniol ». Dominique Ropion préfère quant à lui associer le salicylate de benzyle à l’acétate de paracresyl et à l’huile essentielle d’ylang-ylang [1].

Pour aider à recréer l’odeur du lys, il est aussi possible d’employer la technique du headspace pour capturer les molécules odorantes de la fleur vivante, puis la chromatographie en phase gazeuse afin d’identifier ces molécules.

Une fleur riche en symboles

Chargé d’histoire, le lys est aussi une fleur fortement symbolique. La mythologie grecque raconte que le lys serait né d’une goutte du lait maternel d’Héra, tombé à terre alors qu’elle nourrissait Héraclès, fils illégitime de Zeus et d’une mortelle. On dit également qu’Aphrodite, jalouse de la beauté de la fleur, l’aurait volontairement affublée d’un pistil proéminent et obscène. C’est d’ailleurs probablement cette particularité qui en a fait une des fleurs les plus photographiées par le photographe transgressif Robert Mapplethorpe dans les années 1970. Le lys était pour les Grecs ce que l’ylang-ylang est pour les Philippins : la « fleur des fleurs ». Selon le Pr. George Etienne Rousselet, le mot grec désignant le lys, lirions, désignerait aussi par métaphore « toute chose belle, suave et délicate » (Le Lys Sacré, 1631). Les Romains, eux, lui ont donné le joli nom de Junonia Rosa, en souvenir de la légende grecque, Junon étant l’équivalent latin de Héra.

Plus tard, la Bible a fait du lys un symbole de pureté. Dans Le Cantique des Cantiques on trouve cette phrase : « Tel est le lys entre les chardons, telle est ma bien-aimée entre les jeunes femmes. » A partir du Moyen Âge, la peinture religieuse occidentale représente le lys pour évoquer la pureté et la chasteté. On le trouve presque toujours associé à la Vierge, notamment dans les représentations de l’Annonciation. Le plus souvent c’est l’archange Gabriel qui offre la fleur à Marie, mais l’on parfois trouve également un bouquet de lys dans un vase, symbolisant dans ce cas à la fois la grossesse à venir et la virginité de Marie.

En 1836 Balzac publie un roman intitulé Le Lys dans la vallée. Le lys y est une métaphore pour désigner la femme aimée par le narrateur : « Sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes ! sous un hallebergier. Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, ’’le lys de cette vallée’’ où elle croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum de ses vertus. » La blancheur, la noblesse et la pureté associées à la fleur sont autant d’attributs de la femme aimée : « Elle devint ce qu’était la Béatrix du poète florentin, la Laure sans tache du poète vénitien, la mère des grandes pensées, la cause inconnue des résolutions qui sauvent, le soutien de l’avenir, la lumière qui brille dans l’obscurité comme le lys dans les feuillages sombres. »

Rimbaud, en 1870, reprend aussi cette thématique dans Ce qu’on dit au poète à propos des fleurs et dans son poème sur Ophélie, figure tragique du Hamlet de Shakespeare : « - Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles / Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis, / Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles, / La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys. »

En 1894, Anatole France publie son roman Le Lys Rouge, dont le nom évoque la fleur écarlate du blason de le ville de Florence. On y trouve ces deux vers, tirés du poème Yseult la Blonde de Vivian Bell évoquant le moment de l’Annonciation : « Qui lui présente un lys rouge et tel qu’on désire / mourir de son parfum sitôt qu’on le respire ».

Enfin, le lys vous évoque certainement le symbole héraldique de la fleur de lys, qui, à partir du Haut Moyen Age en France, fut l’emblème de la royauté. Toutefois ce motif n’a que peu à voir avec la fleur elle-même, on dit même qu’il représenterait en réalité un iris. Le linguiste Charles Bruneau (1883-1969), dans sa Petite Histoire de la Langue Française explique ainsi cette méprise : « Cette fleur, qui ne ressemble nullement à une fleur de lis, est en réalité une fleur d’iris, en néerlandais "lisbloem" et en francique "lieschbloem". Dans ce mot francique, “bloem” a été traduit par "fleur", tandis que “liesch”, sans doute incompris, a été conservé tel quel ».

Le lys en parfums

Voici enfin pour conclure notre sélection de cinq parfums évoquant le lys, sélectionnés pour leur beauté, leur aboutissement et leur originalité.

Et vous, quels sont vos lys préférés en parfumerie ?

[1D’après l’interview donnée sur Ma Récréation.

  • Baiser Volé de Cartier

    Dans Baiser Volé, la verdeur humide de la tige imposante du lys se fait presque plus présente que l’odeur de son pistil. Translucide, agrémenté de notes épicées évoquant un peu l’oeillet, ce lys là, à peine stylisé par Mathilde Laurent, nous emporte dans un jardin parsemé de rosée.

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  • Vanille Galante de Hermès

    Vanille Galante porte un nom trompeur. Il convoque plutôt l’image d’un lys d’eau, d’un lotus jaune flottant sur une eau claire. Le départ évoque le melon d’eau qui donne son côté aquatique à Un Jardin après la Mousson. Les petits grains noirs extraits du coeur de la gousse de vanille, dont seules les facettes épicées et florales ont été conservées, s’éparpillent sur une fleur de lys un peu féérique.

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  • Un Lys de Serge Lutens

    Le lys de Serge Lutens hésite entre le jasmin et le muguet. Sa légère évocation de verdure le ferait plus pencher du côté du muguet, n’était-ce son opacité et son absence de fraicheur. Il a en tous cas l’indéniable majesté du lys et devient peu à peu doux et vanillé, fondant sur la peau et caressant comme du velours.


  • Lys 41 de Le Labo

    Lys 41, créé par Daphné Bugey, nous impose d’emblée la vision des pétales épais et gras de la fleur de lys. Solaire, légèrement salé et presque monoï, l’accord de fleurs blanches se laisse progressivement dévorer par la tubéreuse qui se fait crémeuse et enveloppante. Le fond se révèle assez musqué et doucement vanillé, comme si de cette journée à la plage ne restait finalement que l’odeur de la peau chauffée par le soleil.


  • Lys Méditerranée de Editions de parfums Frédéric Malle

    Un grand lys se balance dans la moiteur d’une brume marine chargée d’embruns. Naturaliste, il s’expose tout entier, de la tige à la fleur. Un peu vert, légèrement indolé et salé, ses facettes sont multiples et contrastées.

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  • Planches botaniques représentant l’espèce Lilium Candidum.

    A gauche : William Curtis, 1794
    A droite : Pierre-Joseph Redouté, 1802


  • L’Annonciation du Cestello, Sandro Botticelli, 1490

    L’Annonciation a fait l’objet d’une vaste iconographie. Botticelli en peignit sept, dont L’Annonciation du Cestello qui reprend des codes et symboles associés à cette scène : le sol dallé, le livre, le jardin clos, la moulure verticale à la section d’or représentant le Christ, et la branche de fleurs de lys portée par l’archange, symbole de la pureté de Marie.


Thème

Lys
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AdRem

par AdRem, le 27 juillet 2015 à 23:03

Très joli sujet...avec une belle sélection iconographique...qui annonce de futurs belles pages sur auparfum ! Bravo et Merci :)

Je n’ai qu’un Lys ou Lis dans ma collection parfummée : celui qu’Olivia Giacobetti revendique dans les notes utilisées pour "Passage d’Enfer" chez l’Artisan Parfumeur !
Bien que ce Lys soit classé chez moi comme une "eau d’encens" plustôt qu’une brassée de royales fleurs blanches !

La Flétrissure était le nom de ce chatiment très Ancien Régime qui consistait à marquer au fer rouge le condamné d’une fleur de lys....
La marque que laisse ce lys contemporain sur la peau est tout son contraire : un cadeau non un chatiment, une merveille non une infamie...la trace fugace d’un moment de grace, non la cicatrice chéloïde d’une fleur de feu flétrie !
Must Have !

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par Beer luc, le 28 juillet 2015 à 09:05

C’est un excellent parfum d’encens plus léger que Messe De Minuit de Etro qui avec sa note de miel fait ressortir la résine,et moins tenace que Bois D’Encens de chez Armani Privé.
Le lys est probablement présent dans ce passage mais alors très succinct.

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par invité, le 27 juillet 2015 à 21:53

Quelle excellente idée que ces dossiers sur les matières. Merci Auparfum et Clara.

Je dois avouer que je ne suis pas très lys, ma peau ne lui rendant pas honneur (quand il est une des notes principales)

J’apprécie beaucoup Baiser Volé (sauf le dernier né Baiser Volé Lys Rose avec ses notes de framboise tombant comme un cheveu sur la soupe). Je regrette beaucoup que Cartier ait retiré la version edt, la plus réussie selon moi.

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