Années 1990, blancheur immaculée et rêves dorés : la revue de sorties parfums #4

Il n’aura échappé à personne que les années 1990 n’en finissent plus de revenir, du jean mom au sac banane, du contour des lèvres tracé au crayon à la prochaine réunion des personnages de la série Friends. La parfumerie n’échappe pas à ce retour en grâce, et plusieurs lancements de ces dernières semaines s’inscrivent dans l’esthétique olfactive à l’époque. Histoires de parfums propose ainsi 7753 Enigmatique Mona, inspiré de la Joconde, et présenté comme « le parfum d’une émotion, de ce regard indéchiffrable, de sa beauté inexplicable, de son pouvoir immersif et de fascinante attraction ». Associant lierre, figue de Barbarie, héliotrope et vétiver à la tubéreuse, il rappelle les bouquets opulents, crémeux et solaires construits autour de cette dernière, d’Amarige de Givenchy à Poême de Lancôme.

L’impression de voyage dans le temps continue avec Songes de Sannes, créé pour un domaine du Luberon par Jean-Claude Ellena (le retraité le plus prolifique du moment). La composition figure « l’été, la couleur de la pierre ocre pâle et la transparence du vin rosé ». Ses notes de pamplemousse, fleur de vigne, magnolia, poivre de Timut, santal et musc évoquent instantanément la patte du parfumeur, en particulier la signature fruitée acidulée de In Love Again. Édition limitée lancée en 1998 par Yves Saint Laurent, son mariage agrumes-fruits rouges-rose a eu un succès tel qu’elle est ressortie de façon permanente en 2004.

La corbeille de fruits se fait plus garnie avec Ballerina n°5 des Parfums de Rosine, signé Delphine Lebeau. Décrit comme « infiniment suave, indéniablement élégant et désirable », il unit la fleur emblématique de la maison à la mandarine, la figue et au litchi. Violette cristallisée, fleur d’amandier, héliotrope et fève tonka ajoutent encore une louche de gourmandise, dans l’esprit des sorties estivales d’Escada apparues en 1993 avec Chiffon Sorbet.

Autre marqueur olfactif de la décennie, les notes ozoniques. Même si elles ne sont pas revendiquées, on les distingue sans mal dans Angelys Pear, la nouvelle création de Patricia de Nicolaï, qui « illustre parfaitement l’atmosphère de la douceur angevine », entre « beauté des lumières, pureté de l’air et ambiance sereine ». Avec sa poire rafraîchie d’une facette aqueuse et minérale, voire métallique, et son fond patchouli-mousse de chêne, elle fait figure de descendante hybride des floraux fruités marins et des néo-chypres de l’époque.

Plus intemporel, le blanc est une valeur sûre en termes d’inspiration et continue à remporter un franc succès. Guerlain décline sa mythique Heure bleue avec l’artiste plasticienne Claudine Drai, dont le travail porte sur les « relations entre la matière et l’immatière, l’apparition et la disparition ». Delphine Jelk s’est inspirée de son univers pour composer L’Heure blanche autour de matières perçues comme immaculées : muscs, notes lactées, iris et fleurs blanches. Un « abandon au blanc entre rêve et réalité » dont le prix affiché (600 euros) obligera toutefois la plupart d’entre nous à remettre les pieds sur terre.

Ambiance diaphane et ouatée toujours avec Into the white, proposé en édition limitée par The Different Company. Céline Ellena a recréé « une échappée dans un jardin enneigé oublié, onirique et poétique » en conviant petitgrain, fleur de tilleul, néroli et tubéreuse. Une « évasion dans un monde de songes » aux accents tendres et gracieux, dans la lignée de L’Eau du ciel d’Annick Goutal, aujourd’hui disparue.

C’est sur une opposition entre le blanc et le noir que jouent les Parfums de Nietzsche imaginés par Laurent Assoulen, passé par l’industrie du parfum, aujourd’hui compositeur de jazz et pianiste (en plus d’être amateur de jeux de mots). Avec son duo Surhomme, composé de deux flacons triangulaires qui peuvent s’assembler pour être vaporisés simultanément, ou non, il « continue son voyage exploratoire du lien entre la pensée profonde de notre existence et les parfums ». Le premier, de blanc vêtu, un « gingembre crémeux, délicatement boisé et saupoudré de notes épicées » est signé Anne Flipo, le second, en flacon noir, « cuir frais chocolaté soutenu par un accord patchouli vétiver », est l’œuvre de son collègue chez IFF Carlos Benaïm.

De son côté, Jo Malone préfère les tonalités dorées avec Vetiver & Golden vanilla, qui habille deux matières premières emblématiques de Madagascar de cardamome et de thé glacé au pamplemousse. Une composition enveloppante et chaleureuse évoquant des volutes de tabac miellé.

Plus âcres, des « accents cigare » figurent parmi les inspirations de Papyrus moléculaire, dernier lancement en date de Maison Crivelli, dont la description énigmatique comporte pêle-mêle « tresses de papyrus », « torsade de carotte », « fouet de coriandre », « amyris râpé », « tonka poivrée » et « peau poudrée. » Ses accents de feuille de violette joliment arrondis de notes boisées, épicées et lactées ne sont pas sans évoquer certains masculins des années 1990 et... la boucle est bouclée.