Les esthètes de la parfumerie de niche
La nouvelle vague
par Jeanne Doré, le 23 août 2007
- Les pionniers de la parfumerie de niche
- Les marques de niche traditionnelles
- Les esthètes de la parfumerie de niche
- Plus niche que la niche ? Les micro-marques
Frédéric Malle
Frédéric Malle, petit-fils du fondateur des parfums Christian Dior, neveu du réalisateur Louis Malle, et ancien évaluateur chez Givaudan, inaugure en 2000 ses « Editions de parfums », avec pour concept... de précisément ne pas en avoir !
Il part du constat que les plus grands parfumeurs contemporains qui travaillent pour des grands groupes internationaux, sont assujettis aux lois du marketing qui dictent leurs consignes et ne leur donnent aucune liberté artistique. Frédéric Malle décide donc de la leur redonner. Il sélectionne une poignée de parfumeurs dans plusieurs maisons de parfums (Maurice Roucel, Dominique Ropion, Sofia Grosjman, Jean-Claude Ellena,…) et leur donne carte blanche, sans aucune contrainte de prix, de genre, ou de cible.. Il ré-édite même un parfum inédit du grand Edmond Roudnitska, resté secret et porté uniquement par sa femme, Thérèse.
Cela donne au final des créations plus ou moins audacieuses, certes très raffinées, subtiles, extrêmement esthétiques, mais parfois assez classiques, et pas à des années-lumières de ce que ces nez font, ou ont déjà fait, dans le cadre de leur fonction principale, sous ce "terrible diktat du marketing". La différence essentielle, outre la libre inspiration personnelle et intime de chaque créateur, repose sur la liberté de prix, qui aboutit forcément à un effet qualitatif très supérieur à la moyenne.
www.editionsdeparfums.com/
The Different Company
Le parfumeur Jean-Claude Ellena et le designer Thierry de Baschmakoff créent en 2000 The Different Company, PME ayant comme dessein d’offrir« des produits rares et d’exception, en voulant s’affranchir des carcans et des conventions, en respectant certaines règles incontournables d’un luxe précieux et reconnaissable : qualité, différence, matières, rareté, modernité. ».
Chaque parfum est travaillé autour d’une matière première naturelle noble (jasmin, osmanthus, iris, vétiver, …), utilisée en grande quantité (jusqu’à 30%, ce qui est rare de nos jours), et contenu dans un flacon de verre épais, qualitatif, mais sobre. Tout est misé sur la qualité des matières, comme l’explique Luc Gabriel, le DG : « Nous mettons de l’argent dans le produit, pas dans le marketing ni dans la publicité ».
Jean-Claude Ellena crée Bois d’Iris, Rose Poivrée, Osmanthus et Divine Bergamote, puis, lorsqu’il devient parfumeur maison chez Hermès, il laisse sa fille, Céline Ellena, prendre la relève. Depuis 2005, c’est elle qui orchestre les parfums, avec Jasmin de Nuit, Sel de Vétiver, Un parfum d’ailleurs et fleurs, Un parfum des sens et bois et Un parfum de charme et feuilles.
www.thedifferentcompany.com/
Etat Libre d’Orange
Tel un ovni débarquant dans la parfumerie traditionnelle française, cette nouvelle marque, qui a élu domicile dans une rue tranquille du marais à Paris, se positionne sur un territoire libertin, décalé, un brin provocateur, sans jamais dépasser la vulgarité.
L’initiateur du projet, Etienne de Swardt a longtemps sévi chez Givenchy, et, entre autres, est le créateur du premier parfum pour chien Oh my Dog !. Il introduit un peu de soufre et d’humour dans le monde trop sérieux de la parfumerie, généralement très "premier degré".
Cela donne des créations aux noms mémorables et intrigants comme Putain des Palaces, Je suis un homme, Entrecuisse, Don’t get me wrong baby, I don’t swallow, Sécrétions magnifiques … Ce dernier, vous explique pudiquement l’hôtesse de la boutique, est basé sur le mélange des « 4 S » : sueur, sang, salive et sperme. Jamais une inspiration olfactive n’aura été aussi expérimentale !
Même si tout n’est pas olfactivement remarquable ou mémorable (Antihéros : lavande -un peu trop- minimaliste, Encens et Bubblegum : malabar chimique et enfumé…), certains s’avèrent plutôt complexes, inventifs et surprenants (Putain des Palaces : rose crémeuse comme un rouge à lèvre et une poudre de riz, Vierges et Toréros : tubéreuse épicée, musquée et subtilement animale…).
Je vois Etat Libre d’Orange comme l’art contemporain de la parfumerie, qui tout en pratiquant des tarifs assez abordables et des créations, bien que sophistiquées et soignées, accessibles olfactivement à la plupart, crée une rupture qui fait du bien dans le petit monde uniforme des parfums.
Les “nez” associés à ce projet : Antoine Maisondieu, Antoine Lie, et Nathalie Feisthauer de chez Givaudan, confirment ici le potentiel de créativité d’une génération de parfumeurs qui ne demande qu’à être dirigée et stimulée par des idées inventives et avant-gardistes, tout en gardant leur liberté créative, afin offrir le meilleur d’eux-mêmes, au service de cet art qu’est le parfum.
Le Labo (racheté en 2015 par Estée Lauder)
Le Labo, ce sont deux anciens de chez L’Oréal, Edouard "Eddie" Roschi et Fabrice Penot qui ont décidé un beau jour de combattre la conformité des parfums actuels en faisant créer à une sélection de parfumeurs talentueux (Daphné Bugey, Maurice Roucel, Annick Menardo, Françoise Caron...) des compositions dont le seul objectif serait de « créer un choc olfactif dès l’ouverture du flacon »... sans aucune contrainte de prix. Jusque-là, rien d’exceptionnel.
Mais l’autre particularité de la marque, c’est la proximité et la transparence : on entre dans la boutique, on choisit un parfum parmi la gamme proposée, et une personne se charge de vous le composer, là, devant vos yeux, en prenant soin d’inscrire votre nom sur l’étiquette. Par ailleurs, un peu à la manière de la marque californienne hype American Apparel, Le Labo communique sur l’absence de hiérarchie et une grande liberté et égalité au sein de ses employés, ce qui revaloriserait ainsi la créativité, et les talents de chacun.
Pour en revenir aux parfums, chaque composition porte simplement le nom de l’ingrédient central, qui provient de Grasse, suivi du nombre d’ingrédients qui composent la formule.
La gamme se compose de 3 familles : des unisexes, comme Patchouli 24, un violent accord boisé, fumé, cuiré aux allures de feu de bois, ou Neroli 36, une fleur d’oranger vanillée, musquée, moëlleuse comme un marshmallow. Des féminins, comme Iris 39, un bel iris chypré et musqué, assez sexy et animal. Des masculins, comme l’inattendue Rose 31, une rose hespéridée, acidulée, "masculinisée" par un accord poivré, boisé et fumé. Et il y a même un parfum pour bébé, Ambrette 9, un accord hespéridé musqué délicat et enfantin.
L’humour, le décalage et le minimalisme sont merveilleusement mis en avant, mais les prix, plutôt prohibitifs en font une marque haut de gamme relativement inaccessible.
Les parfums sont en vente sur le site internet, et à la boutique Colette à Paris.
Indult
L’indult était une faveur accordée par le roi de France ou par le pape au XVIe siècle.
La marque ré-invente à sa manière une nouvelle notion du luxe en parfumerie : à la fois largement diffusée (en vente chez Séphora) mais limitée (uniquement 999 exemplaires édités de chaque parfum), coûteuse (160 € les 50ml), mais finalement d’un bon rapport (réapprovisionnement gratuit du flacon sur présentation d’une carte de membre).
Francis Kurkdjian a composé les trois variantes de ce concept : Manakara, Isvaraya et Tihota, aux consonances exotiques mais élitistes, et contenues dans de simples flacons en verre très sobres, mais présentés dans des écrins en bois de palissandre.
La simplicité et la qualité. Et si c’était cela le nouveau luxe ?
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par Auteur non enregistré, le 24 août 2007 à 18:47
Effectivement, je vous avais mal compris, c’est plus clair maintenant.
Pour ELO, je suis plutôt d’accord avec l’auteur de l’article. Tout n’est pas renversant, mais il y a un certain nombre de créations vraiment intéressantes, originales et complexes. Je trouve leur discours marketing plutôt fun et sympathique. Il ne faut pas prendre cette marque plus au sérieux qu’elle ne se prend elle-même, et puis ça change des sempiternelles descriptions cul-cul la praline du genre "une ouverture fraîche et pétillante de bergamote et de citron dévoile un cœur où les pétales de roses s’enroulent autour des guirlandes du sublime jasmin des Indes, pour venir s’alanguir sur un fond mystérieux où le patchouli d’Indonésie s’associe aux bois précieux bla bla bla..." et des visuels qui ne jouent que sur le luxe et la sensualité aseptisée genre draps en satin et lumière tamisée. Un discours original ne suffit pas à révolutionner la parfumerie, c’est certain, mais ça change un peu. En tout cas, je trouve ça plutôt drôle et j’aime bien !
par Auteur non enregistré, le 24 août 2007 à 18:05
On se comprend mal : je comprends bien que les matières utilisées en parfumerie sont souvent les même et je nai pas critiquer cela. Je voulais souligner que les variations finalement assez semblables entre jasmins, roses, vétivers, bergamote et iris démontrent une créativité assez cadrée. Des exceptions sortent cependant, Sel de vétiver en est une par exemple. Mais, alors que je pense cela, j’admire le parti prix qualité des créations Le Labo : la qualité des matières premières est vraiment remarquable. Les soliflores sont actuels et d’une finesse extra-ordinaire, et cette parfumerie explore aussi des territoirs olfactifs nouveaux et de qualité. Vu sous cet angle, comme pour la coupe et la qualité du tissus d’un vêtement, le prix peut se justifier, beaucoup plus que les Private Blend de Tom Ford par exemple. En revanche, je rejoins Aline et Valcour, Serge Lutens et l’Artisan restent plus créatifs et plus osés. ELO, c’est de la caricature (exactement : mettre des moustaches à la Joconde). Indult, une insulte !
par Auteur non enregistré, le 24 août 2007 à 10:48
Je vous trouve un peu sévères avec les Malle. Je ne les connais pas tous, mais il y a quand même des créations qui sortent de l’ordinaire : Une fleur de cassie ou Noir épices par exemple. Par ailleurs, Une rose ou Carnal Flower, bien que reprenant un thème classique, apportent quelque chose de vraiment original.
Sinon, je ne comprends pas très bien la critique concernant le fait que ce sont toujours les mêmes notes qui sont utilisées en parfumerie, rose, vetiver etc... Je vois pas comment ça pourrait être autrement, en effet, les matières premières exploitables pour la parfumerie que nous offre la nature ne sont pas inépuisables, même si les techniques pour en capturer l’odeur évoluent, ainsi que les molécules de synthèse. C’est pas tous les jours qu’on découvre une fleur ou un arbre qui n’ait jamais été utilisé dans un parfum, non ?
En fait, j’ai l’impression qu’on est un peu dans une phase post-moderne de la parfumerie, comme dans l’art : de même que dans les années 10, l’innovation consistait à mettre des moustaches à la Joconde, l’innovation en parfumerie consiste à revisiter des classiques ou à les détourner. Peut-on encore aujourd’hui créer de nouveaux classiques ou des références olfactives absolument inédites ? C’est une question que je pose, qu’en pensez-vous ?
Enfin, félicitations pour l’article, je trouve que l’équilibre entre informations objectives et point de vue personnel est parfait. Par ailleurs, je suis d’accord à presque 100% avec tout ce que vous avez dit !
par Auteur non enregistré, le 24 août 2007 à 01:05
cela dit...je vous invite tous a tester Aldehyde 44 de Le Labo, l ’une des creations les plus originales et reussies depuis fort longtemps. ce parfum rayonne comme un diamant et electrise les sens comme une coupe de Champagne !
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par tambourine, le 5 février 2009 à 14:51
vous parlez d’aldehydes 44 créé par Yann Vasnier ;. n’est ce pas lui qui travaille ausdsi pour Divine dont vous avez parlé il me semble dans un post ? car on m’a offert L’âme soeur, à base, principalement, d’aldehydes et d ’ambre... qu’en pensez-vous ? (peut-être que je me trompe)
par Auteur non enregistré, le 24 août 2007 à 00:57
c ’est bien la raison pour laquelle j ’estime que Serge Lutens est seul vrai et authentique visionnaire dans le domaine de la creativite, c ’est lui qui a concut le premier boise feminin pour une grande marque il y a 15 ans, c ’est encore lui qui aime travailler sur des parfums autour de la cannelle, du santal, de la myhrre, du cedre, de la lavande, du miel, de l ’encens...quand tous les autres nous ressortent des accords vanille/chocolat ou des especes de jus de fruit vides d ’interet dans tous les sens. a un tel point que l ’on voit maintenant des parfumeurs copier plus ou moins directement son concept aujourd ’hui, ex les dernieres creations de l ’Artisan Parfumeur (leurs meilleures), Montale et leur dernier Boise Vanille, alors la c ’est carrement gonfle, non seulement un parfum qui ressemble comme deux gouttes d ’eau a Un Bois Vanille mais le jeu de mots est hyper nul et au niveau honnetete c ’est honteux et pitoyable.
par Auteur non enregistré, le 23 août 2007 à 23:14
Oui, la rose, le jasmin et le vétiver sont la base de la parfumerie, mais il n’y a pas que cela. Les parfums de ces marques, qui revendiquent une certaine liberté créative, restent assez autour de ces notes, sans aller bien loin dans l’originalité. J’ai bien dis "souvent", pas "toujours". Je reconnais qu’il y a de belles surprises innovantes et que la qualité matière est souvent là. Pour le Labo, que je viens de découvrir, cela se vérifie, il y a du créatif innovant et du plus classique ; les matières sont belles, mais cela ne justifie pas le prix, très new yorkais, et le concept est un peu forcé (le concentré dilué dans l’alcool à la vente, qui mature donc dans le flacon, c’est moyen). Pour Etat Libre d’Orange, trop de créations me rappellent les 80’s, il me semble que l’on trouve mieux ailleurs...
par Auteur non enregistré, le 23 août 2007 à 21:11
what ?? a moins de s ’orienter vers des parfums executes autour de molecules synthetiques non florales (Secretions Magnifiques, Musc Ravageur), rose, jasmin, iris, vetiver... ca reste la base de la parfumerie, on peut etre tres creatif en composant un parfum autour du jasmin ou de la rose. et puis les annees 80 c ’est pas du tout le depart ni la grande epoque de la parfumerie. Rose Barbare doit tout a Mitsouko (1919), un extrait tres cher d ’absolue de rose remplace le jasmin...
http://www.chandlerburr.com/newsite/content/emperorofscent/perfumeprevious.php
je n ’aime pas le concept Le Labo et je ne suis vraiment pas d ’accord a propos de la proximite, d ’abord on entre pas comme ca dans la boutique, tout se fait par RDV prive, ensuite les prix sont exhorbitants. cela dit il y a un parfum qui se detache de loin du lot, Aldehyde 44 cree par Yann Vasnier en hommage a son parfum fetiche le No 22 de Chanel (on est toujours pas dans les annees 80 lol). une version radiante et epuree ou aldhedydes et notes florales sont sublimees au detriment des notes poudrees volontairement eliminees pour garantir modernite, fraicheur et eclat. une evolution plus tenebreuse avec un soupcon d ’encens apporte profondeur et contraste a la composition.
Frederic Malle, je n ’aime pas trop, le concept est un mix bag d ’un peu de tout au niveau de la qualite et de l ’originalite des parfums. mis a part Iris Poudre et Musc Ravageur qui sont de belles reussites en revanche pour des nez a qui ont a donne carte blanche, personnellement je trouve le resultat bien trop souvent moyen et decevant.
Indult, on nage en pleine supercherie ! il ne s ’agit que d ’exploiter le filon commercial des parfums confidentiels et exclusifs. Tihota (que j ’ai pu tester cette semaine grace a echantillon de Luckyscent) mais quelle deception ! une vanille caramel qui rappelle les creations de Comptoir Sud Pacifique. rien de special sauf que ca coute $275 et la vraiment c ’est se foutre de la gueule du monde !
par Auteur non enregistré, le 23 août 2007 à 16:11
Malgré la revendication "créative", ces marques tournent souvent autour de notes communes : rose, jasmin, iris, vétiver, hespéridés afin de ne pas rater leur cible (si si) ... quelques belles créations chez The different Cie, chez Fréderic Malle tout de même ! Etat Libre d’Orange vend du concept mais les créations sont assez classiques au final (avec un arrière goût de retravail de formules "80’s"... qu’on a oublié donc c’est bon pour eux), et Indult se fiche du monde quant au rapport qualité matière/prix, injustifié. Reste à découvrir Le Labo...
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