Patchouli 24
Le Labo
Fumet de forêt
par Samuel Douillet, le 3 septembre 2019
Une création d’Annick Menardo qui parle le langage de la force et de la douceur.
On raconte que l’inspiration du N°5 de Chanel est venue à Ernest Beaux alors qu’il servait dans l’armée pendant la première guerre mondiale. Se trouvant dans des régions septentrionales à l’époque du soleil de minuit, les lacs et les fleuves exhalant un parfum d’extrême fraîcheur l’auraient profondément marqué. On peut aussi imaginer les arbres des mêmes régions - des bouleaux - donnant naissance au fameux Cuir de Russie, qui lui raconte le mariage des fleurs mondaines et du cuir traité au goudron de bouleau.
Tout cela nous amène à nous représenter une forêt d’Europe du Nord ou de Russie, à la fin de l’été. Car Patchouli 24, puisque c’est de lui dont on parle, s’ouvre sur une note explicitement fumée, celle du bois de bouleau, cuirée et salée, qui passe par les narines et atterrit sur la langue ; on n’est pas loin du registre gustatif. Pour autant, la note tient sur un fil et ne s’aventure pas dans le registre du brûlé et de l’âcre, comme d’autres parfums l’ont fait : Bois d’Ascèse de Naomi Goodsir, qui flirte avec l’encens ; le Cuir de Mona di Orio qui alterne entre la pierre calcinée et le cuir neuf, voire plus récemment Smoke chez Akro qui lui touche à la combustion du tabac.
Notre sujet poursuit son évolution avec son patchouli de patronyme qui se fait très discret, servant probablement de liant entre la brutalité des notes de tête et l’installation d’un lit chaud et confortable de vanille sombre et épicée. Un malicieux pied-de-nez du Labo qui prend souvent plaisir à mal nommer ses parfums.
Avec un peu de recul, on se dit que Patchouli 24 est bien fidèle à l’ADN (en tout cas celui désiré) de la marque Le Labo, qui a pour volonté de provoquer à chaque fois un choc olfactif à l’ouverture du bouchon. D’ailleurs, il est présenté en boutique comme le plus difficile à porter, celui qui est réservé aux initiés « qui n’ont pas peur du danger en parfum ».
Mais avant de se retrouver sur les étagères de la maison franco-américaine, cette bombe olfactive fût d’abord imaginée par Annick Ménardo, créatrice de parfums d’origine grassoise, alors chez Firmenich (aujourd’hui chez Symrise), et à qui l’on doit d’innombrables créations : Mon Premier Parfum de Lolita Lempicka, Boss Bottled, Bois d’Argent de Dior et Bulgari Black. Dans sa genèse, Patchouli 24 a porté le doux nom de « Via con me », avec comme fonction d’accompagner l’odeur du vieux blouson de cuir d’un de ses amis musicien. Offert à titre personnel, non commercialisé, l’élixir est ensuite resté dans les tiroirs, jusqu’à ce que les fondateurs du Labo réclament à Annick Ménardo un parfum qui lui tienne à cœur. Sans aucune modification, Patchouli 24 était né.
Annick Ménardo, qui explore souvent les notes sombres, avait déjà défriché le terrain en 1998 avec Bulgari Black, un parfum-ovni discontinué qui sentait la réglisse, le thé noir, le goudron, et le cuir. Puis en 2004, elle adoucissait un autre thème austère, l’encens, avec les baumes de Bois d’argent.
Quelques années plus tard, la XIIIème Heure de Mathilde Laurent pour Cartier reprendra le thème fumé vanillé, en y ajoutant une dimension thé. En 2010, cette dualité entre fumée et douceur est relancée en grand public par Van Cleef & Arpels avec Midnight in Paris, d’Olivier Polge, qui revient sur les traces de Bulgari Black en l’apprivoisant avec une bonne louche de vanille et de fève tonka.
La création du Labo a le mérite de nous montrer comment transformer un langage de force en tendresse, car si Patchouli 24 aborde les choses et les gens avec du caractère, il s’achève bien sur une vanille qui n’en finit pas, comme l’été indien d’une forêt du Nord.
Eau de parfum, 69 euros/15ml, 155 euros/50ml, 232 euros/100ml.
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par Sehnsucht nach dem Duft..., le 2 septembre 2020 à 10:19
Parfum incroyable que je redécouvre depuis quelques jours. Plus que Bvlgari Black du même Nez, ce parfum me rappelle dans son traitement du cuir et de la fumée L’Eau du Fier d’Annick Goutal, malheureusement discontinuée. L’ouverture est intense, dense. Un choc : ça sent le brûlé, le goudron, le clou de girofle. On a l’impression de mettre son nez dans une boite de Lapsang Souchong, dans un verre de Lagavulin ou de Laphroaig. Ce parfum me ramène à la fois à des souvenirs très urbains de goudron coulé dans des rues parisiennes et à des souvenirs très champêtres de balades en hiver sur des routes bretonnes d’où se dégage au loin l’odeur d’une cheminée fumante. Le parfum s’adoucit ensuite tout en restant riche et complexe, et, s’installe une vanille salée, tendrement fumée, légèrement poudrée, subtilement terreuse. Reste le lendemain sur les vêtements l’odeur d’un rouge à lèvres saupoudré de cendres…
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