Thé noir 29

La maison Le Labo est connue pour ses noms de parfums parfois trompeurs ou qui prêtent à confusion. Ainsi, Patchouli 24 sent le cuir fumé qui envelopperait une gousse de vanille, Ylang 49 est un chypré à peine modernisé, et Tonka 25 un accord surtout synthétique de bois et de muscs. Mais cette espiègle habitude est en fin de compte une bonne occasion de mettre en sourdine nos préjugés, forcés que nous sommes par notre cerveau à sentir quelque chose d’après son appellation.

Le Labo répond souvent à cette observation, en précisant que le nom du parfum est donné par la matière première – ou l’accord – pesant le plus dans la formule, et donc pas forcément par son impact olfactif. L’objectif du nom étant d’être le plus fidèle à la composition elle-même et non à ce qu’elle sent ou évoque.

Mais que sent-donc Thé noir 29 ?
Les premiers instants sont pour moi les plus intéressants. Imaginez un fruit confit, une figue ou un pruneau, trempé dans une tasse de notre breuvage noir. Le fruit est si mûr qu’il n’est plus à présent qu’un délice à goûter, à déguster avec lenteur et cérémonie. Le thé, aux réminiscences de bergamote, est corsé, tannique et phénolique – rappelant l’encre ou le goudron ; la facette aromatique apportée par le laurier le rend minéral, voire froid.

Passée cette entrée en matière (première ?), la figue devient progressivement moins liquoreuse, pour entrer dans une phase plus conventionnelle, juteuse, verte et rafraîchie par les notes de muscs et de bois modernes. Pour opérer ce basculement : un socle de vétiver et de cèdre d’une part, et un accord tabacé aux allures de foin d’autre part. Le thé n’est plus que vaguement évoqué par cet alliage de bois, de fruits et de feuilles, et jusqu’à l’évaporation, Thé noir 29 demeure dans cette posture un peu figée de bois fruités.

Si notre chère boisson chaude convoque facilement des images de bien-être, de sérénité, de calme, mais aussi des fantasmes de guérison et de désaltération opportunes tout autour du monde (que je lise des récits d’exploration dans les Alpes ou dans le Sahara, je le retrouve toujours entre deux efforts), Thé noir 29 n’en est pas la traduction olfactive. C’est un parfum à prendre au sens strict, à porter pour sa singularité (relative mais honnête) et son esthétique moderne mais plaisante.