L’Eau Trois

C’est une nouvelle fois sous l’ombre des ruelles étroites de la ville du port de la Lune que je fis une rencontre qui laissa votre serviteur les yeux riboulant de stupéfaction.
Dans un recoin de l’échoppe où je m’étais jadis enivré des effluves mystiques du chanvre et du poivre de Cozé, un flacon d’Eau Trois se cachait derrière d’autres célébrités du monde des parfums de niche, comme s’il dédaignait à être respiré, profané.

Cette crainte vient probablement du fait qu’il a été, à l’instar de l’Autre, Opôné, Virgilio, l’Eau d’Elide, retiré quelques temps du marché. Mais je tiens de source sure que Diptyque en « distille » encore quelques flacons de façon tout à fait homéopathique.

L’Eau Trois, crée en 1975 par Serge Kalouguine, est, comme son appellation sibylline le laissait tout de même présager, le troisième parfum de la maison germanopratine.
Sa composition tient du sacré, entre herbes médicinales et encens spirituel : origan, romarin, myrte, thym, laurier, encens, pin, ciste et myrrhe.
Il se veut « le parfum des buissons résineux le long des côtes montagneuses du nord de la Grèce ».

Curieusement, l’Eau Trois ne m’évoque nullement les mélopées méliques promises mais trois (tiens, c’est étrange) images, par ordre eidétique décroissant, assez nettes pour vous les transcrire à l’aide de ma petite plume.

La première – et la plus évidente - est celle d’une église de village, sur laquelle le temps n’a aucune emprise.
De ce lieu sacré, mystérieux et tranquille, me parviennent alors, dès le narthex franchi, les émanations de vieilles pierres, d’humidité empreinte de minéralité, de bois patiné et des fumigations des encensoirs ballotés au gré des cantiques.

La deuxième est celle, plus naturaliste et contemplative, d’une poignée de terre détrempée, de bois mouillé et de végétaux froissés. Cette odeur si particulière et puissante qui, lorsque vous êtes seul au milieu d’une forêt et que l’orage gronde, finit de vous convaincre que ce lieu a un esprit, une présence qui vous submerge et vous rappelle à votre simple état d’homme.

La dernière enfin, mais elle ne parlera sûrement pas à tout le monde, est l’odeur d’un excellent cigare fraîchement sorti de sa cave, de puros dont on hume lentement la cape, le pied et la promesse d’un moment divin.

Cette création est assez unique en son genre, et pour les amateurs d’encens il m’apparaît être une référence.
Sa rémanence est excellente et très proche de la peau.

L’Eau Trois est un parfum romantique et mystérieux tracé à l’arcanne rouge du charpentier, chuchotant les louanges du temps passé.