Esprit du Tigre
Heeley
Remède chinois
par Youggo, le 21 mai 2015
Sortir un parfum inspiré du Baume du Tigre, c’est osé diront certains. Ou bien c’est une drôle d’idée. D’autres crieront « enfin » ! Je fais partie de ceux-là.
Car le célèbre onguent (le rouge, soyons précis), figure de proue de la pharmacopée traditionnelle chinoise, est notamment connu pour son odeur bien particulière. Une odeur froide et médicinale pour certains, un véritable voyage dans les traditions de l’extrême orient pour d’autres. Je fais également partie de ceux-là.
Je trouve dans ce mélange de notes aromatiques et épicées, l’atmosphère d’une sombre échoppe d’un vieil herboriste local. Quelque chose de totalement exotique, entre moiteur tropicale et fumigations mystiques. Preuve du mystère qui entoure le Baume du Tigre, il existe à son sujet de nombreuses légendes qui lui prêtent des composants magiques tels l’opium ou de véritables traces de tigre... C’est dire si on dépasse le cadre médical pour aller vers l’occulte.
J’étais donc particulièrement avide de retrouver cette odeur en parfum, allant jusqu’à m’en tartiner le cou pour me parfumer (je ne suis pas certain que ce soit très recommandé). J’en trouvais bien quelques traces dans Serge Noire de Lutens, avec son cocktail de camphre, d’épices et d’encens, mais ça n’était pas tout à fait ça…
Puis arriva l’Esprit du Tigre.
Avec un départ glacial, camphre médicinal et menthol en tête, Esprit du Tigre assume clairement la filiation avec le baume du même nom. Mais si la version onguent est un véritable chaud-froid, le parfum joue lui plutôt sur un froid-chaud. En effet, passé cette première bouffée de fraîcheur qui se ressent jusque sur l’épiderme, la température se réchauffe ensuite à grands coups d’épices. Clou de girofle, poivre, cannelle… et une petite note saline étrange qui surgit au milieu de tout ça. Enfin, tout comme le baume, le parfum apaise les tensions. Il semble comme fondre dans un final timide entre bois sec, vétiver, notes balsamiques et cuir léger. Je regrette un peu ce fond qui me semble trop fade. J’aurais préféré quelque chose de plus musclé, entre ambre, bois fumé et patchouli peut-être. Piper Nigrum de Villoresi, très semblable à l’Esprit du Tigre, tombe également dans le même travers. J’imagine qu’il est compliqué d’équilibrer notes fraiches, épices et fond puissant…
Mais si Esprit du Tigre s’inspire du Baume du Tigre, il ne le copie pas pour autant, ne serait-ce que pour des raisons techniques de dosages (un parfum à 25% de camphre, il faut pouvoir l’assumer en société). Il évoque le baume, mais au-delà il dépeint aussi la carte postale d’une Asie fantasmée, aux paysages fabuleux, au patrimoine culturel foisonnant, et aux mythologies chimériques. Le tout avec un regard très occidental.
En fait, si Indiana Jones trouvait le temps de se parfumer entre deux éboulements de temples et une course poursuite en jeep, ce serait assurément avec Esprit du Tigre. J’y retrouve clairement cet esprit aventurier : le baroudeur occidental en Asie coloniale, portant en bandoulière dans sa besace en cuir une bonne dose de clichés sur les contrées traversées et leurs autochtones. Toujours avec cette élégance masculine, virile mais pas trop, de l’explorateur un peu vaurien, beau même au milieu de la jungle, qui époussète et réajuste son fedora brun élimé après une cascade.
En fait, c’est ça, l’Esprit du Tigre.
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par Iridescente, le 8 septembre 2019 à 16:54
Mélange personnel anti-bobo : diluez dans du macérât huileux d’arnica des montagnes une forte dose d’essence de gaulthérie couchée (G. procumbens), de copahu/copaïba et de térébenthine. Vous tomberez les mouches à vingt mètres mais aucun onguent n’est aussi efficace que celui-ci pour soulager muscles endoloris, ligaments froissés, tendons vexés, rhumatismes, arthrites et autres terribilités physiques du même acabit. Le baume de copahu remplace ici l’hélichryse, immortelle italienne dont l’huile essentielle est hors de prix, pour ses propriétés circulatoires ; la térébenthine oxygène les muscles ; et la gaulthérie, véritable aspirine avec ses 99% de salicylate de méthyle, remède bien connu des sportifs, amène en sus une action antitussive. En bref, c’est un baume du tigre maison qui défonce tout.
Sans rire, je rêve depuis des années d’un parfum qui ose intégrer une odeur – je n’ose pas finasser en disant une senteur – pareille. Il n’y a pas de menthol ici pour rafraîchir la composition démoniaque (quoiqu’il m’arrive de rajouter de l’huile de graines de moutarde pour accentuer l’aspect rubéfiant au besoin...) mais un exotisme torride et dangereux. Médicinal, sans doute, mais le genre de drogue obtenue en faisant subir des choses louches à un serpent.
Il faudrait un fruit là-dedans, peut-être, mais il faudrait commencer par du patchouli, et une bonne dose de sang-froid.
par Lady of Shalott, le 22 mai 2015 à 10:01
Aha ! Cher Youggo (désolée, on ne se connaît pas mais je me permets) ! Quel beau cri du coeur. Du fait de mes origines indochinoises du côté de ma mère -et bien que je ne sois qu’une octavonne- certaines choses m’ont été transmises. Le massage est omniprésent dans notre famille ; une façon naturelle pour nous d’apaiser un peu les douleurs de nos vieux, de nos parents qui rentrent de leur travail (assez physique), et de nous détendre en famille devant un écran ou sur la terrasse.
Le baume du tigre était très utilisé par la famille de ma mère. Petite, on lui en tartinait la poitrine en cas de rhume (c’est le même usage que le Vicks. On peut le diluer dans un corps gras pour plus de sureté mais je ne sais plus si c’est ce que ma mère faisait ; la prudence est toujours de mise avec les produits concentrés en HE mais si vous avez déjà testé sur la peau du cou et qu’aucune réaction ne s’est produite, c’est que c’est bon).
Le baume du tigre, pour moi, c’est ma mère et surtout le sac de boxe thaï de mon père, qui exhalait puissamment cette odeur quand je fouillais dedans chercher ses gants pour m’amuser (cuir, sueur et baume du tigre ; je vous laisse saliver). De beaux souvenirs d’enfance en somme.
"Je trouve dans ce mélange de notes aromatiques et épicées, l’atmosphère d’une sombre échoppe d’un vieil herboriste local. Quelque chose de totalement exotique, entre moiteur tropicale et fumigations mystiques" => j’adhère totalement ! C’est somptueusement illustré.
"Preuve du mystère qui entoure le Baume du Tigre, il existe à son sujet de nombreuses légendes qui lui prêtent des composants magiques tels l’opium ou de véritables traces de tigre... C’est dire si on dépasse le cadre médical pour aller vers l’occulte" => ici, je me permets de chipoter un peu : c’est occulte pour nous, occidentaux du temps présent, mais les herboristeries de médecine traditionnelle en Asie proposent toute sorte de poudres de cornes, d’ongles et autres morceaux d’animaux, parfois protégés (tigre, panda...), d’où les polémiques attenantes, et on trouve parfois même du dragon (je me demande d’où ils l’ont fumé mais c’est ça aussi le charme de l’Asie). Tout ceci relève donc bien de la pharmacopée traditionnelle d’Asie, à l’instar de l’opium, qui est de plus extrêmement répandu en Occident mais sous le nom des diverses molécules utilisées par les labos de sorte que le terme en lui-même peut garder tout son magnétisme mystérieux, interdit et oriental.
J’imagine bien que vous savez ceci mais je trouve amusant de constater que notre inconscient collectif est encore très imprégné d’images d’Epinal orientalistes avec opium, tigres et consorts, là où un asiatique ne verra probablement que du médical, même si la médecine chinoise n’a pas de limites bien définies avec l’occulte, en effet, ce qui rend mon raisonnement un peu brumeux... comme des vapeurs d’opium, peut-être (lâchez cette plaquette d’opioïdes, Lady of Shalott !).
par invité, le 21 mai 2015 à 22:31
Bravo Youggo, j’adore ta critique. Je ne me vois pas porter ce parfum. Je fais partie de ceux pour qui le Baume du Tigre, le rouge, est une odeur médicinale avant tout, même si le rappel de l’Asie est bien présent dès l’ouverture du pot...
Youggo
a porté Esprit du Tigre le 28 septembre 2015
Youggo
a porté Esprit du Tigre le 28 mai 2015
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Parfum découvert en Italie, dans une petite boutique Romaine. Posé à côté de Vierges et Toreros dans mon bestiaire olfactif. Idéal pour une journée où il s’agira d’être certain d’avoir des griffes prêtes à l’emploi, être à l’affût dans la jungle professionnelle. Un petit retour vers sa peau, pour sentir la belle persistance du camphre pourra vous convaincre un instant que vous ne vous ferez pas marcher sur les pattes.
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