Jean Jacques : « Il y a dans les parfums Caron une vraie lisibilité, une authenticité »
par Yohan Cervi, le 18 novembre 2020
Depuis deux ans, les parfums Caron inaugurent un nouveau grand chapitre d’une histoire centenaire, avec notamment la nomination de Jean Jacques comme parfumeur maison. Nous l’avons rencontré pour échanger avec lui sur ce nouveau rôle.
La maison, qui appartenait au groupe Alès depuis 1998, est rachetée en 2018 par Cattleya Finance, la holding d’investissement d’Ariane et Benjamin de Rothschild. La refonte du catalogue et du positionnement s’accompagnent de la nomination, en juillet 2019, de Jean Jacques, au poste de parfumeur maison.
Après un passage chez Quest (devenu Givaudan) et Fragrance Resources (aujourd’hui IFF), puis quatre années chez KAO, ce passionné de musique rejoint Takasago en 1997, où il signe de nombreuses compositions parmi lesquelles Gentlemen Only de Givenchy, Tendre Nuit d’Isabey, Hyperbole de Courrèges, Balmya de Balmain, ou encore L’Or de Torrente. « J‘ai passé 22 ans chez Takasago, une maison formidable qui m’a beaucoup apporté. J’y ai été très heureux.
Quand Hugues de la Chevasnerie [actuel président des parfums Caron] m’a proposé ce poste de parfumeur maison, j’ai longuement réfléchi, mais je ne pouvais pas dire non, c’est une chance que l’on n’a pas deux fois dans sa vie. J’avais, en plus, l’aval de mon mentor, Pierre Bourdon ».
La rencontre avec Ariane de Rothschild sera décisive et scellera sa nomination. « Nous avons tout de suite accroché, nous parlons le même langage et partageons une passion commune pour le beau parfum. Aujourd’hui, nous fonctionnons en duo. Ariane est très investie dans l’acte créatif et possède une vraie vision de la parfumerie ».
Un style unique
Pour le créateur, « Caron est bien plus qu’une simple marque de parfums, c’est une institution, depuis plus d’un siècle, qui fait partie de la culture française et de l’imaginaire collectif. Il faut que cette maison s’exprime de nouveau, retrouve sa place en apportant sa propre vision. Il y a dans ses créations une vraie lisibilité, une authenticité. Pour un homme en est un excellent exemple. Ce ne sont pas forcément des parfums tranchants, mais ça sent ce que ça dit. C’est l’image que j’ai des créations d’Ernest Daltroff. Je vais essayer de continuer dans cette lignée, et conserver cette lisibilité. Il n’y a pas de bricolage possible. Caron, c’est également l’art du surdosage, pour parvenir à une forme appuyée de sensualité. On s’affiche et on s’affirme en Caron. Il y a cette idée d’opulence, une certaine ostentation assumée, qui n’est en aucun cas une forme de vulgarité ».
Quatre créations exclusives
La marque a développé un partenariat avec la maison de composition IFF : « Je travaille avec leur catalogue de matières, dont les naturels LMR [Laboratoire Monique Rémy], un gage d’excellence. Également avec les matières premières naturelles du programme éthique For Life labellisé Ecocert, aux critères sociaux et environnementaux très stricts et à la traçabilité totale ». Pour ses quatre premières créations, des exclusivités boutiques lancées fin 2019, il a fallu trouver une trame créative et une signature commune : « Je suis parti de l’idée de Pour un homme, qui est essentiellement basé sur deux accords, la lavande et la vanille, une alchimie bâtie sur une dualité. J’ai eu la chance de bénéficier d’une vraie liberté, mais qui induit de grandes responsabilités ».
« La rose s’est imposée comme une évidence, car c’est une des signatures des grands Caron, comme N’Aimez que Moi, Nuit de Noël, Rose ou Or et Noir. Je l’ai travaillée sous deux aspects très différents. Avec Rose ébène, la reine des fleurs rencontre le café. J’ai employé un café CO2 et une essence de rose Turque, qui reposent sur un accord cuir-safran. Ce dernier ne casse pas l’idée de la dualité rose-café, et permet d’en accroître la profondeur. Je voulais que ce parfum soit à la fois original, signé et évident. Rose ivoire est une interprétation de la rose totalement différente, avec un aspect pétale velouté, qui incorpore de grandes quantités d’iris et d’ambrette, sur une base de muscs et de notes héliotropées. C’est une rose qui n’est pas envahissante, douce et très « peau ». En départ, j’ai ajouté une grande quantité de baie rose pour créer une accroche mordante et lumineuse ».
Tabac noir, dont le nom avait déjà été employé par Caron pour un parfum créé et commercialisé en 1948, « résonne comme un clin d’œil au Tabac blond de 1919, qui a fêté l’année dernière ses 100 ans. C’est une création très miellée, gorgée d’absolue tabac, de ciste et de gurjum qui donne une assise aux notes tabac. Il y a deux bases cuir dans la formule de Tabac blond, j’ai repris une des deux et ajouté une essence de patchouli certifiée For Life, ainsi qu’une essence de cèdre de Chine qui est naturellement cuirée et fumée. Sa construction est simple et précise, puissante, avec une dualité entre la force et la douceur ».
Enfin, Tubéreuse merveilleuse est le fruit d’un souvenir d’un voyage du parfumeur en Thaïlande, il y a une quinzaine d’années. « Un soir, à Bangkok, j’ai été subjugué par l’odeur des frangipaniers en fleurs dont l’odeur évoquait en partie le gingembre. Maintenant, souvent, quand je fais des fleurs blanches, j’ajoute du gingembre. Pour ce parfum j’ai employé une extraction au CO2, très pure et noble, qui sent la racine fraîche. La tubéreuse, quant à elle, est lumineuse, peu épicée, aimable et solaire, très douce et vanillée, légèrement gourmande, avec un accord lait d’amande en fond. Le gingembre est subtil, mais si je l’avais retiré, le parfum aurait été complètement différent ».
Un nouveau grand masculin
Enfin, en septembre 2020, Caron a lancé un nouveau grand masculin en distribution sélective, Aimez-moi comme je suis, un nom qui résonne comme un hommage à deux parfums emblématiques de la maison, N’aimez que moi (1916) et Aimez-moi (1996). Comme point de départ de cette nouvelle fragrance, « une construction duale, là encore, qui repose sur une association surprenante, gourmande mais non sucrée, de noisette et de vétiver. La formule contient une proportion très élevée de vétiver d’Haïti, issu d’une filière responsable certifiée For Life ». Celle-ci contribue au développement local, assure de justes conditions de travail et de rémunération aux cultivateurs, tout en protégeant les écosystèmes de l’île. Peu à peu, Caron reprend sa place de grande maison de parfum avec pour ambition d’imposer à nouveau un style, ainsi qu’une vision forte de la parfumerie d’aujourd’hui et de demain. « Je travaille sur de nombreux autres projets à venir, c’est exaltant ! Le champ des possibles est infini. »
Photo : ©Caron
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par jickyestmort, le 22 décembre 2020 à 17:05
La citation du parfumeur Jean Jacques utilisée pour le titre de l’article ne présage rien de bon. Bien sùr que les parfums de la Maison Caron avait leur personnalité, comme une signature commune de la mème façon que les parfums Guerlain avant le grand massacre. Si ce parfumeur qui parle pour les nouveaux propriétaires a l’intention de nous rendre nos parfums Caron tant aimés (Narcisse Noir, Muguet du bonheur, Parfum sacré, Pour un Homme pour en citer quelques uns), il peut continuer à pontifier autant qu’il lui plaira, sinon ce n’est que de la publicité mensongère pour un nouveau "jus" gràce à la réputation de grands parfums d’une ex-grande Maison. Malgré les diktats de l’IFRA, je reste convaincue qu’il est possible de reconstituer les senteurs des anciennes formulations, mais il faut le vouloir. Les patrons du luxe actuels préfèrent que les parfums ne soient pas des "productions de l’esprit" afin de continuer à produire et à vendre les parfums comme s’ils étaient des nettoyants pour les chiottes.
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par derby13, le 23 décembre 2020 à 10:06
Bonjour Jickyestmort,
Vous avez complètement raison... tout est vrai dans votre commentaire jusqu’à votre pseudo malheureusement.
Mais certaines maisons arrivent à ressusciter leur ancien catalogue avec un très grand respect/succès (Lubin...), alors que d’autres en effet s’en désintéressent ou, plus volontiers, le massacrent (LVMH...) avec, on dirait, l’objectif de faire disparaître corps et âme cet héritage encombrant.
Donc quand on veut, on peut ! Espérons que Jean Jacques le veut.
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