Du parfum, des femmes et des couleurs : la revue de sorties #2

Artiste, poétesse ou héroïne antique : ce sont des figures de femmes qui inspirent les marques pour leurs derniers lancements. She was an anomaly d’État libre d’Orange doit son nom à une citation de la fille de la chanteuse Nina Simone décrivant sa mère. Quand Etienne de Swardt l’a entendue dans un documentaire, il a été « foudroyé par l’émotion si bien sentie pour exprimer le talent ». Pour en donner une traduction olfactive, il a fait appel à une autre femme, Daniela Andrier, déjà auteure de Une amourette et I am trash pour la marque. La formule, créée avec l’aide de Carto, le nouvel outil d’intelligence artificielle développé par Givaudan, associe l’iris et les muscs – typiques de la patte de la créatrice – à des notes boisées douces de cèdre et de santal.

Chez Jardins d’écrivains, Loy, dernier-né dans la collection Pléiade, rend hommage à la poétesse anglaise Mina Loy, à la vie digne d’un roman. Féministe, proche de Marcel Duchamp, Francis Picabia et Sigmund Freud, elle tombe amoureuse du poète et boxeur Arthur Cravan, qu’elle suit, en pleine Première Guerre mondiale, jusqu’au Mexique, où il disparaît en mer dans des circonstances mystérieuses quelques mois plus tard. Cette passion brève et tragique est restituée par une rose cuirée orientale, ourlée de jasmin, safran, vétiver, santal et gurjum.

Inspiration féminine toujours mais mythologique cette fois pour Trudon, qui redonne vie à une « fière descendante de la déesse Diane chasseresse » avec Elae. Yann Vasnier (qui avait déjà signé Mortel) a marié bergamote, néroli, pomme, ylang, jasmin, tubéreuse, santal, benjoin et Akigalawood (une matière issue du patchouli ) pour un rendu qui peut rappeler les bouquets solaires et orangés des années 1990 comme Classique de Jean-Paul Gaultier ou Poême de Lancôme. La gamme s’enrichit également d’un hespéridé avec Médie, du même parfumeur, aux notes de pamplemousse, mandarine, angélique, jasmin sambac, cyprès, cèdre et encens.

On ne sait pas si Elae ou Diane avaient les yeux bleus, mais c’est le cas de Chantal Roos, à l’origine de la marque Roos and Roos avec sa fille Alexandra, une fan du morceau « Pale Blue Eyes » du Velvet Underground. La chanson a donné son nom à « un parfum à la fois charnel et évanescent, mystérieux et clair, comme un regard bleu pâle qui ne dit pas tout et dans lequel on se plonge ». La composition, signée Dominique Ropion, comprend de la mandarine, du bourgeon de cassis, de la tubéreuse, de la violette, du vétiver, du santal et du Cashmeran.

La même couleur a guidé Maison Violet pour sa nouvelle création, Nuée bleue, qui avait été le dernier parfum lancé par la marque avant sa mise en sommeil en 1953 et renaît aujourd’hui avec une formule différente. Le floral blanc aldéhydé laisse la place à un iris aux accents hespéridés de bergamote et étoffé de fleur d’oranger, d’un accord œillet, de santal, de benjoin et de musc, dans un esprit confortable et élégant proche de l’Infusion d’iris de Prada.

Après le bleu, le velours rouge des fauteuils de théâtre pour Comme des garçons, qui a créé Odeur du Théâtre du Châtelet- Acte 1 pour la réouverture du lieu après travaux. Caroline Dumur a travaillé des notes de rose oxyde, ambrette, aldéhydes, fleur d’oranger, héliotrope, iris, cèdre et musc « pour atteindre un équilibre entre surprise et beauté, réalités de la vie et magie d’un théâtre ». Extrêmement métallique en tête, la composition évolue vers des notes plus cosmétiques.

Couleur café pour Comptoir Sud Pacifique, qui propose avec Vanille café, une création de Vanina Muracciole, son interprétation des champs de caféiers du Costa Rica, où le parfum des grains séchant aux soleil se mêle à celui de l’amande verte, du benjoin, du cèdre et de la vanille.

C’est un autre breuvage exotique qui intervient dans Tubéreuse organique de The Zoo, la marque fondée par Christophe Laudamiel. Le parfumeur a imaginé sa tubéreuse idéale, « aux pétales doux et baignés de rosée » grâce à de la tequila bio, l’agave qui permet de la fabriquer étant de la même famille que la tubéreuse. Il l’a unie à du lavandin et à du jasmin, sans ajouter de tubéreuse naturelle, « trop sombre, terreuse et étouffante ».

Exotisme encore pour Hiram Green qui propose avec Voyage 2019 une nouvelle version en édition limitée de son Voyage dédié aux palais flottants du lac Pichola, au nord-ouest de l’Inde. Le coeur d’ambre et de vanille a été réorchestré avec des notes agrumes et de fleur de lotus, pour lui apporter une touche « plus légère et plus tropicale ». Avec son sillage opulent de tabac blond et d’encaustique, le parfum cultive aussi un charme rétro.

Une ambiance vintage que l’on retrouve dans l’univers de Francesca Bianchi, une Italienne diplômée en histoire de l’art, et qui s’est formée à la parfumerie en autodidacte. Parmi les créations qu’elle a présentées au Pitti Fragranze de Florence en septembre dernier, on peut distinguer Lost in Heaven. Sa fleur d’oranger, son jasmin et son santal baignés de cumin et d’un accord musc Tonkin rappellent les courbes de Femme de Rochas.