Songe à la douceur C.B.
D’Orsay
Peau d’âne
par Samuel Douillet, le 28 juin 2021
Une ballade attendrissante où douceur et félicité font bon ménage.
La marque D’Orsay n’est pas inconnue des amateurs de parfums. Il fut d’ailleurs une époque où elle n’était inconnue de personne, figurant au début du XXe siècle parmi les plus célèbres des maisons de parfum. Après un retour sur la scène niche entre 2007 et 2015, D’Orsay a amorcé un lifting suite à son rachat, avec une nouvelle image à l’esthétique plus moderne.
À présent les noms des parfums d’Orsay se cachent derrière des phrases murmurant des amours poétiques et des rendez-vous secrets, complétées par des initiales faisant référence aux auteurs des phrases en question. Ainsi, le best-seller Tilleul a été relancé sous le nom Vouloir être ailleurs. C.G.
En évoquant le nom de Songe à la douceur. C.B., la première chose qui m’interpelle est la pluralité de lecture de ces mots. S’agirait-il d’un songe, d’un rêve, que l’on s’apprête à sentir ? Le mot « songe » pouvant ici être interprété comme une ode. Mais dans ce cas, n’aurait-il pas été approprié de dire « Songe de la douceur » comme par exemple dans « Songe d’une nuit d’été » , ou « Songe de bonheur » ?
On peut donc y apporter une lecture différente, et transposer le verbe songer sur le mode impératif. « Songe à la douceur… que tu pourrais ressentir en portant ce parfum », la maison s’adressant ainsi directement aux utilisateurs de cette création. La marque ne se prononçant pas sur la véritable signification des initiales, on ne peut que supposer la référence à l’œuvre de Clémentine Beauvais, qui raconte une histoire d’amour en vers, dans un livre éponyme publié en 2016.
Digression lexicale mise à part, ce nom a bien quelque chose d’olfactif à raconter. Quelque chose de très émouvant même. Un frémissement de mandarine et de pamplemousse un peu amers, mais bel et bien frais, chatouille les narines, avec l’appui d’une graine de carotte râpeuse permettant d’amener le parfum sur un terrain vaguement poudré et boisé plutôt que purement hespéridé.
Tout doucement, par l’intermédiaire d’un cœur de fleur d’oranger, la composition navigue vers un cuir végétal, prodigieusement évocateur d’une selle de cheval glissant avec douceur sur la peau de l’animal. Un vétiver apporte une touche d’humidité et contribue à rendre le cuir plus vert, boisé, plein de tendresse - aucune brutalité fumée ici. Enfin, ce cuir se drape d’un halo de muscs qui prolongent ce rêve éveillé.
Un parfum à rêver les yeux ouverts et à porter les yeux fermés, quelque part entre Bois d’iris et Cuir d’ange, et qui aurait d’ailleurs été parfaitement à sa place dans la gamme des Colognes d’Hermès - oui, je suis très enthousiaste !
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par Adina76, le 28 juin 2021 à 20:33
L’Invitation au Voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857)
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par Nez inexpert, le 29 juin 2021 à 03:49
Merci, Adina, d’avoir achevé de percer pour nous ce mystère. Je me demande si Beauvais a remarqué la similitude de ses initiales avec celles du poète, et si d’Orsay a voulu cette double allusion.
On n’y comprend rien, à ce qu’il écrit, le compère Baudelaire : 42 vers et pas un seul anglicisme, il n’y met vraiment pas du sien. C’est du vieux français, il faudrait actualiser, updater même. Par exemple : Ah que tout n’est que ordre et/ou beauté, Luxe, calme et/ou volutpé. Charlie Bodler, Les Flowers du Bad.
Pour en revenir au parfum, et par curiosité : l’a-t-on comparé à son ancêtre ? Est-ce vraiment Tilleul ou une nouvelle version ?
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par Adina76, le 29 juin 2021 à 07:21
Bonjour Nez inexpert, bonjour à tous,
Vous confondez : le nouveau nom de Tilleul, c’est Vouloir être ailleurs. Je laisse les connaisseurs se prononcer sur la fidélité de cette réédition et vais enquêter sur la source poétique de ce Vouloir être ailleurs. Pour l’Initiation au Voyage, ce n’était pas difficile... ce vieux Charly appartient quand même à la fine fleur - fût elle du mal- de la poésie française....
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par Nez inexpert, le 29 juin 2021 à 15:53
Quel ballot je fais. Merci de la rectification.
A moi de rectifier : Baudelaire appartient à la fine fleur de la poésie tout court.
par Petrichor, le 29 juin 2021 à 11:25
"Charlie Bodler", c’est drôle. Car à l’inverse, ça me rappelle ce qui se passe avec Arthur Rimbaud.
En voyant son nom, beaucoup d’anglophones ne peuvent s’empêcher de penser "rainbow". Ils pensent arc-en-ciel. Et pas nous, pourtant c’est très adéquat. "Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées, mon paletot aussi devenait idéal..."
Comme quoi les barbarismes peuvent aussi ajouter de la poésie au monde.
par ghost7sam, le 1er juillet 2021 à 22:27
Chère Adina,
Vous êtes extra !
Merci d’avoir résolu le mystère !
Je vous conseille vivement d’y jeter une narine.
sd
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