Parfums et Ponge : un dialogue de Jean-Christophe Hérault et Denyse Beaulieu
par Jeanne Doré, le 9 juin 2016
Vous aimez le parfum ? Vous aimez la poésie ?
Voici un évènement à ne pas manquer : Denyse Beaulieu, Jean-Christophe Hérault et les poèmes de Francis Ponge réunis sous le même toit, cela n’arrive pas tous les jours, mais seulement le jeudi 16 juin à la Maison de la Poésie... alors réservez vite votre place dès maintenant pour pouvoir venir voir, écouter, et ...surtout sentir !
La poésie a-t-elle un parfum ? Peut-on écrire un poème en odeurs ?
Créateur de parfums pour Balenciaga, Thierry Mugler ou Comme des Garçons, Jean-Christophe Hérault a nourri son apprentissage à Grasse de lectures de Proust autant que de l’odeur des champs de mimosa. Sur une proposition de Denyse Beaulieu, auteur du blog Grain de Musc et de Parfums, une histoire intime, il présentera une série de compositions olfactives suscitées par cinq textes de Francis Ponge, – L’Huître, La Guêpe, Le Mimosa, Carnet du bois de pin et La Mounine.
À l’origine, une intuition, suscitée par la lecture de La Rage de l’expression de Francis Ponge. Ou plutôt, deux évidences. D’abord, que ces textes composaient des parfums.
… de ce paysage il faut que je fasse conserve […], que j’en lie un bouquet pouvant être tenu à la main…
Ensuite, que la démarche même de Ponge dans ces textes pouvait éclairer celle du parfumeur.
Je désire moins aboutir à un poème qu’à une formule, qu’à un éclaircissement d’impressions…
… ne pas publier seulement la formule à laquelle on a pu croire avoir abouti, mais […] publier l’histoire complète de sa recherche, le journal de son exploration.
L’éclairer, pourquoi ?
Supposons que le parfum, par-delà son statut de marchandise, soit aussi une façon de connaître le monde. (Ponge : « l’expression de l’idée, de la qualité propre, différentielle, comparée du sujet »). Un tel éclairage peut être une tentative de le penser, c’est-à-dire de le soustraire à la fois à l’aphasie de l’inculture olfactive et au verbiage d’un discours commercial où les mots « poésie » et « émotion » ne sont plus que des déclencheurs d’achat…
Par-delà l’illustration des mots par les senteurs – comme si le poème était une espèce de brief marketing doté de plus-value culturelle –, cette rencontre mettra plutôt en regard deux pratiques créatives liées l’une et l’autre à la définition de l’objet dans ce qu’il « a de brut, de différent ». Et permettra, donc, d’éclairer ce qui, de l’art trop méconnu du parfumeur, est aussi une façon de connaître le monde ; une rage de l’expression.
Jeudi 16 juin de 19h à 21h
Entrée : 10 euros, adhérents : 5 euros
Maison de la Poésie
Passage Molière - 157, rue Saint-Martin
75003 Paris
Téléphone : 01 44 54 53 00
Réservation sur le site de la Maison de la Poésie
Événement réalisé avec le soutien d’International Flavors & Fragrances (IFF)
par Passacaille, le 11 juin 2016 à 11:06
Francis Ponge
(1899-1988)
L’orange
Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l’écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d’ambre s’est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, - mais souvent aussi de la conscience amère d’une expulsion prématurée de pépins. Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l’oppression ? – L’éponge n’est que muscle et se remplit de vent, d’eau propre où d’eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L’orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, - et ce sacrifice odorant…c’est faire à l’oppresseur trop bon compte vraiment. Mais ce n’est pas assez avoir dit de l’orange que d’avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l’air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l’accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte qui en résulte, et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s’ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l’ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l’avant - bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles. Et l’on demeure au reste sans paroles pour avouer l’admiration que mérite l’enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon – buvard humide dont l’épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit. Mais à la fin d’une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, - il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d’un minuscule citron, offre à l’extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l’intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C’est en lui que se retrouvent, après l’explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, - la dureté relative et la verdeur (non d’ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d’être du fruit.
Le parti pris des choses 1942
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par Belle du seigneur, le 12 juin 2016 à 00:20
Merci Passacaille pour ce beau texte. La poésie de Ponge est l’une de celles qui m’émeut le plus, sans que je ne sache vraiment dire pourquoi. Cet affrontement à la chose par les mots qui se font tactiles, cette compréhension pudique de ce qui s’oppose au toucher, à tous les sens en fait, me bouleverse toujours. Peut-être que la poésie de Ponge est, plus que toute autre, ceci : une poésie des sens et de tous les sens. Il y a quelque chose d’une simplicité folle et pourtant si profonde, si précise. La naissance de la chose dans un regard tendre et amoureux qui tente de la caresser sans l’écraser, qui caresse sans jamais saisir, et qui ainsi paradoxalement va plus en profondeur dans les plis et replis du monde matériel, qui remarque contre l’indifférence d’une opposition sujet/objet l’émoi d’un partage, l’éclat furtif d’une liaison, d’une attention de l’homme à son monde respecté dans son individualité propre. L’esthétique de l’instant.
J’aurais beaucoup aimé participer à cet événement, non pas seulement parce qu’il réunit deux arts que j’aime, mais parce qu’il semble poser la question de ce que peut exprimer le parfum qui n’est jamais tout à fait ce qu’exprimera la parole poétique. Là où justement le poète emprunte le plus au sens olfactif, il ne dit pourtant pas ce que dit le parfum. Je ne crois pas vraiment qu’il s’agisse de deux manières différentes de rendre une même chose. Il s’agit de deux manières de l’affronter - mais que sait dire le parfum que ne puisse dire le poème ?
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