Beau de jour
Tom Ford
Daddy nostalgie
par Clément Paradis, le 14 septembre 2022
Fougère old-school ou réinvention du thème ? Qui est ce Beau de jour que Tom Ford a intégré à sa collection « Signature » ? Entre l’échoppe du barbier et le dressing du jeune cadre dynamique, son cœur balance.
J’ai toujours un certain respect, mêlé de mansuétude, pour les esprits scientifiques qui acceptent de s’enticher de la parfumerie : on leur parle de parfums chyprés qui n’ont rien à voir avec l’île de l’est de la Méditerranée, on s’asperge d’eau « de Cologne » qui n’a jamais connu l’Allemagne (la Cologne, c’est l’Italie enfin !) et on s’enorgueillit des parfums ambrés sans trop rappeler que l’ambre véritable de la parfumerie est du vomi de cachalot hors de prix. Bienvenue dans la maison des fous. Si l’interlocuteur n’a pas décroché, on peut aborder la question des fougères, qui n’ont aucun lien avec la plante vivace évidemment, et qui nécessitent immanquablement un passage par des souvenirs familiers et familiaux : « mais si, tu sais, c’est la fougère à papa, les parfums un peu rétro là, qui sentent l’aftershave et la lavande ! » Normalement ça marche.
C’est d’ailleurs avec cette vieille image que l’industrie du parfum joue depuis les années 1990, oscillant entre la réinvention provocatrice de la fougère (bonjour Le Mâle) et la redite orgueilleuse (bonsoir Sartorial) afin de toujours mieux capter l’audience cible de cette famille olfactive : les bonshommes. Or, Tom Ford aime les bonshommes qui aiment les fougères, et il est bien décidé à leur fournir régulièrement leur dose (en assurant le sevrage, nombre de ses parfums disparaissant rapidement des rayonnages), qu’elle se nomme Fougère d’argent, Lavender Palm, Fougère platine, Lavender extrême ou encore Beau de jour, initialement proposé dans la collection Private Blend et aujourd’hui disponible dans la gamme grand public de la marque. Dans notre époque de grandes récapitulations esthétiques, il est en effet tout à fait compréhensible que le surdoué d’Austin ait voulu présenter cette semi-nostalgie au plus grand nombre (ou en tout cas au nombre plus grand, le flacon n’étant tout de même pas donné).
Semi-nostalgie vous dites ? Parlons-en, oui. Car Beau de jour tresse un pont entre les anciennes fougères dans ce qu’elles ont de plus suranné et leurs nouvelles incarnations, jusque dans leurs aspects les plus calibrés. La très belle ouverture du parfum lui assure de premières sympathies. Une note de basilic naturaliste, fraîche et corsée, s’impose d’abord, accompagnée des classiques : un peu de géranium, un accord mousse d’arbre légèrement texturé, une lavande en relief traversant l’ensemble, tirant même vers le cuir. Là où beaucoup de fougères contemporaines ont tendance à s’affaisser comme une mousse à raser mal montée, Beau de jour impressionne par sa densité et son basilic anisé qui charrie avec lui des bouffées de coumarine et liatrix trahissant des aspirations ambrées, suivies d’une touche de cardamome pour faire le lien entre le chaud et le froid, et cette lavande frottée de patchouli et de bois ambrés qui viennent renforcer son aspect cuiré et réglissé.
Ce qui aurait pu être un « vieux beau » de jour (ou pire, un « beauf de jour », ne niez pas, je sais que vous y avez pensé) est donc en réalité un big daddy au cœur noir comme un perfecto imprégné d’hydrocarbures dans une station essence sur la route 66. Les âmes sensibles auront du mal à être conquises, votre serviteur y compris (on n’est pas toujours le baroudeur qu’on croit hélas), même s’il faut bien avouer que la note boisée-ambrée est ici habilement travaillée – non parce qu’elle est bien cachée (ce n’est pas le cas), mais parce qu’elle s’inscrit dans la continuité et le fondu de cette balle de foin et d’herbes anisées senties on the road. Tom Ford (ou plutôt ses parfumeurs souvent anonymes) n’a sans doute pas réinventé la fougère, mais il a fait d’un parfum d’hier un parfum d’aujourd’hui, comme un remake hollywoodien d’un classique du cinéma français, avec un gros casting, de beaux décors, de belles matières, un twist viril et un scénario lissé. À vous de voir si vous êtes plutôt Imax 3D ou Cinémathèque française.
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Une réussite de plus ! Jamais déçu avec Tom Ford (oui oui c’est américain et en plus il est provocateur le sexe c’est mal blabla....)
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Merci, Clément, pour cette critique qui, dans son style même, mêle modernité et grande tradition (comme l’avait fait Tavernier dans son film Daddy nostalgie qui unissait le côté old school de Bogarde à la fraîcheur tourmentée de Birkin).
Beau de Jour m’a séduit mais son évolution, sur ma peau du moins, fut moins convaincante. Donc, à réessayer sur vêtement :-)
Sartorial demeure très classique mais facile et très agréable à porter (testé en échantillon.)
Dans le style « néo-fougère », Bracken Man d’Amouage, bien différent cependant, m’avait tellement impressionné à sa sortie (2016) que j’ai dû céder à l’onéreuse tentation. Lavande, agrumes, géranium, cannelle, muscade, cèdre, santal, patchouli dressent un immense pin vert dont les aiguilles délicieusement piquantes ne cessent de se rappeler à notre souvenir.
Voir article sur AP :
https://auparfum.bynez.com/entre-lilas-et-fougere-les-nouveaux-joyaux-d-amouage,3412
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par Duolog, le 15 septembre 2022 à 15:52
Merci pour cette lecture attentive !
J’ai eu le même problème avec Beau de jour : beau départ et évolution dans une direction qui mettait mal à l’aise. J’étais face à un dilemme : est-ce que ce parfum n’est pour personne, ou juste pas pour moi ? Si ce n’est pas une esthétique que j’ai envie de défendre, je peux comprendre ce que d’autres lui trouvent.
Pour moi, les notes boisées sèches qu’on critique tant ici (à raison) renforcent dans ce parfum les facettes que j’aime le moins des matières qui évoquent le foin, mais il y a une certaine cohérence dans cet univers qui n’est pas le mien, et il me semblait intéressant de le souligner.
Pour le reste, je dois avouer que je n’ai jamais senti Bracken Man, j’espère pouvoir remédier à cela dans un futur proche où Amouage sera mieux distribué sous nos latitudes !
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par Farnesiano, le 15 septembre 2022 à 16:41
Bonsoir, Duolog. Si vous le désirez, je vous enverrais volontiers un échantillon. N’hésitez pas ! Passez une bonne soirée.
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par Duolog, le 15 septembre 2022 à 23:59
Merci vous êtres trop aimable, je vais commencer par voir avec la marque !
Bonne soirée à vous.
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