Auparfum

Thierry de Baschmakoff : « Avec J.U.S, nous voulons provoquer l’étonnement »

par Anne-Sophie Hojlo, le 3 octobre 2018

Flacons laqués aux couleurs flashy, meubles vintage et affiches inspirées des comics : une ambiance pop et colorée attirait l’œil du visiteur à l’Atelier des Rives de la Beauté fin septembre. Deux ans après une première version du projet, le designer Thierry de Baschmakoff relance avec Brigitte Wormser et Jean-Baptiste Roux (qui ont contribué à la renaissance de la maison Atkinsons) la marque J.U.S, développée selon les principes de l’upcycling et de l’open source. Nous les avons rencontrés avec Céline Ellena, parfumeur indépendant qui a signé deux des onze créations de la marque.

Auparfum : Comment est née l’idée de J.U.S ?

Thierry de Baschmakoff : D’un phénomène étrange : il y a une multiplication des marques de niche, et au lieu de tenter de se distinguer, d’essayer des choses différentes, ces marques se formatent et s’uniformisent. Pourtant je pense qu’on prend moins de risques à produire du radical que du traditionnel.
A la tête de mon agence de design Aesthete, je cherchais à introduire dans le parfum les ingrédients d’aujourd’hui qui me plaisaient, comme l’upcycling, l’open source, le collaboratif... Mes clients n’étaient pas forcément emballés, mais en 2016, cette idée a abouti à la première version de J.U.S, qui était un exercice de style d’agence. Puis Brigitte Wormser et Jean-Baptiste Roux, avec qui j’avais travaillé pour la marque Atkinsons, m’ont dit « Lançons la marque J.U.S ! »
Ce que nous proposons est très différent de ce qui se fait ailleurs, décomplexé : nous voulons provoquer l’étonnement. D’où notre nom : « jus » est un mot employé par les parfumeurs, mais il est étonnant, un peu rustique. Nous avons donc décidé de lui donner un twist et de lui ajouter de la poésie en parlant de J.U.S, pour Joyaux Uniques et Sensoriels, ce qui a donné le nom de nos deux collections.

Qu’est-ce qui distingue J.U.S des autres marques ?

Thierry de Baschmakoff : En premier lieu, je crois que ça saute aux yeux, nos flacons et nos packagings. Notre fil rouge, ce sont les années 50 et 60, avec cet esprit wallpaper, l’utilisation des comics dans nos visuels. Suivant la logique de l’upcycling, nous avons réutilisé pour certains de nos flacons des formes existantes trouvées chez un verrier. Ils sont ensuite laqués de couleur vives. Au départ, nous voulions jouer sur le do it yourself, et pour la première version du projet en 2016, les flacons étaient vendus avec un ballon de baudruche pour le recouvrir soi-même. Mais c’était un peu compliqué, et nous avons abandonné l’idée en gardant l’esprit très coloré et l’aspect caoutchouc.
Nous voulons inciter les gens à réutiliser au maximum, et tous nos flacons sont rechargeables. Nous avons tout pensé pour une facilité d’utilisation optimale : pas besoin d’entonnoir pour remplir son flacon avec sa recharge ! Toujours dans cette optique de consommation responsable, nous fabriquons une seule boîte pour toutes les tailles de flacons, qui s’adapte à chacune grâce à un support spécial qui se replie comme un origami. Et nous sommes 100% français de A à Z : même si c’est un peu plus cher, c’est plus simple. C’est tendance d’être local, mais surtout il y a un vrai savoir-faire.

J.U.S se distingue aussi en étant la première marque de parfum open source, ce qui va totalement à l’encontre de ce qui se pratique dans l’industrie. Pourquoi dévoiler les formules de vos parfumeurs ?

Thierry de Baschmakoff : C’est vrai que ça ne se fait pas. Mais ça valorise le travail du parfumeur ! Une fois que vous avez scanné le QR code et que vous voyez la formule écrite, vous vous rendez compte que vous n’êtes pas capable de faire ça. Quand je lui en ai parlé, Céline n’a pas hésité.

Céline Ellena : C’était très étonnant pour un parfumeur. J’étais partante parce que je connais Thierry depuis The Different Company, et que je lui faisais confiance. Il a osé mettre les pieds dans le plat, parler de quelque chose qu’on n’ose pas dire. Mais arrêtons l’hypocrisie : l’industrie cultive le secret, mais tout le monde contretype tout le monde quand quelque chose fonctionne ! Et en effet c’est comme la recette d’un grand cuisinier : même quand on l’a, le plat n’est pas tout à fait pareil. Parce qu’on n’a pas forcément les bons outils, et parce qu’on met quelque chose de soi-même dans la recette. C’est toujours une œuvre de l’esprit, dont l’interprétation appartient à chacun.
Mais accepter de montrer sa formule, ce n’est pas simple pour un parfumeur. C’est comme si je me mettais toute nue. J’ai retrouvé les sensations d’une première rencontre amoureuse, d’un premier rendez-vous. On est excité, mais on appréhende le rejet. Quand j’ai dévoilé mes formules, j’avais peur qu’on ne m’aime pas. On peut se dire « Ok, ce n’est que ça ? »

Comment avez-vous travaillé avec les parfumeurs ?

Brigitte Wormser : Il n’y avait pas de brief pour les enfermer. Nous leur avons simplement expliqué le projet : ils devaient travailler sur leurs émotions, leurs souvenirs olfactifs, et même pourquoi pas nous apporter des accords sur lesquels ils travaillaient depuis longtemps et qu’ils n’avaient jamais montrés. Ils avaient carte blanche, et chacun avec sa personnalité nous a raconté son histoire et apporté ses petits trésors olfactifs.

Céline Ellena : Quand on est parfumeur, c’est généralement très difficile de réussir à proposer quelque chose à une marque et d’être accompagné sans être mis dans des cases. Il y avait déjà les Editions de parfums Frédéric Malle et The Different Company, mais mis à part ces exceptions, le parfumeur est toujours mis en retrait. Pourtant laisser de l’autonomie au parfumeur ne veut pas dire laisser faire quelque chose qui déraille : quand il crée, le parfumeur cherche à plaire.
Être libre pour un parfumeur, c’est l’occasion de travailler son écriture. On voit la personnalité de chacun : il y a des approches par la matière, par les accords, des approches plus globales... Chaque parfumeur va s’exprimer différemment.

Thierry de Baschmakoff : Sur un plan plus technique, nous n’avons pas fait de distinction eau de toilette, eau de parfum etc. Pas de contrainte inutile : nous avons choisi la concentration la plus adaptée à chaque création. Si la diffusion est parfaite à 8%, ce n’est pas la peine de faire du 25% pour entrer dans des cases marketing.

Pouvez-vous nous présenter vos parfums ?

Thierry de Baschmakoff : Il y a onze parfums, cinq parfumeurs (Fabrice Pellegrin, Aurélien Guichard, Alexandra Carlin, Céline Ellena et Aliénor Massenet) et deux collections, les Joyaux Uniques et les Joyaux Sensoriels, les premiers étant plus originaux, plus libres, plus risqués si on veut.

Brigitte Wormser : Dans nos Joyaux Uniques, Cuirissime est un cuir doux, violette, drapé d’iris, d’une grande élégance. Pour Coffeeze, Aurélien Guichard nous a proposé un café torréfié enveloppé d’oud, tout en ampleur et en volume. Fabrice Pellegrin a créé avec Rosamonda une rose très tige, très verte, très sève. Etant lui-même petit-fils de producteur de roses, il s’est inspiré du côté humide de la récolte de la rose à Grasse.
Pour nos Joyaux Sensoriels, il a aussi fait une rose très différente, Sopoudrage : une rose iris veloutée, élégante, à la fois classique et moderne. Gingerlise est un épicé aromatique d’une grande fraîcheur centré sur le gingembre de Madagascar, dans l’esprit d’une cologne forte et puissante, et Noiressence est construit autour d’un accord encre, minéral, comme une pierre volcanique à la fois mate et brillante, inspiré du travail de Pierre Soulages – tous deux par Alexandra Carlin. Sexycrush d’Aliénor Massenet met en valeur un oud qui vient d’Inde, traité en légèreté et en douceur. Aurélien Guichard est redevenu un ado grassois descendant à la plage pour Ambraser, un ambre chaud avec des facettes minérales qui évoque le sable, le sel et la peau, et il a associé cuir et encens pour rendre sensuel ce dernier dans Ultrahot. Et je vais laisser Céline nous parler de ses créations…

Céline Ellena : C’est drôle de voir Springpop dans son flacon, je ne l’aurais pas imaginé en orange vif ! C’est toujours intéressant de voir comment chacun ajoute son chapitre à une création. Le fil rouge que j’ai dévidé, c’était l’histoire de la nationale 7, de la route des vacances. Une forme de joie, de plaisir, le moment où on fait ses bagages... Puis on arrive à Lyon en 2CV, on enlève la capote et on respire l’air de la campagne, et c’est déjà les vacances. Des notes foin, herbacées, comme des bulles d’air de végétaux qui pétillent dans nos têtes, et en même temps un côté cocon, enveloppant.
Quant à Superfusion, c’est un travail sur les muscs, en fusion avec la peau. Il est très vaporeux, cotonneux, clean, mais avec un aspect laser, lumière froide. J’ai introduit différentes textures, du doux, du râpeux, pour éviter le côté monotone. C’est comme si on entrait dans une pièce blanche : tout devient flou, il n’y a plus de relief, les contours s’estompent. Ça fait moins peur que d’être dans une pièce plongée dans le noir, mais il y a tout de même une sorte de flottement irréel…

Les coups de cœur d’Auparfum :
Rosamonda : une rose végétale naturaliste à la tenue ultra-longue durée.
Superfusion : un musc végétal aromatique et poudré, entre foin amandé et herbes anisées.
Cuirissime : un cuir souple inspiré du temps où les gants étaient parfumés avec de la violette à Grasse, doux et rétro.
Ultrahot : un bel encens cuiré boisé habillé de safran, voluptueux et lumineux.

Joyaux Uniques : Parfum remplissable, 230 euros/75ml
Joyaux Sensoriels : Parfum remplissable 180 euros/100ml
Coffret découverte : 30 euros/ 11 x 2ml (30 euros remboursés sur la prochaine commande)

www.jusparfums.com

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Duolog

par Duolog, le 14 juillet 2019 à 22:15

J’ai eu le plaisir de sentir toute la collection au Printemps, guidé par Jean-Baptiste, un des créateurs de la maison, en poste dans le grand magasin durant tout le mois. J’ai fini par retenir deux fragrances : Ultrahot et Cuirissime. Si je devais élargir la sélection, mon tiercé gagnant serait sans doute le même que celui d’Auparfum, car j’ai trouvé Superfusion assez original avec sa lavande fraîche et discrète, mais les muscs m’ennuient toujours un peu. On en trouve souvent en fond chez JUS (et beaucoup d’autres marques bien sûr), mais dans Ultrahot et Cuirissime ils n’ont pas le dernier mot. Cuirissime notamment est assez intéressant, je le place dans la catégorie un peu à part de ces cuirs légers et fleuris dans laquelle je rangerais aussi Daim blond de Lutens et Ombré leather de Tom Ford. Ultrahot est définitivement à recommander pour les amateurs d’encens !

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