Bois d’Iris

J’ai un ami assez marrant. Il a un TOC qui me fait rire à chaque fois (je me garde bien de lui montrer bien évidemment, pour conserver tout le naturel de la situation). Mais avant de vous l’expliquer, il faut que je vous décrive son salon : il habite dans la banlieue plutôt friquée de Paris, au rez-de-chaussée d’un immeuble impersonnel mais moderne, dans une rue ni trop passante ni pas assez. Son appart’ est spacieux, lumineux, moderne, avec tout le "rêve" que renvoient les catalogues Ikéa. Mais surtout, la majorité de sa décoration est faite de bois. Vous savez, ce bois clair et propre qui oscille entre le beige et le brun pour-rappeler-que-c’est-du-bois, et une nuance bien trop pâle pour évoquer le tronc massif et noble que nous vendent les marketeux du parquet.

Le truc avec cet ami, c’est qu’il ne supporte pas de voir un seul grain de poussière sur ce bois. C’est un bon pote, vraiment, mais vous le verriez passer de la décontraction la plus totale à une détresse immédiate... Sa pupille rétrécit, sa nuque se raidit, sa lèvre du haut se fige et le bout de ses doigts commence à trembler. Un peu plus et une pousse de poil subite associée à une transformation en esclave de Belzébuth ne surprendrait personne un soir de pleine lune.

Ce qui l’énerve, c’est le décalage entre la modernité assumée de son mobilier, ce minimalisme confortable et accessible, et la poussière, qui renvoie à des images de vieux fauteuils clubs abandonnés, de lustres imposants mais ternes ou à des tapis décolorés et odorants. Dans sa tête, la rencontre entre son bois et la poussière ne peut pas être envisagée. Et pourtant, Dieu sait si cela peut être beau...

Bois d’Iris en serait l’exemple parfait.

Alors que la parfumerie de niche telle que nous la connaissons aujourd’hui en est à ses balbutiements, Jean-Claude Ellena crée en 2000, pour The Different Company, son premier parfum. Construit autour de l’iris (dont le parfum est joyeusement gavé), le parfumeur a réalisé un paradoxe temporel, qui effraierait mon ami, en apposant à la matière poudreuse et « vieillotte », un cèdre limpide et très moderne. A la surface propre et nette d’un parquet contemporain recouvert d’un amas de poudre impalpable, est associée une odeur de carotte fraîchement râpée (on sentirait presque encore le mordant du métal de l’éplucheur). Un peu plus et on serait même capable de retrouver quelques restes de crayon à papier échappés d’un taille-crayon. Et, exploit notable, Bois d’Iris n’est jamais trop sec ni suffocant, il possède une souplesse qui souligne la finesse du trait du parfumeur.

L’équation pouvait sembler difficile à équilibrer et pourtant le résultat est là : Bois d’Iris possède à la fois le charme rétro de l’iris et l’ossature distinguée du cèdre, tout en évoquant la douceur d’un parquet à peine chauffé. De quoi soigner le TOC de mon ami, et avec distinction s’il vous plait.