Aristia, la collection épique de Lubin
Lubin
par Samuel Douillet, le 11 août 2020
Homère, dans l’Iliade, nomme « aristia » les qualités exceptionnelles du combattant héroïque. Avec cette collection, la maison Lubin tente d’encapsuler la quintessence de plusieurs de ces personnages courageux à travers l’Histoire et les civilisations. Un foisonnement de matières pour traduire autant de bravoure, une superposition d’odeurs car à la guerre les sens sont sollicités de toutes parts.
Gilles Thévenin, propriétaire et directeur artistique de la marque, s’est entouré des deux parfumeurs habitués de la maison : Thomas Fontaine et Delphine Thierry.
Condottiere
Parfumeur : Delphine Thierry
Matières : iris, mûre, cuir
Inspiré par ces célèbres combattants italiens de la Renaissance, un noble iris florentin est introduit par un duo de citron et de bergamote.
Le poudré de la fleur italienne, ou plutôt de sa racine, puisque c’est du rhizome qu’on en tire son parfum, se déploie dans toute sa distinction, non sans sa garde rapprochée de fruits rouges. Car qui dit poudré dit aussi violette, avec qui la framboise partage les aspects fruités et juteux. Pendant un temps assez proche de Misia (Chanel), le fil odorant de Condottiere se déroule ensuite en un cuir souple, bercé par la tendresse d’un Cashmeran qui ne se dévoile que timidement.
Selon moi le plus joli de la gamme, exécuté tout en finesse.
Sarmate
Parfumeur : Delphine Thierry
Matières : cèdre, cuir, oud
Les Sarmates formaient un peuple de cavaliers nomades d’Asie centrale, qui offrirent leurs services de combattants aguerris à l’Empire romain aux IIe et IIIe siècle. Le parfum du même nom met l’accent sur la robustesse de ces soldats d’élite cuirassés dont la simple vue terrorisait les adversaires.
L’ouverture voit muscade et safran s’empoigner dans une joute musclée aux accents de cumin, évoquant le corps se mouvant sous d’épais équipements guerriers. Bien vite, un massif cèdre Atlas se jette dans la mêlée, imposant son empreinte cuirée et résineuse. La myrrhe et ses facettes médicinales lui répond alors en écho, et ils mènent ensemble le cœur du parfum vers une carapace composée d’oud et de lanières de cuir, projetant ça et là quelques similarités avec Cuirs de Carner Barcelona.
Un oud vigoureux et très masculin, pas si caricatural que son inspiration ne le laisse supposer.
Daïmo
Parfumeur : Thomas Fontaine
Matières : violette, pêche, cuir
Nommé d’après un lancement de Lubin datant du début des années 1950, Daïmo a pourtant vu sa direction olfactive prendre un autre tournant, la formule originale ne répondant plus aux normes actuelles de l’IFRA. Pour figurer le daimyo, noble personnage japonais issu de la classe militaire vers le XVe siècle, Thomas Fontaine a choisi de développer une trame dont les moments forts sont dictés par la pêche, la feuille de violette et le cuir. Daïmo entre ainsi en matière dans un tourbillon épicé et âcre, dominé par le vert de la feuille et le clou de girofle. Le ton est bientôt adouci par une pêche lactonique et veloutée, invitée surprise qui évite au parfum d’évoquer trop fortement un Fahrenheit orientalisant. Car c’est bien une atmosphère de cuir qui prend la relève, dessinée par sa matière la plus radicale, l’isobutylquinoline (IBQ), qui nous rappelle au bon souvenir des cuirs verts d’après-guerre. Enfin, notre samouraï prend son repos de guerrier dans un fond boisé ambré voire chypré, peut-être rêvant l’amour impossible entre un Mitsouko et un Bandit.
À tester pour ceux qui ne se retrouvent pas dans les cuirs très modernes.
Galaor
Parfumeur : Thomas Fontaine
Matières : myrrhe, cannelle, baume du Pérou
Galaor est le frère d’Amadis de Gaule, héros d’un récit chevaleresque espagnol, paru au XVIe siècle, mais dont l’intrigue se déroule au Moyen-Âge entre les royaumes de France et de Bretagne.
Les palais qu’il visite sont apparemment riches en gourmandises, comme nous le raconte cette overdose de cannelle et de rose, qui balaie sans autre forme de procès les fugaces notes de tête hespéridées. La myrrhe, le vétiver et surtout le baume du Pérou structurent une massive friandise à l’effet coumariné me chuchotant Body Kouros à l’oreille, voire les fougères orientales des années 1990, Le Mâle en tête. Douceur à la texture à peine râpeuse et non dénuée d’aspérités, Galaor porte toutefois une signature plutôt féminine, digne de sa bien-aimée Briolanie.
Sinbad
Parfumeur : Thomas Fontaine
Matières : rose, benjoin, ambre
Avec Sinbad, on s’éloigne un peu du personnage purement guerrier, et on se laisse bercer par les contes de ce jeune aventurier de Bagdad dont les péripéties prennent place à la fin du VIIIe siècle.
Une mandarine s’élève puis immédiatement éclate dans une explosion de poivre, laissant apparaître une rose charnue et imposante. Les facettes « fruits rouges » de la reine des fleurs, couplées à la cannelle et à une touche d’encens, ne laissent que peu de doutes quant à l’interprétation « loukoumesque » de ces couleurs. Le duo de rose et de cannelle glisse un petit clin d’oeil à Galaor, qu’on pourrait presque qualifier de pendant européen. Enfin, quelques larmes de benjoin vanillé viennent cueillir les pétales de cette rose ronde et généreuse pour les déposer sur un lit de santal et d’ambre gris.
Une très belle rose orientale, qui nous mène rondement par le bout du nez.
Gajah Mada
Parfumeur : Delphine Thierry
Matières : frangipanier, coing, patchouli
Peut-être le moins délicat de la collection, Gajah Mada livre son nom et son parfum à la mémoire de ce chef de guerre javanais du XIVe siècle.
Pour figurer de manière opulente les offrandes déposées aux pieds des divinités avant de partir au combat, les fruits jaunes, rouges et bruns se succèdent. Orange, coing, datte, et prune se serrent et macèrent ensemble, envoûtés par les facettes lactoniques et solaires d’une fleur de frangipanier. Matière phare de l’Indonésie, le patchouli légitime le récit javanais et donne une dimension boisée et plus sombre à ce cocktail coloré et pas excessivement gourmand, même s’il frôle un peu trop à mon goût le terrain du « patchou-fruit », la griffe féminine des années 2000.
Extraits de parfum, 250 euros/100ml
La collection Aristia est disponible dans une sélection restreinte de points de vente, une centaine dans le monde. Nous vous suggérons de la découvrir notamment dans la boutique phare de la maison, au 21, rue des Canettes, Paris 6ème.
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par Garance, le 13 août 2020 à 17:31
De cette collection, je ne connais que Condottiere et Gajah Mada.
Condottiere est très joli, très raffiné, on sent bien le cuir, puis celui-ci se fond avec l’iris, il se poudre, et c’est au bout de quelques minutes à Traversée du Bosphore qu’il me fait songer, avec ce mélange de cuir et de notes cosmétiques, un gant en daim parfumé à la violette. Il est toutefois moins gourmand que le regretté Traversée du Bosphore. Je lui reproche par ailleurs un manque de tenue, il s’évanouit trop rapidement, au bout d’une heure je ne le sens plus vraiment.
Je vous trouve un peu dure avec Gajah Mada ! Le départ est il est vrai très sucré, les fruits sont un peu sirupeux, mais le patchouli est vraiment très beau, il me rappelle par son côté confortable et moelleux le beau Coromandel dans sa version eau de toilette.
En tout cas, votre description me donne très envie d’essayer Sinbad qui pourrait tout à fait me plaire.
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Porté hier :
"Sarmate" de Lubin, collection aristia (échantillon de chez Jovoy)
Plus intéressant sur le tissu que la peau, où il développe des facettes alcoolisées très bien ajustées -cognac, whisky, la myrrhe et la muscade ?-, portées et ravivées pendant 2 à 3 heures par des notes vertes un peu genépi -l’angélique, le davana ?-.
Le fond est baumé et balsamique de différentes manières : de résines, de notes boisées sèches (dont du fir basalm ?), et d’ambre presque amandé et lacté -dattes-. Le tout est sans surdose de vanille, une signature très Lubin et très Delphine Thierry, qui retire le défaut du fond monocorde, qui affecte la majorité des ambrés standards.
Ce n’est pas mon registre préféré, que ces parfums évoquant les spiritueux, mais il me plaît bien ! C’est un sans faute. Au début, je lui reprochais son abstraction et son manque agressivité. Mais je pense que c’est le propre de cette création que d’évoquer l’exploration et le dépaysement.
Il me fait penser d’autre parfums inspirés de liqueurs, comme ceux de Frapin, ou les autres Lubin de la gamme talismania. Sarmate se singularise très bien cependant. Il y a aussi "Fables d’orient", dans la gamme récente couteuse de L’artisan parfumeur, nettement plus marquée par une facette pâte d’amande et un peu irisé (et je pense aussi sentir du fir basalm). Un petit tour sur basenotes montre les notes en commun : nutmeg iris amber musk frankincense myrrh.
Mes préférés sont : Sinbad > Condottiere > ... Sarmate > ... et je n’ai pas fini de tester correctement les autres.
Sinbad peut rappeler l’EDP vintage d’Opium (celle qui a existé jusqu’à début des années 2000), mais en fait Sarmate aussi. Opium edp -ex secret de parfum- avait un équilibre hyper tendu, entre l’acidité d’une rose rouge, amplifiée par les extraits d’oranger et les épices giroflés pimentés, (donc plutôt Sinbad, bien qu’il ait des facette de citronnier),
et le fond renforcé à la myrrhe rouge de l’EDP d’opium (donc plutôt Sarmate : mais Sarmate a plus de datte, de lacté, et de cuir, et pas de patchouli notable).
Ca me rappelle les tableaux de Gustave Moreau, par le bon équilibre entre l’onirisme (dans le surréaliste) et d’orientalisme (pour le thème et des encens plurimillénaires). A l’odeur, on glisse progressivement dans le Cantique des cantiques :
"je récolte ma myrrhe et mon baume,
je mange mon miel et mon rayon,
je bois mon vin et mon lait."
https://www.youtube.com/watch?v=jI1p4lC0ATw
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