Auparfum

Tate Sensorium : exposition synesthésique à Londres

par Clara Muller, le 14 août 2015

Art et odorat, le binôme fonctionne décidément bien ! De plus en plus de projets artistiques et d’expositions exploitent les odeurs, soit comme sujet, soit en tant que médium ou encore en complément d’oeuvres existantes.

Du 26 août au 20 septembre, la Tate Britain de Londres proposera une exposition synesthésique baptisée « Tate Sensorium ». Cette expérience immersive invitera le visiteur à utiliser l’ensemble de ses sens pour aborder quatre oeuvres sélectionnées parmi la collection d’art moderne britannique de la Tate Britain. Chaque oeuvre sera ainsi associée à un ou plusieurs autres types de stimuli : olfactif, gustatif, auditif ou encore tactile.

Le projet « Tate Sensorium » a remporté le IK Prize 2015, lui donnant la possibilité d’être concrétisé par la Tate Britain. Ce prix récompense en effet chaque année un projet proposant une idée innovante pour l’usage des nouvelles technologies dans les musées d’art. A l’origine du projet récompensé cette année, Tim Partridge, Tom Pursey et Peter Law, membres de l’agence créative Flying Object.

Leur idée est d’aborder les oeuvres d’art non seulement par la vue mais également par tous les autres sens, ce qui permettrait entre autre de stimuler la mémoire et l’imagination. « Nous voulons employer les sens de manière à pousser les gens à considérer l’art de façons différentes et plus intenses, explique Tom Pursey. Notre plus gros challenge est de nous assurer que nous n’interférons pas avec les oeuvres d’art. Nous pourrions facilement construire une vaste expérience théâtrale assez époustouflante pour scotcher les gens brièvement, mais ce n’est pas le but. Le but est de connecter les gens avec l’art. » Il s’agit donc d’une expérience muséographique explorant de nouvelles possibilités d’aborder les oeuvres dans le contexte du musée.

Pour la réalisation de ce projet, Flying Object a fait appel à plusieurs experts dont le maître chocolatier Paul A Young, le sound designer Nick Ryan ou encore la spécialiste des odeurs Odette Toilette qui a travaillé en partenariat avec IFF pour recréer des odeurs à partir de captures headspace et d’analyses chromatographiques.

Les visiteurs pourront être munis d’un appareil à porter au poignet mesurant l’activité électrodermale et donc analysant leurs réponses neurologiques et émotionnelles lorsque confrontés à cette stimulation polysensorielle. Les données ainsi collectées anonymement seront utilisées par une équipe de scientifiques de l’Université de Sussex dont les recherches portent sur les interactions sensorielles.

Les oeuvres choisies pour le projet jouent toutes plus ou moins avec l’abstraction : sujet, formes, couleurs, style...

In The Hold de David Bomberg (1913-14) :

Cette oeuvre de David Bomberg s’inspire d’un sujet concret, des hommes travaillant à décharger le contenu de la cale d’un bateau, mais choisit de représenter la scène de manière disloquée et kaléidoscopique, presque abstraite. Cette oeuvre témoigne de la recherche de l’artiste d’un langage purement visuel avec lequel il pourrait exprimer ses perceptions de l’environnement urbain moderne. Le choix de ce tableau au sein de « Tate Sensorium » me parait particulièrement intéressant puisque le projet va ajouter des dimensions sensorielles à l’oeuvre, procédant ainsi à une sorte de décomposition analytique de l’oeuvre en faisant le chemin inverse de celui de l’artiste dont l’ambition était de concentrer toutes ses perceptions dans la seule représentation visuelle. En effet, un parfum et un paysage sonore en révéleront la partie figurative en reconstituant l’ambiance sonore et olfactive d’un chantier naval.

Figure in a landscape de Francis Bacon (1945) :

« Francis Bacon est un artiste incroyablement expressif et sensuel. Son travail était parfait pour ce type de projet » estime M. Guillan, en charge du IK Prize. Gilles Deleuze allait également dans ce sens lorsque, dans son essai Francis Bacon, Logique de la Sensation, il utilisait le terme « haptique » pour expliquer la faculté du peintre à susciter une impression presque tactile par ses représentations visuelles. Dans ce tableau semi-abstrait on peut distinguer la silhouette d’un homme assis sur une chaise, probablement dans Hyde Park, pourtant la superposition des couches de peinture, les teintes sombres et le fouillis de l’arrière-plan détruisent une partie de la figuration. Cette oeuvre est un exemple du mélange récurrent chez Bacon entre l’agression et la réalité quotidienne. Dans le cadre du projet cette oeuvre sera accompagnée d’une odeur, d‘un goût et d’un son. Le maître chocolatier Paul A Young a notamment créé un chocolat qui n’a pas vraiment le goût ni la texture du chocolat bien qu’il soit reconnaissable comme tel, comme une façon d’évoquer la multitude d’interprétations possibles du tableau.

Full Stop de John Latham (1961) :

La tache noire de cette oeuvre monumentale (plus de 2 mètres sur 3) a été créée par gestes répétés avec une bombe de peinture. Le disque noir de Full Stop, qui s’élargit progressivement jusqu’à ce que l’artiste s’arrête, incarne l’idée de l’émergence de la matière au sein d’un espace vierge, concept important dans l’oeuvre de Latham. La toile sera accompagnée d’un paysage sonore et d’un dispositif haptique qui permettra au visiteur de « toucher » la forme en passant la main au dessus d’une sorte d’enceinte à ultrasons. Conçu par la société Ultrahaptics ce dispositif diffuse des ultrasons arrangés selon une forme similaire à celle du tableau. Le mouvement de ces ondes provoque une sensation tactile lorsque l’on passe la main au travers.

Interior II de Richard Hamilton (1964) :

Ce collage a été inspiré par une photographie tirée du film Shockproof de Douglas Sirk (1949). Hamilton avait été frappé par la composition de l’espace représenté : « Tout dans la photo convergeait vers une fille portant un manteau ‘new look’ et qui regardait légèrement à droite de la caméra. Un objectif grand-angle doit avoir été utilisé parce que la perspective semblait distordue ». L’intérieur moderne de Interior II reproduit cet effet et intègre une photographie de l’actrice du film, Patricia Knight. Pour accompagner ce tableau un parfum évoquant ceux des années 1940 a donc été créé.

 

 

Tate Sensorium
Du 26 août au 20 septembre
Tate Britain’s Millbank Entrance
Londres
Entrée libre sous réserve des places disponibles

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billieH

par billieH, le 17 août 2015 à 16:52

Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler de synesthésie me concernant mais j’aime les parfums paysages, qui stimulent mon imagination et m’évoquent des atmosphères, des ambiances voire des scènes de cinéma. Après je sais que je suis aussi influencée par le nom du parfum : Jeux de Peau me fait voir deux amants dans un lit dans une atmosphère décadente, odeurs de sueur après le sexe.
Parfois je vois des couleurs en sentant un parfum : Samsara du violet, Carnal Flower du vert et de l’orange, Mitsouko une blancheur d’albâtre, Vol de Nuit un jaune vif (association avec la jonquille peut-être ?, Après l’ondée un mauve pâle teinté bleu. Certains parfums ne me renvoient à aucune couleur par contre, cela ne marche pas à tous les coups. Petite j’associais aussi des couleurs aux mots mais plus maintenant.

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Jicky

par Jicky, le 15 août 2015 à 12:47

Qui fait de la synesthésie avec son odorat ici ?

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par Anna, le 15 août 2015 à 16:52

Si ce que tu veux dire est d’associer aux odeurs les couleurs, des formes et des textures, presque tous, probablement.
Avant que je commence papoter avec vous, je pensais que presque tout le monde le fessait.
Les associer, par contre au sons, emplacements au au mouvement, doit être plus rare.
Par contre je parlais rarement de alignement, l’emplacement et la couleur des chiffres, ma sœur m’a regardé d’une drôle de manière quand j’ai essayé lui expliquer.

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par ghost7sam, le 16 août 2015 à 00:03

Pour moi, synesthésie entre odeurs et couleurs, et odeurs et musique. Pas de manière systématique, et pas de manière très poussée.
ça reste spontané et non forcé
— -
peace

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par eckbo, le 16 août 2015 à 08:48

Vous voulez dire qui est synesthète olfactif Jicky ?
Alors, je le suis sans doute inconsciemment comme ma majorité de la population...

Bonne journée !

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par mara, le 17 août 2015 à 16:20

Bonjour Jicky,

le terme "synesthésie" me renvoie immédiatement à Baudelaire et à Rimbaud.

Baudelaire dans CORRESPONDANCES exprime un lien entre les odeurs, les couleurs et les sons : "les parfums, les couleurs et les sons se répondent
Dans une ténébreuse et profonde unité."
Rimbaud dans VOYELLES relie les voyelles aux sons :
"A noir, E blanc, I rouge,U vert, O bleu..."
Personnellement je ne pratique pas la synesthésie comme ces deux poètes.

Les odeurs ne m’inspirent aucune couleur ni aucun son. Un parfum n’engendre pas chez moi de scénarios visuels m’engageant dans une description riche de détails, comme savent si bien le faire certains sur ce site.

Par contre les odeurs/parfums génèrent au plus profond de mon être des sensations, des émotions au pouvoir indéniable sur mon humeur du moment. Idem pou la musique, dont je dis toujours qu’elle détient un pouvoir sur moi quasi identique à celui de trois verres de vin. Dangereuses musiques... Il y en a qui... Dangereux parfums... Il y en a qui...

Pour revenir au phénomène de la synesthésie, c’est à dire la correspondance entre deux (ou plus) canaux sensoriels, je pense me comporter comme tout le monde. Nous avons presque tous la faculté plus ou moins aiguë de relier l’odorat et le goût. Je hume un vin et voilà déjà la sensation de l’avoir presque en bouche. Une espèce d’avant goût en somme.

Inconsciemment ou non nous le faisons tous mais à des degré divers selon l’acuité de nos perceptions.

Mon nez me sert souvent à la préparation de certains mets salé ou sucrés. Avant de goûter, je hume tout, histoire d’avoir les avant-goûts propres à m’acheminer vers une recette créative. Et c’est ainsi que d’avant-goûts en avant-goûts procédant de mon sens de l’olfaction, s’élaborent mes recettes personnelles. Pas besoin de tout goûter chaque fois. Bien évidemment cela concerne les ingrédients odorants, pas le sel ou le sucre qui ne sont pas suffisamment odorants.

l

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