Auparfum

les parfums "amour impossible"

16 septembre 2013, 00:20, par Jicky

Cool ! Cette discussion tombe à pic. C’est bizarre qu’on n’ai pas parlé de ça avant, c’est pourtant une réflexion qui revient très souvent. C’est qu’à travers cette question plutôt empirique "je porterais/porterais pas" découle de nombreuses questions plus générales et dont certains éléments de réponses sont plutôt intéressants à souligner (et qui rejoint la question du "pourquoi se parfume t-on ?" en partie)

 

En effet, l’intitulé même de la discussion souligne déjà le truc : le côté objectif du parfum. Genre "je sais que ce parfum est bien. Même que je l’apprécie ! Mais... Mais je sais pas, sur moi ça va pas : j’ai pas envie de le porter ou quand je le porte je ne me sens pas bien dedans". Il y a déjà quelque chose d’intéressant : c’est l’aspect "je considère le parfum comme objet de réflexion". Le mot "réflexion" est important. En effet, il montre le côté à la fois intellectuel du parfum, artistique, esthétique, social et culturel qui dépasse le simple produit de consommation ou la simple curiosité scientifique. Et aussi - mais j’y reviendrai plus en détail après - "réflexion" dans le sens optique du terme : un reflet de celui qui le porte. Et ce point est selon moi très important dans la question des parfums "amour impossible" !

 

Avant de partir dans des considérations plus théoriques, je vais d’abord parler pour moi : en fait, plus que certains parfums que j’aime sur les autres, il y a surtout quelques parfums que je n’aime QUE SUR MOI. Je ne suis pas le seul dans ce cas, combien de fois on peut voir des personnes sur auparfum clamant qu’elles en ont marre de sentir comme tout le monde ? Ensuite, il y a certains parfums que j’aime plus que d’autres sur moi, notamment dans les familles (les familles de prédilection selon les personnes : tambourine qui préfère de loin les orientaux ou les ambrés, Opium qui se pâme devant les gros gifoutous des années 80-90, le pauvre Newyorker qui a des vapeurs en sentant du Caron et le pitoyable Jicky qui se frappe la tête contre le mur en se plaquant les mains sur les oreilles quand il sent une trace d’iris et de verdure). Et bizarrement, ces parfums qu’on aime mais qui nous insupportent sur nous. Les parfums amours impossibles.

Bizarrement, comme ça, tout de suite, j’en vois pas vraiment en fait dans mon cas. Il y a bien quelques parfums familiaux (genre le parfum de Papa ou de Maman, j’adore mais je ne porterais pas car trop ancré dans le quotidien familial). Puis quelques monuments classiques effectivement, qu’on ne peut pas vraiment ne pas aimer mais qu’on ne porterait pas vraiment. Shalimar de Mado et Tambourine, Égoïste pour Lucadries, ... Pour moi disons que le classique que j’adore et qui représente beaucoup pour moi mais que je n’apprécie pas vraiment porter ce serait L’Heure Bleue. Mais je suis sûr qu’il y en a d’autres.

 

Et je pense qu’il y a un autre cas de figure. Je l’ai déjà lu plusieurs fois et j’en ai dejà parlé avec quelques perfumistas. Ce n’est pas du tout un phénomène qui me touche moi personnellement mais je sais que certains préfèrent des parfums sur les autres pour leur dimension "je suis amoureux du parfum donc je veux que ce parfum soit porté par la personne dont je suis amoureux". Je pense que c’est aussi un aspect intéressant de la question des parfums amours impossibles. Et par extension, moi perso jamais - au grand jamais - je touche une fille qui porte La Bile est Verte. (Mon dieu, vision d’horreur : l’humanité a déserté la Terre, seuls restent moi et une fille qui a été trempée dans du concentré de La Bile est Verte... Comptez vraiment mais alors vraiment pas sur moi pour tenter quoi que ce soit pour relancer l’humanité, désolé les gars).

 

La question qu’on peut se poser sur ces parfums amours impossibles c’est tout simplement "pourquoi ?". C’est que là la subjectivité n’intervient même pas vraiment : on aime le parfum en question. C’est pas comme si c’était un parfum qu’on aimait pas. Perso, impossible pour moi de porter un gros labdanum qui tâche, mais c’est parce que c’est pas du tout ma famille de prédilection. Mais par exemple, pourquoi est ce que Tambourine elle arrive pas à porter Shalimar alors que sur le papier c’est clairement son truc et qu’elle l’aime bien comme ça ??

 

Eh bien, premier élément de réponse : la simple alchimie entre le parfum et la peau. Ça parait tout con, c’est le truc que tout le monde sait, mais les parfums varient selon les peaux. Et selon, le parfum se développera différemment selon les personnes, avec des facettes qui ressortent, d’autres qui s’eteignent, parfois même des ossatures de parfum qui se brisent ou des projections qui s’effondrent. C’est assez impressionnant de voir comment certains bulldozers s’épanouissent sur des gens et s’éteignent sur d’autres. Donc forcément un premier "j’aime sur les autres mais sur moi ça vaut pas le coup".

 

Un deuxième élément de réponse qui en découle : l’expérience déceptive. On entend parler d’un parfum en bien, on va le tester et ok sur nous ça ne se patatraffe pas mais bon... C’était pas ce qu’on s’était imaginer. Pour moi, ce n’est pas un problème ça, mais je pense que pour certains ça l’est : on imaginait quelque chose, plus ou moins précisément d’ailleurs, et le résultat est différent, on est déçu. Mais je pense que ce n’est pas un problème. Il faut dépasser cette déception : relire les avis qui nous avaient emballés et essayer de comprendre et de mettre en lien le parfum avec ce qu’on en dit, même si on ne comprend pas la démarche de la personne. C’est assez schizophrène comme manière de voir le truc, mais si on y arrive, c’est une grande avancée dans la compréhension du parfum. Sinon, il faut essayer de comprendre, dans le cas des parfums qui en valent le coup, le pourquoi du comment du parfumeur. On peut y arriver en analysant techniquement le parfum (l’utilisation des matières premières, le fondu, l’évolution, etc) mais aussi en essayant de voir les liens plus "artistiques" de l’objet : l’insérer dans une famille olfactive, faire des liens avec d’autres parfums plus ou moins éloignés de lui (toujours se poser la question "et si ce parfum était la réécriture d’un grand classique, lequel serait-ce ?"), voire avec des œuvres qui n’ont rien à voir avec le parfum (film, livre, musique, tableau, sport, etc).

 

Et troisième élément de réponse, le primordial selon moi, quand on met de côté l’évidence du premier élément de réponse et le faux problème du deuxième : l’identification. Et là je vais reprendre ce que je disais au début, c’est la réflexion : certains parfums renvoient une partie de nous qui nous semble tellement juste qu’on se dit "Wahou ! c’est moi !!". Et c’est ce genre de parfum que personnellement je déteste sentir sur les autres. Typiquement, je suis vraiment vraiment hors de moi intérieurement quand je sens quelqu’un qui porte Iris Silver Mist, Dans Tes Bras, Vol de Nuit ou l’Eau de Narcisse Bleu. Je ne sais pas si ça vous ai déjà arrivé, mais c’est comme quand on voit une personne qui nous ressemble beaucoup. Bizarrement, t’es envie de la détester la personne au premier abord (ça m’est arrivé une fois dans le bus, j’étais avec un ami et il me fait "putain regarde le mec là bas on dirait toi" et je lui ai lâché dans un phrasé dédaigneux de mauvaise foi "pffff n’importe quoi pas du tout", je méritais des baffes). C’est que le processus d’identification est si fort avec ce parfum, on a vécu tellement de choses avec lui ou il dit tellement de choses sur nous que t’as l’impression que l’autre il a pris ton journal intime et il a commencé à chanter son contenu sur un air de Mireille Mathieu.

 

L’inverse, le cas du parfum amours impossibles, c’est bizarrement le contraire, d’où mon petit "hors sujet". Ça peut être un parfum qui n’est "pas moi", mais que je sais apprécier parce que je cherche les points qui me parlent. Mais ils n’accrochent pas à moi. Alors j’ai besoin de l’autre pour apprécier pleinement le parfum. Ça peut aussi arriver avec certains classiques qu’on apprécie moins : on prend tellement de distance avec soi même pour apprécier le parfum qu’on finit par perdre le nord entre le parfum et "moi". Et de partir sur le débat du "Je est un autre". (Mais je vais arrêter là parce que sinon je vais partir en couille ^^)

 

Bien évidemment, je pense qu’il y a d’autres éléments de réponse. Je pense que cette discussion va être vraiment intéressante et enrichissante. Je reste persuadé que le processus d’identification existe en parfumerie et est vraiment moteur pour beaucoup de choses dans ce monde là, plein d’appréhensions différentes, de sensibilités plus ou moins fortes, dans ce monde de goûts et de couleurs.

En attendant : vive l’odorat ;)

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