Auparfum

Parfums masculins : changement d’axe

Le Nez Bavard

par Le Nez Bavard, le 7 octobre 2013

Re-bonjour Tubéreuse,
Je pense que vous soulevez là un point essentiel. La discussion est en effet très compliquée et engage énormément d’acteurs... S’il m’est permis de donner mon avis, il me semble que plusieurs point gênent la création d’un réel droit d’auteur et de propriété intellectuelle :
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- Tout d’abord, à l’inverse de la musique ou de la peinture, la parfumerie, à notre grand malheur à tous, n’est pas reconnu comme un art à part entière. Plusieurs décisions de justice par le passé (dans le cas de procès sur le plagiat justement, vous retrouverez ici un article du Monde à ce sujet : http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/15/a-qui-appartiennent-les-parfums_1719134_3224.html), ont laissé entendre que "la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire" ne peut se réclamer du droit d’auteur. La création de parfum n’est pas réellement reconnue comme une œuvre de l’esprit. Et pourtant, et pourtant, nombre de parfumeurs expérimentés nous disent que créer, cela se passe dans la tête (Edmond Roudnitska le premier). On a le plus souvent l’odeur dans la tête avant de la mettre en flacon. La difficulté du travail vient du fait qu’entre l’odeur qu’on a dans la tête, et celle que l’on arrive à faire sortir sur le papier il y a souvent une différence ! Et seuls l’apprentissage, l’expérience et la pratique permettent d’obtenir des résultats plus concluants d’années en années.
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- Ensuite, les professionnels n’ont malheureusement pas tous la même vision sur le sujet. Certains vous dirons qu’être parfumeur, c’est être un artisan. D’autres défendent réellement l’idée qu’il s’agit d’un art. Si les parfumeurs eux-mêmes ne sont pas tous convaincus de la même chose, il est forcément difficile de faire entendre le bon son de cloche ! Ici, je pense que c’est le regard porté sur l’odorat (un sens pour le moins grossier et instinctif dit-on) et sur les parfums (une futilité, une coquetterie tout au plus il paraît) qui dessert l’entreprise dans son ensemble. Bien entendu, les choses évoluent. Des livres sortent, pour réhabiliter l’odorat (Philosophie de l’Odorat, Catherine Bouvet), des sites se créent (^^), et des événements jalonnent le long parcours qui reste à la parfumerie pour se faire accepter et comprendre comme une discipline artistique : on peut noter ici, la distinction reçue par certains de nos plus grands parfumeurs contemporains, adoubés Chevaliers des Arts et des Lettres, ou encore le Cercle des Parfumeurs, formé il y a peu à la SFP et dont l’action vise à mieux encadrer la formation de parfumeur et à protéger ce métier.
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- En définitive, l’art du parfum est un art trop jeune. Le fait de créer et d’utiliser des parfums existe depuis l’Antiquité, mais l’art de la création n’est finalement réellement arrivé qu’avec les découvertes de la chimie organique, qui ont vu apparaître les isolats dans un premier temps, puis les molécules de synthèses. L’abstraction alors autorisée par ces produits à donc permis à la création de décoller, de devenir plus "intellectuelle", plus "artistique" donc... C’est une réalité, et j’en suis convaincue, comme nous tous ici. Mais depuis combien de temps est-ce possible ? Seulement la fin du XIXe... Là où la musique, la peinture, la sculpture étaient déjà des arts depuis plusieurs siècles...
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- Nous pourrions aussi parler de la structure de l’industrie, qui n’est peut-être pas adaptée à la création des droits d’auteurs pour les parfumeurs, qui ne sont pas indépendants mais bien des salariés dans les sociétés de création... Nous pourrions aussi poser la question de la paternité d’une idée, lorsque l’on sait à quel point le travail des évaluateurs et des évaluatrices est important surtout dans le cadre de briefs clients bien précis, et où leur travail est bien de suggérer, de proposer, d’inventer et de trouver de nouvelles idées (ou pas... certes ;) ) Enfin, la liste serait longue.
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Alors, tous ces obstacles peuvent sembler bien insurmontables, car nous ne sommes que de petites choses à côté de toute cette industrie et des enjeux financiers qui pèsent sur elle. Mais je crois tout de même que nous avons pris le bon chemin. Et comme le disait Jeanne justement il y a peu dans le même fil de discussion, l’entretien du débat sur des espaces libres comme les blogs ou les forums permet de mettre la lumière sur ce qui ne va pas, de soulever les bonnes questions, d’encourager des choix personnels et réfléchis, de se libérer des "diktats" du marketing (La Vie est Belle, CECI EST POUR TOI !!). Ont nous dit souvent dans l’industrie que c’est parce que les consommateurs demandent des fruits et du sucre que les maisons de créations créent ce genre de parfums (Un jour que je disais à une parfumeure qu’on pourrait ptèt essayer de proposer autre chose pour que les consommateurs changent un peu de schéma, elle m’a répondu qu’on ne savait pas qui de la poule ou de l’œuf avait commencé, et qu’on ne pouvait faire rien d’autre que de continuer)... Donc, il faut que les consommateurs expriment d’autres désirs, et fasse comprendre avec leurs portefeuilles (puisque c’est du business) ce qu’ils souhaitent.
Le changement ne viendra pas de l’intérieur. C’est une certitude. Il faut donc partir de l’extérieur et pousser le plus loin possible les discours que les passionnés de parfums tiennent. Rechercher la diversité, l’ouverture d’esprit, les autres voies possibles. Des attitudes, en somme, qui sont valables pour bien des domaines.
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La parfumerie est jeune, certes, et nous ne seront peut-être plus là lorsqu’elle aura vraiment acquis ses lettres de noblesse. Qu’à cela ne tienne ! Rien ne nous empêche d’avancer de là où nous sommes, on tient le bon bout ! ;)

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