Sahara Noir
par Opium, le 8 décembre 2013
Salut PoivreBleu/Juliette.
Tom Ford est, clairement, par nombre d’aspects, une vraie tête à claques. Parfois vulgaire, d’un machisme dans son imagerie de la séduction souvent déplacé, qui pratique une politique tarifaire aussi indécente que son imagerie... En plus, s’il lance des produits très souvent beaux, il les discontinue aussi vite que ses parfums sortent par fournées entières. Résultat des courses : les parfums osés et risqués étant ceux qui ont le plus de difficultés à trouver leur public, ce sont ceux qui sont le plus rapidement court-circuités, à notre grand désespoir. Les muscs sortis par quatre ; Amber Absolute, "l’ambre absolu" qui te fai(sai)t craquer ; Arabian Wood qui exploitait/e dans son intitulé un orientalisme pour plaire au Moyen-Orient et aux occidentaux en mal de dépaysement mais qui sent(ait) les années 70 et leurs chypres verts gavés de galbanum à la Private Collection d’Estée Lauder (M. Ford utilisant souvent à bon escient et intelligemment les références de Mme Lauder dont le groupe détient la marque du premier, donc, tout est assez logique) ; mais aussi Japon Noir et ses notes chyprées boisées cuirées obscures et tourbées et surtout Velvet Gardenia, LE seul gardénia crédible et sans concession en parfumerie alcoolique pour le corps à ce jour (et ses notes à la touffeur champignonnée). Dommage. Mais, je ne suis pas surpris...
Le positionnement premium destiné au Moyen-Orient a les défauts d’imposer un style doré à fracturer la rétine et des prix exorbitants.
Heureusement, à côté de cela, il y a un effet collatéral positif dans le cas du oud : en sus de séduire cette clientèle qui, même si l’on lit souvent qu’elle se lasse de cette matière, ce qui est faux selon mon expérience (En effet, elle ne veut plus uniquement du oud traité comme du oud, elle veut aussi des ouds "modernes", sucrés, fruités, gourmands et, également, des parfums frais - pour "les jours sans parfum" probablement - ; mais, cette clientèle veut toujours du oud, en fait en plus du reste. Et, quand on consomme du parfum dans toutes les pièces d’une maison et à tous les étages, il y a encore du oud à vendre !), donc, en plus de cette clientèle, il y a un effet collatéral hautement désirable : l’attraction exercée par cette matière puissante et marquante sur une clientèle occidentale lassée et anesthésiée par des années de lancements de fruités insipides apathiques et de muscs lénifiants amorphes à l’EEG cadavérique. Avec le oud, au moins, il se passe un truc. Finie l’anorexie parfumée. Bienvenu à des odeurs rabelaisiennes. Mais, sur ce point, vous aurez bientôt l’occasion de lire un dossier fort intéressant de Jeanne.
La distribution ressemble bien à un Rubik’s Cube, un vrai casse-tête insoluble : en fait, ne serait-ce pas tout simplement l’exploitation de cette bonne vieille stratégie de la pénurie qui, dans le luxe, fonctionne toujours auprès d’une clientèle qui veut du différent, du rare, de l’introuvable pour le commun des mortels (donc, les autres) et de l’exceptionnel ? Il suffit d’observer la demande pour tout ce qui est en édition limitée ou "exclusif" pour s’en assurer. Le problème du rare et de l’exclusif est de savoir comment le doser. Il faut que cela soit assez rare pour répondre au critère d’exception qui rend hautement désirable ; mais, avant cela, il faut être suffisamment connu pour avoir pu créer cette désirabilité. En gros, il faut communiquer de sorte à créer l’existence du produit tout en maintenant un fort désir pour lui. Le cas le plus typique, c’est Hermès : tout le monde connaît, mais, pour avoir certains modèles de sacs il faut, non seulement être dans la capacité d’aligner plusieurs centaines d’euros, mais, en sus, malgré cela, de bien vouloir faire preuve de patience en faisant la queue durant deux ans pour obtenir ledit objet tant convoité. Pourtant, il est probable que la marque pourrait former des gens pour qu’ils soient plus nombreux à maîtriser les techniques artisanales nécessaires à la confection des objets de maroquinerie de l’illustre maison. Hermès en a la capacité et les moyens. Mais, pas l’envie apparemment. Et, avec raison. Car, après tout, du luxe arboré par beaucoup n’est plus du luxe : problème que connaît Louis Vuitton aujourd’hui. Toutefois, si la stratégie est commercialement souvent payante, elle est énervante pour le plébéien que je suis qui : d’une part, doit courir après la rareté pour la sentir, mais en plus, doit aussi vendre un rein pour obtenir l’objet tant convoité !
Je connais bien ta désillusion de ce Sahara Noir comparé à Amber Absolute. Mais, dans la vague de lancements tom-fordiens, il y a encore eu, comme tu le sais très bien, de bien nombreuses autres bonnes surprises. Dont ses deux derniers ouds qui, sans innover radicalement, sont d’une maîtrise rare quand il s’agit de cette matière assez brute de décoffrage.
Le parfum en lui-même et le traitement des notes animales qui a été effectué en est un exemple dans Sahara Noir ; ce qui est plus vrai encore dans les deux autres ouds.
Ce qui est intéressant avec Tom Ford, c’est qu’avec ses noms tarabiscotés (comme on en a vu quelques exemples précédemment), on ne sait jamais où il va. Sa collection "orientale" arbore un aldéhydé, son Bois Marocain est un joli boisé "universel", son Oud Wood est très aromatique.
Avec ses deux derniers ouds, il surprend encore.
Oud Fleur a l’intérêt de ne pas mettre le oud au centre de la composition. Ce serait, s’il fallait tenter de le classifier, plutôt un floriental animalisé dans lequel le oud soutient un bouquet floral très classique, très français, soutenu par le oud qui remplace les notes animales inutilisées aujourd’hui qu’étaient musc, civette et castoréum. Cela tombe bien, il réunit certaines de leurs différentes facettes et bien d’autres encore.
Quant à Tobacco Oud, s’il est moins surprenant dans le genre oriental contemporain, son animalité exacerbée nourrit les baumes et l’encens. Tu le sais, je préfère aujourd’hui Tobacco Oud à Sahara Noir. Ce dernier, plus massif et percutant, plus radical, a le défaut d’être boosté par des bois ambrés qui sont trop présents dans le final grandiose. Ils sont utiles, je comprends leur utilisation. Mais, les territoires cuirés ambrés à la 1 Million et leur astringeance sont un poil trop proches. Tobacco Oud est plus rond, moins radical, plus fondu, gras et lourd. Mais, je préfère sa chaleureuse rondeur animale ronronnante aux cris bestiaux de la bête Sahara Noir.
Bref, quoi qu’il en soit, il s’agit bien, comme tu le dis, d’une parfumerie "inventive et ayant de la personnalité". Indéniablement.
Ouf ! Ça fait du bien dans ces tsunamis de médiocrité devenus par trop habituels.
Merci pour ton intervention.
A très viiiite !
Opium
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