Rose Cut

Là où Perle de Mousse était un chypre vert construit autour du muguet, Rose Cut pourrait s’avérer être un chypre brun s’intéressant de plus près à la rose. C’est donc dans un esprit de continuité que la bijoutière Ann Gérard a demandé à Bertrand Duchaufour de traiter la fleur reine de la parfumerie. S’inspirant de la "taille rose" (une taille de diamant très plate, à l’éclat doux et suranné), Rose Cut a cependant la bonne idée de ne pas s’arrêter au soliflore rose un peu bateau.

Ainsi, si la fleur se devine tout au long du parfum, jamais elle ne cherche à s’imposer, préférant suggérer un déroulé plus ouvert sur ce qui l’entoure. Au final, l’expérience semble plus proche des films GoPro que du portrait classique : la rose porte la caméra (et n’est donc jamais pleinement visible) et filme depuis son point de vue une expérience à sensations fortes. Le départ est d’ailleurs plein d’adrénaline : les baies roses explosent dans tous les sens, couplées à des notes aldéhydées brillantes et pétillantes, évoquant l’odeur du champagne. L’impression est soutenue par des notes liquoreuses, qui assombrissent le parfum, ainsi que par une texture liège qui semble déjà appeler l’évolution plus terreuse. C’est que, comme dans ces vidéos impressionnantes, le suspens est rarement trop intense : déjà, l’utilisateur a pu poster sa vidéo (ce qui reste quand même rassurant quant à son état) mais surtout, la rapidité de la chute laisse entrevoir assez rapidement ce qui va se passer. Voir les notes de liège amener à un fond moussu permet d’alléger le cœur des sensibles, l’accord de la rose chyprée étant une structure plus confortable, la perspective du gros matelas en plumes après la chute en somme.

Néanmoins, avant, il faut sauter ! Dans sa chute, la rose s’effeuille, laissant transparaître un géranium amateur de plongeons risqués et une violette plus craintive, empaquetée qu’elle est dans ses protections de mousse et de plastique.

Et comme souvent, ce clou du spectacle est à la fois le plus intense, le plus jouissif et... le plus rapide. Car après la chute où le parfum suspend le temps, vient l’atterrissage tout en douceur. Ici, ce sont des notes baumées et résineuses qui viennent réconforter la rose encore essoufflée : benjoin et encens s’ajoutent au patchouli et à la mousse de chêne pour offrir un fond de velours au parfum. Quoique de bonne facture et au sillage agréable, cette partie là est en fin de compte la moins excitante, surtout après cette tête et ce cœur plus ébouriffants.

Ainsi, malgré cette évolution un peu rapide, Rose Cut reste un traitement original et signé de la rose en parfumerie de niche. Et quand je vois La Fille de Berlin plus girly ou la Rozy un peu déséquilibrée mentale de Vero Profumo, je crois que c’est finalement l’expérience proposée par Ann Gérard que je préfère.