Premier Figuier
L’Artisan parfumeur
Les Classiques
- Marque : L’Artisan parfumeur
- Année : 1994
- Créé par : Olivia Giacobetti
- Genre : Féminin - Masculin
- Famille : Boisée
- Style : Frais - Gourmand - Pointu
Prélude, chorale et figue
par Clément Paradis, le 23 octobre 2019
En 1994, ce figuier était bel et bien le premier. Devenu un classique aux héritiers nombreux, il reste encore aujourd’hui une petite perle de la parfumerie de niche.
Les côtes méditerranéennes sont parsemées de petits villages au charme discret : leur terre aride surplombe les étendues marines et au gré de l’orientation des rues s’y mêlent des effluves contradictoires, celles des embruns, par grand vent, et de la végétation chauffée par le soleil. Dans ces lieux, il n’est pas rare de trouver un figuier qui offre l’ombre de ses feuilles vertes aux passants – qu’ils veuillent prendre un peu de repos ou un fruit mûr, avant qu’il ne fasse le repas de la faune goulue qui ne manque l’hospitalité des lieux. S’arrêter sous ces arbres, c’est donc commencer un petit voyage olfactif qu’Olivia Giacobetti a vraisemblablement eu plaisir à mettre en bouteille pour les jours moins heureux.
Nous sommes en 1994, et ce figuier est bel et bien le premier. Il y avait bien eu quelques fugaces évocations de la note, parsemées çà et là dans les pyramides olfactives de quelques jus des années 1990 aujourd’hui disparus, mais ce n’est vraiment qu’avec la bougie Figuier chez Diptyque, elle aussi signée par Olivia Giacobetti, que cet accord se rapproche du devant de la scène. À la sortie de Premier Figuier, la parfumerie alcoolique découvre donc avec bonheur que la figue et son arbre peuvent tenir le rôle-titre et séduire une clientèle nombreuse, en quête de nouveauté.
De quoi s’agit-il au juste ? Une innovation technique d’abord, car la feuille de figue a beau avoir une odeur, il n’est pas possible de la capturer pour en faire un extrait parfumé. C’est donc autour de la Stémone, molécule mise sur le marché par la société Givaudan dans les années 1970, que le parfumeur doit construire, combinant à cette odeur de feuille fraîche et de gazon coupé la gamma-octalactone et sa note de coco laiteuse ou l’aldéhyde C18, à l’effet de fruit tropical, plus gras et cireux mais rappelant aussi la noix de coco. Cet accord désormais bien connu trouve sa source dans le Premier Figuier de l’Artisan parfumeur, coup de maître qui résiste admirablement aux assauts du temps, dont l’effet est bien plus poétique que la liste de ses composants ne le laisse entendre.
Le figuier nous est ici livré entier : des feuilles au fruit, en passant par le bois ; le parfum reconstitue d’abord les saveurs et les textures d’un moment de plénitude face à cette nature. L’ouverture fruitée se ramifie progressivement en notes boisées plus denses et en touches duveteuses et vertes de feuilles vivaces. Dans le fond, mêlé aux muscs, se trouve un bois de cèdre santalé, délicat, que l’on peut presque toucher. Mais la sève laiteuse prête à sourdre est bien celle du figuier, de son feuillage dans lequel cohabitent les effluves minéraux ambiants et les parfums des fruits qui mûrissent. Respiré rapidement, Premier Figuier donne même l’illusion de sentir une pêche ou un abricot fraîchement ouvert et de s’apprêter à croquer dans sa chair aqueuse.
Depuis ce Premier Figuier, le nom que l’on donne à ce mélange d’impressions moins naturalistes que l’on ne pourrait croire est « parfum à la figue ». Comme sa descendance (à commencer par le « second figuier » de la parfumeuse, Philosykos), l’original de L’Artisan a tendance à être linéaire et à révéler l’essentiel de ses charmes dès les premières minutes, sans faire de mystères sur son développement futur, sans chercher à laisser de sillage éblouissant.
Olivia Giacobetti cultive des parfums pour soi, et force est de constater que leur séduction a transformé le visage de la parfumerie contemporaine. Face aux héritiers nombreux (de l’eau fruitée Fleur de figuier chez Roger & Gallet au Jardin en Méditerranée de Jean-Claude Ellena en passant par Dune pour homme chez Dior) on pourrait être tenté de penser que ce jus est finalement « dépassé ». C’est bien sûr loin d’être le cas et, si la chose devait arriver, ce figuier conserverait le statut d’incontournable, magnifié dans ce qui lui succède. Le bien nommé Premier Figuier est devenu un classique, et reste encore aujourd’hui une petite perle de la parfumerie de niche.
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par Fairy47, le 26 novembre 2019 à 12:46
L’un des (nombreux) parfums portés par ma mère, et toute enfant j’étais déjà éblouie par l’opulence et la somptuosité de ce Premier figuier, majestueux et royal.
Pour moi, il ne souffre pas le négligé, et doit se porter avec un fourreau noir, sinon rien !!
Un jour, peut-être, qui sait, aurais-je le culot de porter cet empereur que j’associe (encore) à la garde-robe maternelle...
par Thierry Blondeau, le 24 octobre 2019 à 05:58
Je l’adore, un must, une référence, comme tu le soulignes, toujours copié, jamais égalé dans sa "vérité".
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par Adina76, le 24 octobre 2019 à 07:38
Bonjour Thierry,
Je découvre votre enthousiasme et votre amour pour Premier figuier mais ne m’en étonne pas : votre magnifique Santal Colada, avec une pyramide pourtant bien différente, est tout à fait dans la lignée de ce superbe boisé fruité à l’exotisme discret mais réel.
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par Thierry Blondeau, le 28 octobre 2019 à 16:54
Merci beaucoup Adina, je n’avais pas fait attention à la filiation qu’il pouvait y avoir mais ils ont plusieurs points communs en effet : le lieu, qui est un univers végétal et luxuriant, un contraste frais/chaud, et un fond boisé lacté. Merci pour votre remarque très juste et je suis ravi que Santal Colada vous plaise.
par Duolog, le 24 octobre 2019 à 21:36
Merci d’être passé saluer ce vénérable ancêtre ! Il continue en effet à inspirer bien des tendances...
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Il n’y a pas à nier, Premier Figuier est magique, d’une certaine manière. Son secret réside dans sa facilité, il se porte sans efforts. Naturaliste, il se marie avec le quotidien dans toute sa simplicité avec joie. D’une rare élégance sous son départ croquant, il apporte une bouffée d’air frais tout en restant approprié dans les occasions les plus habillées, et les contextes de travail les plus restrictifs.
Il reste néanmoins un parfum plutôt estival. Mais quel été !
Olivia Giacobetti signe avec cette innovation un jalon sur le chemin du culte que lui porte de nombreux perfumistas. Elle fait preuve d’une maitrise technique éblouissante, et réussit le tour de force d’innover, de créer une madeleine de Proust, de montrer sa capacité à recréer la nature, et de placer un parfum qui n’a jusqu’à maintenant été surpassé par aucun autre de la famille qu’il a créé. Et tout cela en restant fidèle à sa patte, qui reste constante et indémodable jusqu’à aujourd’hui. Elle est de l’étoffe des plus grands.
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