François Hénin : “Le parfum est une arme pour ceux qui savent s’en servir”
par Clara Muller, le 6 août 2015
La parfumerie dite de niche (ou, si l’on préfère, parfumerie rare, artistique, alternative...) se caractérise notamment par la rareté de sa diffusion. Les quelques lieux spécialisés qui, à Paris et ailleurs, se vouent à sa promotion se font généralement très discrets.
Tout au long de l’été Auparfum vous fera ainsi découvrir le charme discret de marie antoinette, l’ambiance bar de Liquides, la majesté de Jovoy, l’énergie chaleureuse de Sens Unique, le patriotisme de Atelier Maître Parfumeur ou encore le traditionalisme de Arôma Parfums & Soins.
Une fois entré dans l’une de ces boutiques, l’accueil, le décor, tout y évoque un univers singulier où les odeurs ne sont pas répandues dans l’atmosphère en grandes flaques, mais aimablement diffusées par les quelques « visiteurs » ou par les maîtres des lieux.
Chacun de ces lieux a sa personnalité propre, ses parti pris, ses marques (parfois exclusives) et vous accueille comme l’on reçoit un proche. En échange d’un grand sourire, on vous offrira même peut-être un café. L’objectif n’est pas seulement de vous vendre un flacon, mais de vous ouvrir à tout un univers olfactif. Dans ces lieux uniques, le conseil a un nom ou plutôt un prénom : Antonio, Renata, Léa, François... et les autres.
Nous les avons rencontrés, en attendant que vous fassiez leur connaissance par vous-même. Et promis, dès que possible, nous décollerons de la capitale et vous parlerons… du reste du monde !
François Hénin, propriétaire et fondateur de Jovoy, nous a accueillis dans son temple du parfum, rue de Castiglione à Paris. Jovoy est la plus vaste boutique de niche de Paris, proposant aujourd’hui plus d’une centaine de marques. L’ambiance est sereine dans cette immense caverne d’Ali Baba, entre design moderne et meubles vintages. Et lorsque le fondateur de Jovoy s’exprime, on entend tour à tour l’homme d’affaires et le passionné de parfums rares.
Comment êtes-vous arrivé dans le monde du parfum ?
Rien ne me prédisposait à entrer dans cet univers des parfums. Après une école de commerce à Paris je suis parti au Vietnam. Je devais rester trois mois, finalement j’y suis resté quatre ans. Ce pays était un peu pour moi la dernière terre inexplorée et j’en suis tombé amoureux. J’ai commencé à travailler dans l’exportation de matières premières agricoles qui étaient utilisées notamment par un parfumeur grassois. De rencontres en rencontres je suis devenu agent commercial pour une puis deux sociétés grassoises.
Quand est venu le temps de faire mon service militaire j’ai décidé de le faire au Vietnam où j’ai monté une usine de distillation de matières premières. C’est lorsque plus tard je me suis installé à Paris que j’ai décidé de relancer une marque ancienne, Jovoy Parfumeur Parisien, créée en 1923 par Blanche Arvoy qui était une innovatrice. Elle a été l’une des premières à expérimenter des techniques de marketing telles que les cartes parfumées ou les échantillons. Le parti pris de ce re-lancement était de ne pas retravailler les jus des premières heures qui étaient assez opulents. La clientèle de la marque était à l’origine les cocottes, les croqueuses d’hommes des années folles. C’est encore après que le projet d’une boutique Jovoy est né, du constat que Paris manquait de parfumeries de niche multi-marques. La première boutique Jovoy, rue de la Paix, faisait 50 m2 et commercialisait une dizaine de marques, puis vingt, puis quarante. Il y a trois ans nous sommes passés de 50m2 à 200m2 et nous avons aujourd’hui 110 marques. L’objectif n’étant pas d’en avoir le plus possible mais de pouvoir faire découvrir aux gens des maisons atypiques. Nous avons aussi une franchise au Mans et quatre boutiques à Téhéran.
Comment définissez-vous votre boutique ?
Nous nous qualifions d’ambassadeurs du parfum rare à Paris. Cela veut dire qu’il y a un autre territoire olfactif que celui que l’on connaît généralement et nous voulions nous en faire les promoteur. Nous revendiquons qu’il existe une autre parfumerie qui a besoin d‘une vitrine. Nous aimons prendre le temps de faire découvrir les marques qui nous ont été confiée. La niche se compose de trois sous-segments : la haute-parfumerie, la parfumerie d’art et la parfumerie vintage. Chez Jovoy nous avons les trois.
Comment faites-vous la sélection des marques qui entrent chez vous ?
La démarche au début était de diffuser les marques avec lesquelles nous entretenions des relations amicales. Donc le premier assortiment a été fait assez naturellement. Ensuite, pour être vendues chez nous, les marques doivent être confidentielles et peu diffusées. Un critère majeur est l’originalité, pour éviter les redites olfactives. On évalue aussi les “performances” de la fragrance : on évalue les notes de fond sur deux jours par exemple. Cela permet de faire la différence entre le parfum de quelqu’un qui chasse (parfum de sillage) ou le parfum de quelqu’un qui piège (parfum de peau).
Pourquoi certaines marques disparaissent-elles de votre boutique ?
La raison première de la suppression d’une marque est l’échec commercial. Une autre raison possible est une mésentente avec le propriétaire.
Êtes-vous également propriétaire d’une ou plusieurs marques ?
Oui je suis propriétaire de Jovoy Parfumeur Parisien qui fait des extraits et des bougies. En septembre je lancerai une nouvelle marque nommée Jéroboam dont la parfumeuse maison sera Vanina Murraciole qui est à l’origine de ce projet original.
Avez-vous un type de clientèle particulier ? Quel type de demandes formulent-ils ?
Nous avons une clientèle essentiellement française, mais le nouvel emplacement (rue de Castiglione) fait que la clientèle que nous appelons “russorientale” a énormément augmenté. Cela a fait exploser le créneau Haute-Parfumerie parce que cette clientèle a souvent des capacités d’achat incomparables.
Comment conseillez-vous vos clients ?
Notre rituel de vente est un jeu. L’objectif est de trouver ce qui vous plait, ce qui est flatteur à votre nez et aux nez des gens qui vous entourent. Pour ce faire nous avons nos techniques… que je tiendrai secrètes !
Avez-vous déterminé ce qui plaît le plus en parfum ?
Les Russes et les Orientaux aiment particulièrement les parfums orientaux et les floraux opulents. En France les floraux-iris et les notes de cuir plaisent beaucoup. On remarque aussi que des fougères typiquement masculines sont très portées par des femmes.
Suivez-vous les blogs sur le parfum ? Et Auparfum ?
Oui, autant que je peux. Les blogs sont fondamentaux. Dans un univers comme celui des odeurs, qu’on ne peut pas encore transmettre par internet, il est capital d’avoir des gens qui savent parler du parfum. Il y a de vrais talents sur le web, des gens qui ont des avis très intéressants, des sensibilités artistiques.
Avez-vous un souvenir olfactif particulièrement marquant ?
J’ai passé toute ma tendre jeunesse dans la maison de la mère de mon père, en Bourgogne. Là-bas, j’ai passé des heures incalculables auprès d’un petit étang. En été l’univers était sec et chaud, les troncs brûlés par le soleil, et soudain je me retrouvais dans une atmosphère humide, avec des plantes aromatiques comme de la menthe sauvage. Corsica Furiosa de Parfum d’Empire m’a fait retrouver une impression un peu similaire.
Qu’est-ce que le parfum pour vous ?
Malheureusement on ne voit souvent le parfum que comme quelque chose de confortable… Alors que le parfum est une arme pour ceux qui savent s’en servir... une arme de séduction massive ! Il parait que les danseuses de French Cancan se parfumaient les creux et les monts, là où elles voulaient être explorées. Je pense que ça c’est savoir se servir du parfum ! Le parfum est une extension de vous-même, une projection de ce que vous ressentez, de ce que vous aimez. Il peut servir à séduire, mais aussi à intimider, à impressionner... Une très jeune femme qui porterait un parfum de dame puissant ça peut être très déstabilisant. Enfin le parfum peut aussi avoir une fonction de réminiscence, une fonction un peu proustienne qui peut s’accorder à votre humeur.
Propos recueillis par Clara Muller
Prochain rendez-vous le 13 août avec Marie de Atelier Maître Parfumeur !
—
Jovoy Paris
4 rue de Castiglione
75001 Paris
Du Lundi au Samedi de 11h à 19h
A Paris
Au Mans
à lire également
par Claraf, le 12 août 2015 à 09:52
Une très jolie interview.
Et un grand bravo pour le site internet de Jovoy qui est ultra simple à utiliser, intuitif et qui fourmille d’informations (histoire du parfum, pyramide olfactive, visuel de bonne qualité...). Un plaisir !
par Nezenmoins, le 7 août 2015 à 11:48
Bonjour,
Chez Jovoy, vous avez le choix mais il faut également parler de l’hospitalité. Je n’étais pas un émir du Quatar mais un provincial de passage à Paris pour découvrir tout simplement la boutique. J ’étais venu sentir Musc Tonkin. J’ai pu faire un tour de la boutique et on m’a proposé un grand verre d’eau fraîche par ce temps de canicule. Nous avons échangé avec la vendeuse sur différents parfums et elle m’a orienté par rapport à mes goûts. Je suis reparti avec deux échantillons et un agréable souvenir. C ’est un temple du parfum où il faut être guidé et ne pas se précipiter car on peut se noyer tellement le choix est vaste. A découvrir si vous êtes de passge à paris et amoureux du parfum...
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus
par AdRem, le 7 août 2015 à 16:25
Vous avez raison de le souligner Nezenmoins : sous des allures de super marché pour clients riches à souhait, Jovoy est en lieu "aimable" et hospitalier...si ne vous precipitez pas d’emblée sur le stock de mouillettes pour un sniffatton en solitaire en réclamant à haut cris des échantillons "gratuits"...
Un Bonjour, quelques mots partagés font parfois quelques miracles...comme toujours :)
Merci pour le café Monsieur Hénin :)
Merci pour votre Caverne d’Ali Baba...où certes tout ce qui brille n’est pas d’or...mais où de nombreuses pépites sont présentées à nos nez...
Merci à l’équipe professionnelle qui l’anime...et à tous ces échantillons offerts :)
JOVOY grace à vous est devenu un lieu parisien incontournable...et c’est bien !
par sigisbée, le 7 août 2015 à 11:22
Bonjour Clara,
Merci pour cet article passionnant, les parfums "de niche" sont étonnants et peuvent livrer des pistes fabuleuses.
J’ai moi aussi été séduit par les propos de monsieur Hénin qui évoque le parfum tel une arme ; belle métaphore riche de sens !
Belle journée à vous,
Cordialement,
Sigisbée
par Chanel de Lanvin, le 6 août 2015 à 21:46
Merci pour cet article passionnant,la maison Jovoy est une référence dans le domaine.
Il m’arrive de consulter leurs site et je suis ravi de voir de très bonnes marques comme Tauer,J.F. Schwarzlose,Nasomatto,Rania J....
A consommer sans modérations.
par billieH, le 6 août 2015 à 21:34
Propos très intéressants de monsieur Henin. Le dernier paragraphe m’a particulièrement parlé, c’est ainsi que j’utilise mes parfums : Après l’Ondee me rend mystérieuse et romantique, Carnal Flower me transforme en séductrice comme Fracas en femme fatale, Poal en reine, Iris silver mist en femme intelligente, kenzo Jungle m’aide à prendre de l’assurance avec ma chef et écrase lveb, un beau cuir peut me rendre légèrement dominatrice, Bas de Soie carrément tordue lol... J’associe toujours mon parfum à mon humeur, certains m’aident à garder le sourire d’autres me plongent dans le spleen. Pas besoin de pilules pour soigner mon addiction mais du Malle, du Guerlain et des Lutens ! Entre autres...
Je choisi toujours avec grand soin mon parfum du jour en fonction de l’image que je souhaite suggérer.
Avant de lire monsieur Henin je pensais être un peu folle...Plus maintenant !
à la une
Smell Talks : Céline Ellena – L’illusion de l’olfaction
Compositrice de fragrances indépendante et rédactrice pour Nez, la créatrice nous explique comment le parfumeur se joue de notre odorat avec sa palette.
en ce moment
il y a 7 heures
L’actuelle version EDP, testeur neuf en grand magasin, n’est franchement pas à négliger. Moins(…)
Dernières critiques
L’Eau pâle - Courrèges
Lavande délavée
Mortel noir - Trudon
Église en flammes
Infusion de gingembre - Prada
Fraîcheur souterraine
par Hadrien de Nocieve, le 10 octobre 2015 à 12:30
une parfumerie vraiment tres classe le patron et les vendeuses sont d’une tres grande gentillesse
Répondre à ce commentaire | Signaler un abus