Eléonore de Bonneval : "Soyez touchés par votre propre histoire... Profitez de la chance de pouvoir sentir !"
par Thomas Dominguès (Opium), le 19 septembre 2014
A l’occasion de cette 6ème édition des Rives de la Beauté, Eléonore de Bonneval, journaliste et photographe, nous raconte son exposition "Anosmie, Vivre sans odorat".
L’anosmie est un trouble de l’odorat qui se traduit par une perte ou une diminution forte de la sensibilité aux odeurs->http://fr.wikipedia.org/wiki/Anosmie
- Quel a été votre parcours ?
Je suis passionnée par les odeurs depuis toujours, et mon père ORL m’a aussi certainement influencée inconsciemment. Peu à peu je me suis intéressée à la manière dont fonctionnait le sens olfactif, puis j’ai fait un master à l’ISIPCA et j’ai travaillé près de 8 ans dans l’industrie de la parfumerie.
Lorsque j’ai changé de métier et repris des études pour faire un Master en Photojournalisme au London College of Communication, j’ai fait une rencontre incroyable. John Easterby, responsable de notre formation, avait une capacité d’écoute unique et nous encourageait à travailler sur des projets personnels. Peu importe qu’ils soient photogéniques ou non, ce qui importait c’était ce que l’on avait à dire, la forme suivrait. Il en était convaincu. Il a cru en ce travail sur l’anosmie dès l’instant où je lui en ai parlé et il m’a encouragée à développer une proposition interactive pour mon public, qu’il soit anosmique ou non.
- Pouvez-vous nous présenter l’exposition en quelques mots, et nous dire comment vous est venue l’idée de ce projet autour de l’anosmie ?
Les photos sont importantes mais il est essentiel que le public comprenne et ressente l’impact de l’anosmie. Avec l’aide de Charles Boulnois, meilleur ouvrier de France, nous avons conçu une scénographie interactive. Le point de départ de l’exposition est un voyage olfactif. Il y a une dimension ludique, le public est invité à faire travailler sa mémoire. Grâce à un système de diffusion fourni par Scentys et au superbe travail d’Evelyne Boulanger, parfumeur chez Symrise, le "voyageur" peut retourner en enfance et redécouvrir l’odeur de la barbe à papa, passer par la Provence et sentir la lavande ou s’imaginer boire un café au comptoir… Ensuite le visiteur est invité à pénétrer sous une verrière où une série de portraits en noir et blanc de victimes d’anosmie témoigne de son impact dans leur quotidien. La verrière symbolise la présence dans l’absence, la déconnexion sociale dont la plupart semble souffrir. (Ce moment a d’autant plus d’impact que l’on a eu l’occasion d’appréhender une découverte olfactive auparavant.)
Les photographies sont donc présentées dans le cadre d’une exposition interactive et polysensorielle
- Montrer les odeurs est difficile. Révéler l’absence, tout autant. Photographier l’absence d’odorat peut sembler un challenge presque impossible. N’était-il pas surprenant de traiter de l’anosmie qui peut sembler difficilement se prêter à la prise de photos ?
On m’a dit que j’étais folle ! Et j’ai senti de nombreux regards incrédules mais, John Easterby, dont je vous parlais tout à l’heure, m’a dit, en somme, que si le sujet est bon, il y a toujours un moyen, toujours un médium et une solution. C’est une fine bouche, donc le rapport de l’anosmie au goût a dû faire tilt, il m’a dit "vu la façon dont tu en parles, tu es légitime". Il m’a donné sa confiance et cela m’a encouragée.
Traiter d’anosmie en photos peut donc paraître surprenant pourtant ce ne sont pas juste des photos, ce sont des témoignages. L’anosmie est un handicap dont on parle très peu, notamment parce que l’on ne considère pas suffisamment l’importance du sens olfactif dans notre quotidien. Les photographies sont donc présentées dans le cadre d’une exposition interactive et polysensorielle où les visiteurs sont invités à prendre conscience du rôle joué par ce sens invisible et muet.
Finalement, je ne veux pas imposer de représentation visuelle à la découverte olfactive. Je souhaite que le public stimule sa propre mémoire olfactive, pour les odeurs associées aux souvenirs et aux émotions, des évocations intimes et personnelles devraient resurgir, des visualisations de salles de classe (cèdre), de fêtes foraines (barbe à papa) ou de séjours dans le sud de la France (lavande). Ce sont des représentations visuelles et intimistes associées au contexte émotionnel dans lequel ces odeurs ont été percues et mémorisées qui devraient ressurgir. Le public devrait alors se rendre compte de sa chance d’avoir un tel "super-pouvoir".
5% de la population est anosmique.
- Quel genre de difficultés avez-vous rencontrées ?
La clé était d’obtenir des témoignages. Cela s’est avéré plus simple que prévu. Selon le Professeur Le Taillandier, ORL au CHU de Bordeaux, 5% de la population est anosmique. C’est colossal. Je me suis très vite aperçu que des gens
proches de moi souffraient de cette condition mais n’en parlaient pas. Ils n’osaient pas. J’ai trouvé des forums dédiés à l’anosmie. Comme souvent, c’est une histoire d’attention sélective.
Ce qui m’a le plus frappée, c’est l’impact joué par l’odorat dans notre vie sociale. Pour la plupart des anosmiques - non congénitaux - le plaisir de se retrouver autour d’une bonne table, de déguster un bon vin, s’est évanoui au point de presque devenir une hantise. Mais c’est aussi la connexion à nous-même et aux autres qui est altérée. Francine, qui s’est récemment fait opérer des polypes me disait se sentir exclue de la société. Elle ne pouvait pas sentir sa peau, ni son propre corps et avait l’impression de ne plus exister.
Comme vivre derrière une fenêtre en permanence
- Qu’avez-vous appris grâce à votre exposition ?
Nous savons tous à quel point les sens olfactif et gustatif sont si intimement reliés. Pourtant je ne pense pas que j’avais pris conscience au début de ce projet de l’impact que la perte du sens olfactif pourrait avoir dans notre vie sociale ; encore une fois, pour la plupart le plaisir autour d’une bonne table s’est évanoui au point de presque devenir une hantise.
Souvent, les anosmiques entendent "Tu as de la chance, tu ne sens pas ce qui empeste", pourtant ces odeurs-là ils aimeraient bien aussi les percevoir, elles intriguent autant que les meilleures.
Lorsque l’on ne peut pas sentir, c’est aussi la connexion à nous-même et aux autres qui est altérée. Francine me disait "ne plus pouvoir se sentir", pour Duncan c’est "comme vivre derrière une fenêtre en permanence" et pour June "vivre sous vide".
- Y a-t-il de prochaines étapes de l’exposition ?
Ce projet à vocation à grandir, à se développer, je souhaiterais développer encore plus le voyage olfactif présenté sur la première partie de l’exposition. J’aimerais l’enrichir avec du contenu multimédia, interactif, multisensoriel car ce travail a autant vocation à parler de l’importance de l’odorat dans notre quotidien que de l’impact de sa perte. Un rêve ? Avoir ce projet au Centquatre et pourquoi pas à terme à la Cité des Sciences.
- Quels sont vos projets futurs ?
Bien que désignée "Photographe des odeurs" par Aude Ferbos, Journaliste chez Sud Ouest, je ne fais pas que cela. Basée à Londres, je travaille sur des sujets de société et liés à la santé. Début octobre, je vais exposer un travail sur lequel j’ai travaillé avec les patients de l’hospice de St Joseph. Les témoignages sont touchants, pardons bouleversants et souvent plein d’humour... À suivre !
Les photos, comme tirées de notre quotidien (dans le métro par exemple), nous rappellent qu’on est souvent seul, même entouré de tant d’autres ! Des animations vous permettent de découvrir à quoi correspond telle odeur de manière ludique. D’autres encore parviennent à créer un sentiment d’immersion dans l’absence d’odeurs au travers de témoignages de personnes touchées par l’anosmie présentées dans une "cabane-bulle", comme si on basculait de l’autre côté du miroir.
Mais, en réalité, par son interactivité et son dispositif, cette exposition ne se raconte pas, il faut l’expérimenter...
Exposition Anosmie, vivre sans odorat
Showroom de Kenzo Parfums (interphone)
3 Place des Victoires - 2eme étage - 75001 Paris
Entrée libre du 17 au 21 Septembre inclus de 11h à 20h
Photographie(s) d’illustration : Eléonore de Bonneval
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par divagations, le 20 septembre 2014 à 00:48
Bonjour,
je lis depuis un certain temps ce forum avec un grand plaisir. Je ne suis encore jamais intervenue car je ne me sens pas encore capable de parler avec justesse des parfums...
On parle très peu, malheureusement, de l’anosmie. Un de mes plus proches amis en est atteint depuis sa naissance. C’est une réelle frustration pour lui, même s’il en parle finalement assez peu car, la plupart du temps, les gens minisent complètement ce handicap, alors qu’effectivement cela joue beaucoup sur le moral.
Au début, je n’osais pas trop parler des odeurs, des parfums avec lui de peur de le blesser. En fait, quand je lui ai dit être très sensibles aux odeurs et parfums, il s’est mis, au contraire, à beaucoup m’interroger sur ceux-ci, y compris sur les odeurs désagréables. C’est un monde qui le fascine ; pour lui, c’est le monde de la poésie pure puisqu’il n’a jamais appréhendé les odeurs que par le biais de métaphores ; la notion même de sentir, humer une odeur est pour lui un insondable mystère.
De mon côté, à son contact, je prends à chaque fois conscience de l’importance de l’odorat dans la vie quotidienne, à quel point c’est un véritable repère pour nous, sans même que nous nous en rendions compte et à quel point c’est une chance de pouvoir jouir de son odorat.
Cette exposition est une belle idée.
par doudou, le 19 septembre 2014 à 20:02
Je pense qu’il est difficile de se représenter la souffrance que représente l’anosmie...rien que d’y penser mon cœur se serre.
J’avais entendu parler d’une étude d’une équipe à bordeaux je crois, qui avait mis en évidence des liens entre dépression et olfaction déficiente.
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par potra, le 22 septembre 2014 à 15:00
Bonjour,
j’ai visité l’exposition et ai eu la chance de discuter avec Eléonore de Bonneval, c’était très intéressant.
C’est amusant de sentir les différentes odeurs proposées et de voir les évocations, en accord ou pas avec celles prévues (et le pouvoir de suggestion quand on ressent une odeur non identifiée après avoir lu ce qu’on est sensé sentir ^^). Ma rencontre avec l’aldron a été moins agréable, mais c’était fascinant de voir l’ami que j’avais trainé avec moi déclencher le diffuseur plusieurs fois avec le nez dessus sans percevoir grand chose ("euuuh, ça sent peut-être vaguement la fleur ?"), alors que la diffusion m’a fait reculer de trois pas, et que pour moi ça sentais tellement fort que contrairement aux autres odeurs je percevais l’aldron juste en approchant mon nez sans déclencher le système de diffusion.
Au sujet de l’anosmie, je savais que ça existait mais je ne savais pas que ça concernait autant de gens... 5% de la population c’est énorme, j’en connais forcément et je ne le sais pas ! Les témoignages étaient à la fois pudiques et touchants. Et ça doit être dur pour les personnes concernées, on en parle jamais, comme c’est invisible l’entourage ne s’adapte pas à cette particularité. Je m’était déjà fait mon scénario catastrophe personnel : et si je perdais l’odorat ? La première chose qui m’était venue à l’esprit c’est "je me laverais tout le temps de peur de sentir mauvais", et la photographe m’a confirmé que parmi les témoignages qu’elle avait recueillis, certains nettoient excessivement leur maison, au point de vivre dans des émanations de détergent pas vraiment très saines. Et je pense que je réagirais probablement de la même façon, alors que je suis plus partisane d’aération et lavage à grande eau en acceptant que la vie ait des odeurs, que de désodorisation et décapage agressif pour détruire toute manifestation organique.
On a aussi parlé de la difficulté à communiquer sur les odeurs, par manque de vocabulaire et aussi par la très grande variabilité des perceptions entre les individus.
Merci à l’artiste pour son travail, et à Auparfum de me l’avoir fait connaitre :-)
Potra
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