Auparfum

It was a time that was a time

20 mars 2016, 13:13, par nnis

Jour #1 : sur touche. Des fleurs séchées. Des renoncules, des lis, des violettes et quelques feuilles de menthe, tenues ensemble par du raphia. Ce bouquet mat et poussiéreux s’estompe rapidement et laisse place à une masse compacte et poisseuse depuis laquelle se confondent le camphre, le savon, le vernis, le dissolvant, la rouille et la moisissure. L’entêtant agglomérat baisse en intensité et flotte doucement sur un fond fauve, cuiré, tabacé et miellé, de couleur beige et paille.

Jour #2 : sur peau, cheveux et textiles. A la lecture du pitch, j’attendais, surement à tort, une version audacieuse et novatrice de Sables (Goutal) que j’aime passionnément. It was a time that was a time se situe bien loin du maquis corse, ou même des rivages new-yorkais. Le ressentit sur touche se précise, plus chaud. Une très vieille maison, propre, sombre. Des traits de lumière vifs jaillissent des volets entrouverts. Une pièce exiguë, étouffante, surchauffée dans laquelle se côtoient odeurs anciennes et chimiques. Sensation plutôt désagréable le matin, léger mal de tête l’après-midi et franchement mal au cœur le soir. Sensations mouvantes. Le parfum passe constamment d’une facette à l’autre sans trouver son axe, sa trame. La puissante tenue n’arrange rien, au contraire. Je n’ai cessé de penser à Cuirs (Carner Barcelona) qui joue sur des registres très similaires mais parvient à ouvrir en grand les fenêtres de cette pièce chargée d’émanations similaires. Entre extérieur et intérieur, l’atelier fonctionne comme un centre narratif. Ce qui manque cruellement à It was a time that was a time.

Jour #3 : au cinéma. C’est en lisant les différents articles sur le film qui a inspiré le parfum et en regardant plusieurs fois le seul extrait disponible que la fonction du jus m’est apparu comme une évidence. Ancien étudiant en cinéma, ancien projectionniste, habitué des films argentiques (super-8, 16mm et 35mm), j’associe soudainement toutes les notes senties à cet univers. Le métal rouillé de la boîte de stockage, le dissolvant et le vernis jouant l’acétate de la pellicule, le camphre et le savon comme indices de dégradation du film, les tâches de moisissure blanches et jaunes, le cuir des fauteuils d’une salle de cinéma privée. J’entrevois les lumières vives, rouges, ocre, tressautantes et poussiéreuses d’une projection. Finalement, la forme rejoint le thème du film de Shezad Dawood, la fin, la décomposition l’humanité. La diffusion de ce parfum pendant la projection complète le tableau avec une force inouïe. Le parfum n’a peut-être pas vocation à se loger dans nos écharpes. It was a time that was a time, titre du film, et titre du parfum, sont indissociables l’un de l’autre.

Merci mille fois à l’équipe d’AuParfum de faire découvrir des créations si fortes.

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