Parfum sucré, oui mais....
par Jicky, le 9 février 2015
Bonsoir Solance,
Ta question est très pertinente. Elle a déjà été plusieurs fois posées, et des éléments de réponse ont déjà été éparpillés ça et là sur le site, à la fois par les rédacteurs d’auparfum mais aussi beaucoup d’intervenants. Les administrateurs du site ayant eu la bonne idée de faire remonter ce billet de Jeanne, c’est très bien que la question soit posée ici.
Comme tu le dis, certains parfums sont conçus selon une surdose, une exagération, une déformation. Ce sont des "fiugres de style olfactives" qui peuvent être l’apanage d’un parfumeur (Germaine Cellier par exemple), d’un directeur artistique (Serge Lutens à certaines périodes), voire de certaines maisons (Guerlain, parfois). Ils ont, comme en littérature, pour but d’apporter un effet, soit dans le but d’émouvoir le lecteur/spectateur/"senteur", soit dans une simple visée esthétique, soit pour l’expérimentation, etc. Dans tous les cas, cette exagération est complexe et réfléchie.
Prenons deux cas que je maitrise personnellement et dont j’ai discuté sur l’article d’Iris Gris : Iris Gris et Iris Silver Mist. Ce que j’expliquais à Aryse, ce qui fait pour moi la qualité d’Iris Gris, c’est avant tout la beauté des matières utilisées, sont équilibre et son "humanité", en aucun cas son traitement de l’iris qui reste "simpliste" (toutes proportions gardées) : il s’agit, pour résumer d’une simple dilution de beurre d’iris, appuyé par quelques autres matières irisées certes, mais surtout d’un très fort pourcentage d’iris. Là où dans Iris Silver Mist, l’iris est verticalisé de la tête vers le fond, avec un vrai travail d’illusionniste, de déformation de l’iris, d’exagération de l’iris par ajout de tout ce qui fait iris de près ou de loin.
Prenons Pink Sugar, parfum largement surestimé pour ce qu’il est, à savoir une dilution d’éthyl maltol. En aucun cas ce traitement du sucre n’est intéressant selon moi, étant donné qu’il ne s’agit ni du traitement d’une note sucrée, ni d’une déformation, ni d’une exagération, mais simplement d’une dilution d’une matière dans de l’alcool, de l’eau et de quelques additifs divers et variés.
Prenons maintenant le cas du très décrié La Vie est Belle. Je ne peux pas dire sans mauvaise foi qu’il n’y a pas de traitement de la note sucrée, c’est faux. La note sucrée est travaillée : elle diffuse à fond les ballons ni ne sent pas qu’une simple matière. Mais quel est le rendu ? Et c’est là que le bât blesse car entre la camionnette à barbe à papa tenue par l’italien des Grands Boulevards, le stand de bonbons du centre commercial de Blois et La Vie est Belle, je me fais avoir et je ne fais pas de différences. Le sillage de ce parfum, en plus d’être atomique et donc très énervant, n’est pas qualitatif : ça sent le paquet de sucre simpliste et le gateau cheap. Pour un parfum se revendiquant être un iris gourmand (100 ans après L’Heure Bleue, 7 ans après Dior Homme, un an après Shalimar Initial), d’être plein de naturels qualitatifs et se vantant d’être le bonheur en flacon (on parle quand même d’un concept fort), c’est tout simplement raté.
Attention, petit aparté sur la puissance de La Vie est Belle : on m’a déjà dit "ah bah tiens, LVEB c’est comme Poison alors !". Non. Poison était transgressif. Dans le discours déjà, mais aussi dans l’olfactif. Comme me le faisaient remarquer Thomas et Yohan, lorsqu’on parle de Poison aux gens qui ne s’en souviennent plus, les gens disent "ah oui Poison... c’est pas un parfum qui pue ?" (ces mêmes gens le redécouvrent après en le sentant posément). LVEB n’est pas transgressif. Il ne dérange personne dans le métro, n’est pas interdit dans les restaurants. Seuls quelques toqués le vomissent. Et, sans prétention aucune, ces toqués ont les arguments qui suivent, au delà du "ça sent bon, je l’adore".
Prenons désormais le cas d’Angel. Lui aussi a un sillage nucléaire, traite le sucre en surdose et sent aussi la barbapapa. Effectivement. Mais Angel sent aussi le miel, le chocolat (et pas le chocolat de Sweet, le chocolat plus transgressif), différents fruits, et des fruits non traités en mode yaourt de self. Mais surtout, Angel n’est pas un monobloc de sucre-gâteau : c’est un parfum construit, avec une vraie qualité de matière qui se sent et se ressent (on parle d’un dosage de patchouli autour de 30%).
Enfin, un point sur lequel j’aimerais insister. Solance, tu dis souvent "oui, mais entre un joli sucré et un parfum vert moyen, vous allez parler du parfum vert". Ce n’est pas tout à fait vrai, mais ce n’est pas tout à fait faux non plus. J’évoquais cette question en filigrane sur mon article sur La Panthère, le problème est différent. Entre un parfum sucré et un parfum vert, lequel est immédiatement adoré par le grand public et lequel est rejeté ? Le rapport dominant/dominé n’est pas le même. En terme de visibilité, la quasi totalité du top 10 féminin français est composé de gourmands. Combien de parfums vert ? Aucun. De parfum poudré ? Aucun. Le parallèle avec la société est délicat à faire, mais pourtant il est là. Un parfum sucré, actuellement, part avec des privilèges qui ne sont dues en rien à sa construction, à son propos ou à son intelligence, mais simplement parce qu’il sent le sucre. Et que le cerveau humain est fait pour aimer le sucre. Le parfum vert, poudré ou chypré, lui, n’est pas facilement appropriable du premier coup. Sa construction ne délivre pas un signal immédiatement assimilable pour le consommateur, il se dévoile petit à petit, est composé de facettes qui ne se découvrent qu’au porté, senti en sillage, ou en trace sur des vêtements. Certains aspects plus difficiles ou expérimentales nécessitent de solliciter intellectuellement son "porteur" au delà du simple "ça sent bon". D’encourager la personne à servir de son nez et surtout de réflechir avec son nez. Une réflexivité de l’odorat, ce sens que nous cherchons tous à valoriser ici.
C’est comme ça, le parfum sucré c’est un peu comme l’homme blanc hétérosexuel : pour un entretien d’embauche, il part avec des privilèges qui ne sont pas forcément dû à ses capacités intellectuelles ou manuelles. Le parfum vert/chypré/sucré peut être une femme noire transgenre : il se fait insulter, même sans volonté de blesser (le "oh tu sens la vieille"), n’est pas visible dans les médias, etc. Le parallèle est à prendre avec des pincettes (comparer des inégalités sociales à une chose aussi futile que le parfum est délicat), mais il a le mérite de parler.
Enfin, le sucre est-il une note moins noble que les autres ? Ma foi, je pense que tout dépend du rendu. Quand un effet sucré est allié à des facettes complexes (que ces facettes soient sucrées ou non d’ailleurs), non, la question de noblesse ne se pose pas forcément. Mais quand le rendu est aussi cheap que La Nuit Trésor, Sweet ou Pink Sugar, que cela sent le supermarché, l’arôme alimentaire ou la sucette pas chère et que le parfum est vendu à 100€, oui cela me pose un problème. Nous sommes ici pour parler de parfumerie, de parfums, d’odorat. Pas là pour parler de produits de consommation rapide, jetables et cheaps, aussi fidèlement réalisés soient-ils.
Je pense avoir exposé pas mal de points, j’en oublie certainement tant la question est complexe. Mais je sais que d’autres vous répondront (qui sait, peut être vous ont-ils déjà répondu le temps que je ponde tout ça, 53min quand même que ça m’a pris).
Bonne soirée.
Votre réponse
à la une
Smell Talks : Céline Ellena – L’illusion de l’olfaction
Compositrice de fragrances indépendante et rédactrice pour Nez, la créatrice nous explique comment le parfumeur se joue de notre odorat avec sa palette.
en ce moment
il y a 15 heures
Bonjour, Merci pour votre retour. Je n’ai malheureusement pas l’occasion d’aller à la capitale.(…)
hier
Je vous conseille également L’Instant pour homme, un patchouli élégant, gourmand qui est assez(…)
Dernières critiques
L’Eau pâle - Courrèges
Lavande délavée
Mortel noir - Trudon
Église en flammes
Infusion de gingembre - Prada
Fraîcheur souterraine
il y a 8 heures
Toujours si intéressant de vous lire, Petrichor ! Merci pr tous ces conseils. En fait je(…)