L’Homme Idéal

par Jicky, le 2 juillet 2014
La quantité de réactions sur cet article en moins de 24h m’assure d’une chose : Guerlain est bien LA marque des perfumistas, celle qui fera toujours réagir, dont on attendra toujours le plus chaque grand lancement, et qui par conséquent, suscitera toujours un débat vif et passionné. Rester autant d’actualité plus de 185 ans après sa création suscite une certaine fascination dans mon cerveau.
J’attendais avec une petite excitation vos commentaires, finalement je ne suis pas très étonné : certains aiment bien, voire vraiment bien, beaucoup trouvent ça décevant, certains sont mitigés... On lit beaucoup de choses et son contraire. On peut y voir plein de choses... La première, c’est l’argument que j’avais le plus préparé : la déception. C’est ce que je disais à Thomas, je crois que depuis Nahéma, rares ont été les Guerlain à ne pas avoir été vivement critiqués à leur sortie, pour finalement être acceptés avec le recul. C’est que, sur leurs linéaires grand public, personnellement, je ne vois rien qui soit à jeter (les grands moments d’errements que sont My Insolence et quelques flankers oubliés et compagnie étant disparus/en voie de disparition). Oui, il y a du moins bon, mais jamais du mauvais. Cette déception est explicable pour plusieurs raisons, une des principales étant le côté "institutionnel" que représente Guerlain pour beaucoup de passionnés issus de la culture olfactive française (Guerlain est finalement peu connu en dehors des frontières françaises) : beaucoup d’entre nous sommes "issus" de cette maison. Parfum de maman, de papa, de grand-parent, de souvenirs d’enfance, de début dans le parfum, de premier parfum acheté, de premier parfum d’adulte... J’en passe. Mais c’est bien une sorte de rite institutionnel.
En plus de ça (et c’est peut être aussi une des raisons de cet aspect "institution"), Guerlain a une identité olfactive forte. A chaque décennie, on a "le Guerlain qui fait pas assez Guerlain" et "le Guerlain qui refait du Guerlain", parfois ça se brouille, une sortie que l’on ne croyait pas très Guerlain devient très Guerlain. Et bien sûr je ne parle que pour notre catégorie de passionnés : allez expliquer à un néophyte en quoi Vol de Nuit est très Guerlain... Bref, je m’égare un peu. Revenons à cet Homme Idéal.
J’ai eu la chance d’assister au lancement début juin, et d’avoir pu l’appréhender sur une petite longueur, et surtout avec un recul non négligeable (surtout chez moi) étant donné que... olfactivement, L’Homme Idéal n’est pas trop ma came. Je l’ai testé un nombre incalculable de fois sur le poignet, une fois ou deux vaguement sur peau pour dormir. Jamais j’ai réussi à me dire "je vais le porter une journée entière". Mais, et finalement ça ne m’étonne pas trop de moi (attendez, je m’achète un divan rouge et je reviens), à chaque commentaire que j’ai lu ici, à chaque discussion avec un sacré vieux con (ils se reconnaitront <3), je me suis revu à 14 ans en train d’essayer de défendre becs et ongles les sorties de la maison (bec pour un oiseau des glaces et ongles pour une secrétaire féline, comprenne qui pourra, rien à foutre de la logique, il est 3h du matin). Et finalement, j’ai compris à ma manière ce petit débardeur blanc, moulant.
Opium rentrait tout le temps dedans par l’aspect années 90, faisant des liens, des ponts, des filiations et autres correspondances entre telle référence, telle matière et tel accord de ces années à aujourd’hui. Il était drôle (et exhaustant !! vous l’auriez vu, à parler non-stop. J’ai consommé à peu près le pib du Bangladesh en infusion de camomille bio pour le supporter). Je comprenais bien, j’approuvais de loin, mais j’étais là : "La Petite Robe Noire pour homme bonjouuuuuur". Finalement, on a mêlé nos visions et nos "entrées dans le parfum", pas toujours d’accord, mais en débat. Au final, j’ai l’impression qu’Opium a eu très vite envie de le porter, de se l’approprier, tout en lui trouvant une quantité de "petits défauts" incroyable, là où je n’ai strictement aucune envie de le voir sur ma peau, de me l’approprier, mais où je lui vois un nombre de qualités incroyable.
En tout cas, je suis sûr d’une chose : L’Homme Idéal propose réellement quelque chose sur le marché des grandes sorties du grand public masculin en 2014. J’ai ce petit remous dans le ventre qui me fait dire "putain, si ce parfum marche, j’ai devant le nez une future figure de proue de la parfumerie masculine", ce petit remous que l’on a eu avec One Million et que l’on n’a pas eu avec Bleu, le premier proposant réellement quelque chose, étant immédiatement reconnaissable, là où le second ne fait compiler qu’une structure chiantissime et terriblement peu identifiable.
Et mon impression a été confirmée la semaine dernière, où j’ai pu sentir une grande partie des parfums du premier semestre 2014 à l’aveugle, c’est-à-dire juste avec une mouillette sans nom, sans rien du tout, juste trempée d’un parfum. Je peux vous dire une chose, j’ai eu deux parfums qui ressortaient tout de suite. Et L’homme idéal en faisait parti. M’est venu alors une comparaison à laquelle je n’avais pas pensé... L’Homme Idéal, dans son rapport au public de passionnés, dans son élaboration olfactive me fait penser à Elle L’Aime, l’eau de parfum de 2013 de Lolita Lempicka. Pourquoi ? Pour plein de raisons. Tout d’abord, cette capacité que les deux parfums ont à se distinguer bigrement lors des tests à l’aveugle, à hurler à ton cerveau "hey regarde moi !!! je suis différent de ce que tu sens tout le temps !!". De plus, j’y retrouve une sorte de perfection formelle dans un registre assez peu apprécié des passionnés. Elle L’Aime était un gourmand construit comme un grand parfum floral classique (ouverture scintillante - déploiement floral - fond baumé/boisé), une sorte de N°22 revue à la sauce noix de coco de Tahiti Douche, un traitement de la vulgarité que j’ai trouvé particulièrement touchant, avec cette façon d’accepter le laid et de le traiter avec la plus belle des lumières, de lui rendre un hommage grâce à une structure pleine de maintien. De lui laisser la parole (j’avais fait un article en faisant le parallèle avec le film Spring Breakers, je pense que ceux qui l’ont vu comprendront assez vite le lien : c’est l’histoire de 4 filles franchement pas fines qui s’en vont faire les grosses pouffes sur les plages américaines, le tout filmé comme un film contemplatif, hyper lumineux et avec des voix off introspectives qui leur laisse une parole finalement pleine de doute). Il y a un peu de ça chez L’Homme Idéal : traiter le gourmand pour homme avec une structure fougère.
Ce qui est assez drôle, c’est que tout à l’heure, j’avais sur le poignet Mouchoir de Monsieur en version repesée et dans l’évolution, j’y ai beaucoup vu de L’Homme Idéal. J’ai repensé à ma moue quand Wasser nous a expliqué qu’il était reparti de Jicky mais en le twistant avec une amande. "Ouais, t’es mignon Toutoune, mais bon le storytelling historique dans ce genre là, on me l’a fait pas" que j’ai pensé en petit merdeux de 20 ans. Mais quand on sait que Mouchoir est quand même franchement proche de Jicky, que la quasi totalité des références pertinentes qu’Opium cite sont des fougères orientales, que sur peau, la construction hespéridée-coumarine-boisée est évidente, tout s’éclaire : L’Homme Idéal est une fougère. Et une belle fougère. Et comme Elle L’Aime, on retrouve ce traitement de la vulgarité (tous les effets qui font "branleur" comme le dit Opium ;), avec le départ fun de cerise alcoolisée, d’amande et de notes aromatiques pas hyper clean, les bois pas toujours très fins - sans être lourdauds non plus -, la quantité de coumarine conférant presque à l’indigestion. Le sujet est vulgaire, mais quel traitement ! Au calme, le départ fusant détergent sur le papier s’éclaire aussi de petites notes vertes et épicées, le coeur démontre brillamment que Guerlain est le maître absolu de l’amande ; "Puis merde, j’ai même une note rosée qui remonte sur ma peau !", j’ai fait sentir à la petite compagnie qui était avec moi ce jour là, et en glissant cette évocation à Wasser, le voilà à me faire son clin d’oeil culte. Ca, en langage wasserien, ça veut dire "et ouais ma gueule ! Je t’ai foutu une belle rose dedans !". Formellement, je trouve l’exercice technique parfait (je ne parle qu’en terme de structuration, d’architecture du parfum en revanche, je préfère ne pas me prononcer sur les critères de diffusion, dont vous plusieurs d’entre vous semblez vous plaindre avec justesse).
J’ai encore plein de choses à dire, mais je préfère ne pas tout dire tout de suite. Je vais donc "conclure" sur l’idée de départ : qu’attend t-on d’une sortie Guerlain ? honnêtement, olfactivement L’homme idéal est la chose la plus Guerlain qui soit : une grosse amande, une grosse fougère pour le côté historique ; une grosse cerise alcoolisée pour le côté gimmick-qui-signe-le-succès-récent-de-la-marque ; un bon vieux fond orientalisant parce-que-sinon-on-va-encore-dire-qu’on-fait-pas-du-Guerlain... Et cette pensée que qu’importe ce que Guerlain aurait fait, le résultat aurait vraiment divisé. Pour ma part, L’Homme Idéal me donne seulement envie de porter La Petite Robe Noire en edp (testez les deux côtes à côte, vous verrez, c’est cette PRN est incroyable de luminosité, de rayonnement, de chatoyance et de texture), mais il me réjouit sur bien des points. De plus, voir que Guerlain continue à maîtriser à merveille les codes d’un marché actuel, mais en le faisant avancer à sa manière, est captivant. Cette manière que les puristes trouvent exaspérante et vaine (ce que je peux comprendre), mais qui permet à cette marque de survivre, de grandir, de développer des projets d’une importance capitale (comme ce musée du parfum dont nous parlons à travers la Saga Guerlain). Mais aussi (et surtout), je pense que L’Homme idéal, comme beaucoup des parfums importants de la culture olfactive, va pouvoir en dire beaucoup sur notre époque, sur le Guerlain de 2014, sur les consommateurs de 2014 et donc sur les gens de 2014. Développer une véritable signature tout en parlant d’une époque, j’avoue que je trouve cela assez fascinant... Y’a que Guerlain qui est capable de susciter tout ce remous de passion, d’emportements et de déclarations d’amour. Et si ça c’est pas digne d’un "vive l’odorat !" !!
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