Auparfum

La Légende de Shalimar

Jicky

par Jicky, le 28 août 2013

Que penser de ce film La Légende de Shalimar ?

Par où commencer ?

 

Faisons une sorte de petit état des lieux pour Guerlain depuis 2008. En 2008, grands changements pour Guerlain : au diable les errances sans réel parfumeur maison, aux succès incroyables (L’Instant, Insolence...) et aux échecs plus brûlants (My Insolence and co). Thierry Wasser est engagé comme parfumeur maison après avoir signé le très bel iris gourmand Iris Ganache ou encore un splendide hommage à Après L’Ondée avec l’horriblement exclusif Quand Vient La Pluie (un petit bijou poudré et héliotropine... *petit coeur qui bat*). A cela s’ajoute la sortie du très décrié Guerlain Homme, qui peine encore à se faire accepté, mais dont le relatif échec commercial a permis une certaine clémence aujourd’hui. Puis, Guerlain décide de relancer Shalimar en faisant appel à la belle Natalia Vodianova dans un clip où Gainsbourg vient vanter les merveilles de Shalimar en chanson. La pub était attendue et "un peu" cliché, mais je la trouve néanmoins très efficace !

Avec Guerlain Homme et Idylle en 2009, Guerlain souhaite clairement s’exporter comme la marque l’a toujours rêvé : les Etats Unis, l’Extrême Orient... En vain ! Encore une fois, rien à faire, les pays étrangers restent insensibles aux charmes Guerlain. Les classiques Guerlain qui correspondent à la base pour le perfumista français sont des trésors presques nichus pour les passionnés américains, et le linéaire Idylle diminuera très vite à l’étranger (il n’était même plus là au duty free de Montreal en 2011 si je ne m’abuse...).

 

Mais... 2012 ! Deux-mille-douze. Deux zéro un deux. Aaaah 2012 ! Comme vous le savez tous, Guerlain décide d’exporter en grand public un incroyable succès des Exclusifs : La Petite Robe Noire, créée par Delphine Jelk (je suis sûr qu’ils ont suivi les conseils avisés des auparfumistes, c’est ce qu’on leur a toujours dit de faire sur l’article de LPRN ==> exportez le !)

Et là, incroyable, le succès partout. Aux Etats-Unis, en Chine, en France, en Europe. Partout !! Un lancement au succès incroyable, comparable à celui de One Million pour les masculins. Fin 2012, La Petite Robe Noire arrive 3ème parfum le plus vendu en France, derrière l’insipide J’Adore et le survivor N°5.

 

Le rêve, je sais pas si vous vous rendez compte, en pleine crise ! Un tel succès pour une maison qui ne s’attendait surement pas à un tel raz-de-marée. Profitant des retombées commerciales, Guerlain s’émancipe de l’emprise LVMH et acquiert un peu plus d’indépendance. Thierry Wasser en profite pour commencer le rêve des perfumistas : une refonte des quelques grands classiques de la maison, en reprenant notamment les formules de Jacques Guerlain.

 

C’est à ce moment qu’on peut en arriver à la naissance du film La Légende de Shalimar.

J’ai eu la chance d’assister à la projection du film en présence de l’équipe Guerlain, en présence du réalisateur Bruno Aveillan, de Thierry Wasser et même qu’on a eu le droit à une sorte de duplex live from Russia (with love) avec Natalia Vodianova !

Ainsi, et je suis clairement d’accord avec eux et je pense que vous serez capable de le reconnaître aussi, la ligne directrice de ce film était vraiment l’ambition ! Déjà, et je tiens à le faire remarquer, en moins de 20 ans d’existence, je crois bien que c’est la première fois que je vois dans Paris des affiches publicitaires type affiches de films hollywoodiens, mais pour dire "hey les gars, une pub arrive" ! Genre remake d’Inception : on fait une campagne de pub pour dire on fait une campagne de pub ! sweet jésus.

 

Puis, ce film. Pour une publicité de parfum, c’est - je crois - du jamais vu. On avait quelques films de trois minutes, notamment pour le N°5 (Baz Luhrmann et Jean-Pierre Genêt récemment), mais pas six minutes. Et surtout, il faut avouer que c’était des publicités plus "classiques" en ce sens que le film était une projection du parfum dans l’optique de donner envie au consommateur d’acheter le precieux flacon. Là, le film ne parle pas de la femme Shalimar du XXIème siècle, il reprend en film l’inspiration de Jacques Guerlain (et Raymond, papa du flacon). En même temps, c’est que le marketing de 1925 était déjà bien ficelé chez Guerlain ! Le flacon, le nom, l’odeur... tout était en lien dès 1925, bien avant Opium ou Angel, où le marketing est aussi important que le parfum en soi !

 

Alors ce que pense subjectivement du film... Ma foi, déjà j’applaudis la maestria visuelle. Contrairement à Newyorker, je trouve vraiment qu’on est loin d’une Inde fantasmée et clichée. Mais alors trèèèès loin ! Là où on pouvait s’attendre à une débauche de couleurs, de robes à volants roses fuschia, à des déesses à cent bras et à têtes d’éléphants on a des robes pâles et aériennes, des palais visiblement indiens mais pas bariolés, de très beaux plans sur des instruments de musique (oooh ! allo... depuis quand le parfum fait un clin d’oeil comme ça à la musique dans les publicités modernes ??), une photographie soignées, aux teintes étonnamment au froid moderne - alors que Shalimar est un parfum culturellement chaud ! - des effets spéciaux qui envoient du lourd et un montage que je trouve vraiment efficace (le début avec l’enchaînement oeil-étoile-fumée, je trouve ça juste énorme et complétement en phase avec l’art du parfum "peau-esprit-matière"). L’émergence du Taj Mahal est d’une grandeur rarement vue : au cinéma, les sièges tremblaient !!

En revanche, sérieux... mais pourquoi ils ont pris un des thèmes les plus moisis d’Hans Zimmer ???? Putain mais juste, le Da Vinci Code et les chevaliers de Sangréal, mais... mais... mais c’est mauvais ! Du Zimmer lancinant et fourre-frisson cheap genre j’envoie du paté à fond les ballons mais plutôt aseptisé. Se dire que ce type a fait une des plus belles BO qui existe avec The Thin Red Line. J’aurais très bien vu une reprise du thème de fin de The Village par exemple, avec son envol majestueux ou le plus cinématogrpahique Journey To The Line. Mais non, ils ont pris ça. Bon, soit.

Autre petit truc un peu de trop, je pense au vu de vos premiers avis ici : bon Natalia t’es splendide mais ça va, te touche pas trop non plus quoi... (nan mais c’est quoi ce plan où elle se mord les lèvres... really ??). Mais bon, n’oublions pas que c’est une pub de parfum, et le truc le plus vendeur c’est bien la seeeensoualidad. Puis bon, on va pas se mentir mais Shalimar c’est pas le N°5 Eau Première... Elle se touche un peu la femme Shalimar ! (bon, ça reste quand même un gros cliché ce que je dis, en tant que perfumistas on sait tous que des monsieurs portent Shalimar à merveille. Je portais Shalimar dès mes 14-15 ans et je suis pas une boule de sensualité... mais les clichés ne partent jamais de rien, ne l’oublions pas !). Disons qu’une Natalia qui se caresse dans son palais de princesse c’est logique pour Shalimar, et déjà plus inquiétant quand on te parle de parfum sensuel pour J’Adore.

 

Et petit à petit j’en viens au point qui m’enthousiasme le plus... C’est la portée de ce film !!

La pub est sortie hier soir officiellement et déjà - je jubile mon dieu je jubile ! - elle commence sa grande aventure. C’est qu’ils sont pas fous chez Guerlain : Bruno Aveillan c’est le papa de L’Odyssée de Cartier et ce film là, bah il a été vu plus de 200 millions de fois sur tous les supports possibles et imaginables ! C’est que le film est splendide en soi, et a un côté fantastique et universel qui a poussé les gens à partager cette vidéo. La recette est presque similaire là : ce film en fait, c’est un conte universel qui parle à preque tout le monde. C’est une histoire d’amour, un conte de princesse, habité par des thèmes qui touchent beaucoup de gens et à différents niveaux : la première musique touche les arts avec la musique, la fumée, le ciel ; des notions plus abstraites mais qui ont leur sensibilité. Après, c’est une ode à la nature, avec certaines scènes animalières qui feront leur petit effets chez les petites filles fan de chevaux et fan d’éléphants (plus rares, j’en conviens), les grandeurs des paysages (très bien exploitées par le côté cinématogrpahique du film). Et j’aime assez ce plan où on voit le Prince-Khal-Drogo qui est face aux montagnes, entre plans en effet très Jacksoniens-Seigneur-des-anneaux-esques et angle romantique-allemand-je-suis-un-héros-Friedrichien. Puis après les scènes avec Natalia qui prend son bain, se promène dans les jardins, etc.

J’étais complétement passé à côté de la mort au début, j’avais carrément zappé que le type il a construit le Taj Mahal APRES sa mort (poke Patrice). Mais c’est vrai. Et en fait, ça donne presque une autre lecture au film, avec la thèse classique du parfum comme souvenir où par métonymie, le parfum remplace la personne absente/disparue. Et c’est très intéressant aussi avec cette vision.

 

Je m’égare un peu je me rends compte. Je vais donc profiter de cet égarement pour répondre à la critique "c’est creux ça n’a pas de sens", puis après promis je finis sur la portée du film (je veux finir avec ça parce que pour moi c’est presque le plus important). Newyorker, ainsi que quelques commentaires Youtube et facebook que j’ai pu lire par ci par là, tu parles de creux, de vide de sens. C’est souvent un des gros trucs utilisés par les anti-pub de parfum. Pire, c’est devenu un automatisme : quelque chose de vide de sens, creux va tout de suite être comparé à une pub de parfum ! Ainsi, un film à la beauté visuelle incotestable mais au montage non-traditionnel, torturant la narration classique, aux thèmes métaphysiques et comble de comble, vous rajoutez une voix off et bien vous verrez la moitié de la salle de cinéma quitter le film en gueulant comme des barbares que c’est qu’une pub de parfum de 2h ! (bien sûr, pour une critique encore plus virulente et qui envoie encore plus du paté, il vous faudra mentionner le fond d’écran Windows !). A l’heure où tous les blockbusters, toutes les pubs, tous les livres et toutes les musiques soulignent, rabachent et répètent de manière biiiiien explicites chaque contenu un poil plus compliqué et plus abstrait, une pub, un film, un livre où les choses sont moins radotées et donc plus difficiles à saisir se fera lynché sur la place publique en disant qu’il n’y a pas de sens, que le type se touche grave, avec rires et quolibets qui vont avec. Pour La Légende de Shalimar, les plans de nature ont toute leur légitimité, les plans où Natalia se touchent aussi - bien qu’on soit d’accord là dessus, c’est cliché, oui - et les quelques images plus métaphoriques (genre le bateau, la poussière dorée, le bain et les jardins) ont un sens et une raison d’être. Ce sont les choix d’un réalisateur et de son équipe et s’ils sont discutables, je ne pense pas qu’ils soient vide de sens (la simple et plutôt superificielle symbolisation de la sensualité étant elle-même un sens, bien que ce soit un poncif).

 

Avec sa dimension fantastique, son ambition épique, sa narration conte de fées et ses effets magistraux, le film va avoir une portée que je pense - et j’espère - considérable. Et c’est ça le plus positif dans l’histoire : Guerlain (re)lance son grand classique comme jamais. Je met "re" entre parenthèses car ce qu’il faut savoir, c’est que Shalimar est surtout connu en France et en Europe à la limite. Mais aux Etats Unis, en Orient, en Extreme Orient, ce parfum n’est presque pas connu ! Et c’est ça qui est génial ! Plutôt que de tabler à fond sur le succès de La Petite Robe Noire, Guerlain fait ce qu’ils devraient faire : miser sur un beau et grand parfum qui, en plus d’avoir une histoire, a surtout un véritable potientiel commercial ! Shalimar, c’est - avec une réduction honteuse - une bonne vanille qui tache ! Mais bien sûr, une vanille animale, poudrée, boisée, ronde et fourrure, avec des facettes lumineuses et pleines de grâce et quelques passages plus sombres et tortueux... Maintenant que Guerlain s’est fait bien fait connaitre avec LPRN, ils essayent de s’implanter dans le monde entier avec notamment Shalimar. Cette marque a un parfum avec un véritable potentiel et elle ne se prive pas de continuer à le maintenir sur le devant de la scène ! D’autant plus que Shalimar reste un beau parfum là où Opium est devenu flotteux et où Dior fait passer J’Adore pour un classique intemporel.

 

Bien évidemment, vous venez de lire la parole d’un Guerlinolâtre émérite, passionné, dont l’avis est fortement biaisé, mais j’imagine qu’un peu d’enthousiasme ne fait pas de mal. Je suis vraiment hyper emballé. D’autant plus que le film, comme je l’ai dit, commence déjà son aventure. Ce soir, il aura sa diffusion à grande écoute pendant 3 minutes (20h30 sur la 1), son film est disponible en version longue sur youtube et ils peuvent compter sur les réseaux sociaux pour voir cette vidéo se partager. Et puis, tout bêtement, mais hier j’ai dû aller au ciné, j’ai été sur une application pour voir les scéances et il y a souvent une petite pub au moment de l’ouverture... Et bien c’était Shalimar ! C’est tout bête, mais j’étais content.

J’espère que les gens qui le connaissent iront le redécouvrir, et surtout que ceux qui ne le connaissent pas s’empresseront de voir d’aller au delà du film et - c’est l’essentiel - iront découvrir le parfum !

 

Vive l’odorat !

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