Les Parfumeurs

Ce choix subjectif, assumé par l’auteur, vise plus la variété des carrières que la volonté de réaliser un « top ten ». La moitié appartient aux maisons qui ont leur parfumeur attitré : Cartier, Chanel, Dior, Guerlain et Hermès, ne manque que Vuitton, le dernier arrivé dans le cercle. Les autres sont attachés aux grandes sociétés, ou bien indépendants. Pour compléter le panorama, Serge Lutens incarne le directeur artistique, précurseur de la parfumerie dite de niche et Frédéric Malle développe son idée d’édition de parfums dans une relation unique avec les créateurs.

Originaires du sérail grassois ou ayant conduit leur passion par les chemins de traverse, tous exposent comment ils se construisent une place unique dans le paysage de la parfumerie qui tend bien souvent à une uniformité grise, comment ils trouvent une voix pour exprimer leur créativité et marquer à leur manière l‘histoire du parfum.

Certains exposent ce qui les inspire, leur recherche, d’autres parlent de patrimoine, mais tous ont un œil très lucide sur leur métier - où personne n’est attendu - et humbles - car les succès durables y sont rares et imprévisibles.

Le grand plaisir de ce livre est que tout y est approfondi le long d’une vingtaine de pages, et non sur les quelques lignes qui leur sont généralement accordées. Le caractère et la personnalité de chacun y sont ainsi plus clairement perceptibles. Chaque portrait écrit est complété par des photographies d’Aura Constantin et un cliché de leur album d’enfance.

Petit tour d’horizon de chacun de ces confidents :

Quentin Bisch se démarque par son cheminement atypique pour aboutir au poste de parfumeur Givaudan, porté par un enthousiasme et une passion en constant questionnement entre expression personnelle et servitudes du marché.

Enfant de Grasse, François Demachy, se montre soucieux de préserver le patrimoine de la maison Dior, si riche en trésors.

Isabelle Doyen montre l’esprit à la fois posé et vif du chat, ultra sensible, contemplatif mais avec un regard acéré.

Lui aussi enraciné dans le terroir grassois, Jean-Claude Ellena évoque comment il a façonné le métier de parfumeur suivant sa volonté, afin de créer une parfumerie lettrée.

Mathilde Laurent montre toujours sa volonté farouche de construire, bâtir une parfumerie sensible, moderne et compréhensible.

L’histoire, les émotions, la carrières de Serge Lutens s’entrelacent en de tortueux arabesques, mais composent un tableau étonnamment sincère et touchant, loin des discours abscons qu’il a déjà pu tenir.

Né dans le parfum, Frédéric Malle feuillette en esthète le récit de sa vie d’éditeur de parfums, dialoguant avec les créateurs pour façonner une parfumerie dans l’esprit de Saint Germain-des-Prés.

Parfumeur indomptable et déterminée, Annick Menardo, qui a officié chez Firmenich depuis ses débuts, et désormais chez Symrise, exprime une créativité radicale et patiemment mûrie dans la parfumerie grand public et pour des marques de niche exigeantes.

Discret et respectueux de l’histoire de Chanel, Olivier Polge semble quant à lui s’être glissé comme dans un gant dans l’esthétique policée et sans couture de la maison.

Enfin, par un amour des joyaux créés par la dynastie, Thierry Wasser s’est visiblement greffé sans complexe dans l’arbre généalogique des Guerlain. Son œil malicieux et affuté en fait aussi un témoin lucide des voies et travers de la parfumerie commerciale.

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Les Parfumeurs, dans l’intimité de grands créateurs de parfums, HarperCollins, 224 pages, 22 euros