Kenzo Air

par jules de d***, le 8 juillet 2011
En lisant la très intéressante interview de M Roucel qui vient de paraître sur le site, j’ai eu la surprise de lire que le parfumeur est le créateur de Kenzo Air. Je le savais, je l’avais lu ici-même et ailleurs mais je l’avais curieusement oublié. Pourtant Kenzo Air n’est pas un parfum anodin dans mes expériences olfactives. C’est un parfum qui m’a fait voir le parfum autrement, qui a cassé certains clichés que j’apposais automatiquement à ce genre d’objet subtil. Jusqu’alors, le parfum évoquait pour moi, pas seulement pour l’idée véhiculée, mais olfactivement dirai-je, le luxe, l’affirmation de soi, le paraître, voire une certaine frime en étant péjoratif, en un mot une certaine forme d’orgueil. Les eaux de toilette que j’ai le plus portées étant des Guerlain, comme Habit Rouge et Derby, correspondent, par leur richesse, par leur texture, par leur velours, par leur moirure, par leur profondeur quasi charnelle à cette idée-là.
Et puis j’ai découvert par hasard Kenzo Air, et si cela n’a pas été un choc, j’ai été complètement séduit, subjugué même. Voilà un objet qui remet en question mes fausses certitudes, et qui me fait voir les choses autrement. Je m’aperçois en écrivant ceci que c’est ce que j’attends d’un objet d’art. Donc Kenzo Air est un objet d’art pour moi. (A ce propos, quel joli flacon !)
J’apprends avec lui que le parfum peut être simple. Evidemment je sais bien que cette simplicité est recherchée, travaillée, sophistiquée, mais là aussi c’est ce que j’attends souvent d’une œuvre d’art. Je pense à l’instant aux Trois Contes de Flaubert. Hérodias pourrait être Habit Rouge et Un cœur Simple Kenzo Air. Je ne doute pas que pour parvenir à l’extrême simplicité d’Un cœur Simple, Falubert a dû travailler autant, peut être davantage, que pour étaler les somptueuses richesses verbales et picturales de Hérodias.
J’ai donc toujours porté Kenzo Air égoïstement, pour moi seul, pour mon seul confort, pour mon seul bien-être. Toujours émerveillé par cette fraîcheur sans acidité, sans notes marines, par cette légèreté. Un pshitt et je m’envolais, je veux dire par là que ce parfum vous donne des ailes, vous fait quitter le sol, nie les lois pesantes de la gravité. Lévitation. Léger, léger...
Je découvre en lisant Jeanne et vos commentaires que c’est l’association d’un beau vétiver avec de l’anis et quelques autres essences qui parvient à ce miracle. Je suis heureux de l’apprendre car mon fruste nez ne sait pas dissocier les senteurs. Mais pourvu que le miracle agisse !
Je ne parviens pas à analyser un parfum, mais quand celui-ci me touche, il peut êtres source de multiples correspondances et évocations dans ma psyché. La lévitation, je l’ai dit. Evidemment la zénitude. Mais cette association d’idée est inévitable puisqu’il s’agit d’un créateur japonais. Je ne sais pas si dans le cahier des charges transmis à Roucel, cet aspect là était recherché, j’en doute même. Je doute encore davantage qu’on ait recherché un aspect haiku. Mais j’ai toujours pensé aux haikus japonais avec Kenzo Air, ce qui n’est pas très original, je le sais bien. Analogie quasi automatique et due sans doute à mon manque de culture olfactive. D’autres parfums correspondent certainement davantage aux haikus, les créations de Ellena par exemples, quoique, non, on a parlé ici à leur propos d’aquarelles et c’est sans doute plus pertinent. Mais A Scent bouteille verte, j’imagine, à lire vos descriptions et vos impressions, que c’est un haiku. Je dis « j’imagine » car ce parfum qui a sur papier tout pour me séduire, tourne sur ma peau à l’aigre instantanément. Quelle expérience frustrante et quasi traumatisante quand votre peau, votre vous-même, transforme de l’or en cendre !
Au fond les parfums en général ne sont-ils pas proches des haikus ? Ils partagent avec eux de fortes contraintes créatrices, la fréquente évocation d’une saison ou d’un moment de la journée, une certaine transcendance de la réalité, la description de l’évanescence même des choses, une perfection dans une feinte simplicité, et une évidence qui fait qu’on se dit que ça ne peut être fait autrement. Cela ne peut s’appliquer qu’aux chefs-d’oeuvre, bien sûr. Mais lorsque cette perfection est atteinte, elle est source d’émerveillement.
Par exemple :
Cerisier sauvage
Au bout d’une branche
Un village (Rinka)
Il en va ainsi pour moi de Kenzo Air. Je m’aperçois que j’ai l’air de me présenter prétentieusement comme un spécialiste des haikus. Ce n’est malheureusement pas le cas. Même si j’ai un amour particulier pour la littérature japonaise, je ne connais pas la langue et donc je n’ai pas la possibilité de savourer les finesses de ce genre littéraire, dont les traductions ne peuvent donner qu’une toute petite idée, éliminant le rythme et les sonorités d’origine. Ne restent que les images évoquées.
Pour revenir à Kenzo Air, je l’évoque aujourd’hui avec nostalgie, puisqu’il a disparu des officines. Je le déplore car je ne connais rien d’équivalent dans la multitude de parfums proposés dans le commerce. Peut-être pouvez-vous me conseiller ? Je connais Kenzo Air Intense, et bien sûr il n’est pas très éloigné de l’original, mais il me semble que c’est un Kenzo Air qu’on aurait formaté pour plaire au plus grand nombre et dont l’originalité aurait été passée au rabot. Je n’ai pas avec ce parfum l’impression de quitter le sol. Il n’a pas l’aspect éthéré de l’autre.
Plus triste encore, le dernier quart de flacon qui me reste de mon bon vieux Kenzo Air est en train de se transformer en Kenzo Air Intense, perdant avec ses notes de tête sans doute, une part de son évanescence !
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