La vie est belle

J’aime assez cette comparaison avec le bruit... Et vous avez parfaitement raison : les deux jus que j’ai cités avaient au moins le mérite de briller par leur originalité, alors que LVEB n’est même pas original, surfant sur la mode du parfum bonbon. Mais si on veut pousser la comparaison avec la musique, L’eau d’Issey ou Opium me font penser à ces compositions sublimes de Mozart ou de Vivaldi, devenues par la force du marketing et de l’attente téléphonique, des choses stupides et dévoyées. Les quatre saisons reprises à l’accordéon par Richard Galliano, c’est sublimissime, ça vous offre une coloration totalement inédite, une lecture formidablement moderne et pourtant très proche de ce qu’a dû imaginer le prêtre roux. Les mêmes quatre saisons par le Rondo Veneziano, c’est insupportable et ça donne envie de passer au hard métal. Alors, quand on tombe sur une mauvaise composition classique, on change de chaîne.
Ceci dit, j’ai offert, crime ! LVEB à ma fille de 27 ans. Ca lui va superbement bien. Et, comme dans une éducation à l’oreille, je la laisse faire ses gammes. Ado, j’ai été vertement remise à ma place par un grand père chef d’orchestre à qui j’avais ingénument avoué ma préférence pour la lettre à Elise. J’en suis restée mortifiée des longues années durant, n’osant pas affirmer mes goûts en matière de musique alors qu’il aurait suffi de presque rien, peut être un peu de bienveillance, pour que je me décide à écouter autre chose et que Ravel ou Debussy deviennent mes compagnons de route. Au lieu de quoi j’ai construit ma culture musicale seule, en tout cas pas sous l’oeil bienveillant d’un ancêtre mal embouché.
Ma fille aime la Vie est Belle, la Lettre à Elise de la composition olfactive ? Eh bien soit. Dans quelques années elle aimera des parfums plus faits, elle se sera construit un nez -ou pas- mais le nez comme la musique, la lecture ou le goût ça s’éduque et ceux qui lisent Garcia Marques, d’Ormesson ou Nietzche aujourd’hui ont bien, un jour, commencé par Oui Oui et Martine, le Clan des Sept et Fantômette. Ceux qui écoutent Bach et Vivaldi version Galliano ont un jour porté au pinacle la Lettre à Elise ou la Marche turque trop vite interprétée, comme souvent, par un pianiste qui confondait vitesse et précipitation. Ceux qui dégustent aujourd’hui un foie gras mi cuit à la confiture de violette ont un jour été ravis par le goût du jambon purée ou d’une madeleine dans une tasse de thé et nous ne leur jetons pas la pierre pour autant. Nous avons la chance insolente de savoir apprécier un grand parfum, un de ces jus architecturés comme des symphonies. Mais tous n’ont pas cette chance, cette éducation-là et je trouve parfois limite insultants certains commentaires à propos de LVEB. Pas vis à vis de la marque qui fait de la beurkerie à nos nez éclairés mais vis à vis des femmes qui le portent et qui ne savent pas forcément distinguer ce qui est beau de ce qui ne l’est pas. J’aimerais assez pouvoir me parfumer avec un parfum à chiottes comme certains envisagent de parfumer leur chiottes avec la Vie est belle. Mais cet avis n’engage que moi et vous n’êtes pas obligés d’aimer l’interprétation des quatre saisons par Richard Galliano.